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Camping à la plage de l’Ours

Par Alan Barwin

Traduction par Jocelyne Dickey

“Maintenant je vois le secret pour créer des personnes meilleures : grandir à l’air libre, manger et dormir avec la terre” – Walt Whitman, Feuilles de pelouse

C’est la fin septembre, une semaine avant la promenade à la plage de l’Ours, mon campement pour passer la nuit sur la côte de l’Ile de Vancouver avec ma classe de Sciences sociales de 8e année. Je suis stressé, en pensant au climat, aux parents qui conduiront et à la documentation nécessaire. Un collègue me demande: “Est-ce que ça en vaut la peine?” Je fais une pause pour analyser cette question.

Avançons d’une semaine. La classe est réunie autour de la flambée (feu de camp). Chaque “Civilisation” est déguisée avec des algues et porte des artéfacts et de la nourriture dont ils ont discuté et qu’ils ont créés tout l’après-midi. Nous passons la plume et partageons nos impressions gratuites du jour:

Explorer la rivière.

La grotte marine.

Faire l’horloge solaire.

Voir la baleine.

Connaître mieux mon groupe.

Enlever mon sac à dos après la marche pour arriver.

Écouter les vagues.

Voir comment la plage change quand baisse la marée.

Préparer notre propre repas sur le foyer.

Regarder vers en haut et voir des millions d’étoiles et la voir lactée. Je n’avais jamais vu autant d’étoiles.

Ceci, de la part d’un groupe d’enfants de la ville dont la majorité n’avaient jamais été en excursion ou n’avaient jamais campé sur la plage.

Depuis quatre ans, j’ai commencé le cycle scolaire de ma classe de Sciences sociales de 8e année avec une unité intégrale d’environnement et culture et l’ai terminé avec l’expérience d’un campement à la plage de l’Ours. L’objectif de l’unité est d’analyser comment, à travers le temps et l’espace, l’environnement affecte les cultures et les cultures affectent l’environnement. Durant le mois de septembre, les étudiants apprennent différents points de vue globaux, la géographie, ils étudient ce qu’est une civilisation et créent une chronologie depuis le Big Bang jusqu’à l’ère moderne. Pour consolider et appliquer l’apprentissage à la vie réelle, les étudiants vivront une immersion dans un environnement côtier, pas toujours avec un climat agréable, et devront créer une civilisation qui pourrait exister ici de manière durable (voir la fiche à la fin de cet article). Leur culture devra inclure des habitations, une structure sociale et un gouvernement, des arts, de la technologie, une langue, du commerce, de l’agriculture et une vision globale. Tout ceci devra être basé sur un environnement côtier et les étudiants devront considérer l’impact de leur culture sur l’écosystème.

La promenade a trois buts. Le premier est que les étudiants comprennent mieux l’interrelation entre l’environnement et la culture. Ce thème est renforcé tout au long de l’année par l’étude d’une variété de civilisations, depuis les Vikings, le Moyen-âge au Japon, la Renaissance en Europe. Le second but est que les étudiants et le personnel enseignant s’unissent comme un groupe à travers cette expérience. Des semaines avant la sortie, on organise des « civilisations » ou groupes de 5 à 6 étudiantes et étudiants qui viennent de différentes classes du 7e degré et qui appartiennent à des groupes sociaux différents. En planifiant, cuisinant et campant ensemble, les étudiants développent une relation positive avec leurs camarades qui dure au-delà du voyage. Pour la nuit, ils sont séparés en tentes de filles ou de garçons. L’expérience de construire en commun un refuge et d’y dormir serrés comme des sardines les unit. Je peux aussi connaître les étudiants d’une manière différente, ce qui est difficile à obtenir en salle de classe, à travers des conversations informelles, en partageant des histoires et des expériences et en les laissant voir ma vraie personnalité dans un de mes sites favoris. Finalement, les étudiants ont l’opportunité de passer du temps avec la nature. Richard Louv1 et d’autres ont longuement écrit sur la valeur d’amener les enfants dehors, aussi bien en situations structurées que non structurées. Peut-être l’aspect le plus important de la sortie à la plage de l’Ours est de permettre le contact personnel entre des enfants de la ville et la nature. Pendant qu’ils compilent un inventaire des plantes, des animaux, de la géographie et des éléments spirituels de l’endroit, les étudiants ont l’opportunité de regarder de près la nature, d’observer, de réfléchir et de découvrir. Ils partagent un plus grand sentiment du lieu et un lien plus fort avec la côte. Des études disent que cela les guidera vers des styles de vie plus durables2 et les aidera à être des personnes plus heureuses3.

Avant de partir, il y a beaucoup à préparer. J’envoie une lettre avec l’itinéraire, la liste de l’équipement et un billet de permission, au cours de la première semaine de classe. Puisque les parents agissent comme aidants et conducteurs et que les étudiants fournissent leur propre nourriture et équipement, je peux maintenir le coût de la sortie à moins de 10 $ par personne. Ce montant couvre le montant du campement au parc provincial et de l’équipement pour le groupe. Chaque année j’augmente la collection de l’école en toiles, casseroles de campement et trousses d’urgence. En classe, les étudiants apprennent au sujet de la nourriture pour le campement et planifient leurs repas sous ma supervision. J’essaie qu’ils évitent des aliments trop emballés, des conserves trop pesantes et de la malbouffe, mais d’une manière ou d’une autre, il finit toujours par y en avoir. (Ceux de 8e année ne sont pas fameux pour leur attention au détail, ni pour leur capacités d’écoute et ne sont pas des gourmets). Nous pratiquons comment utiliser les casseroles de campement et emporter notre nourriture pour la protéger (et nous protéger) des ours. Je leur démontre comment remplir et ne pas surcharger leur sac à dos. C’est la fameuse leçon du “Sac à dos d’exploration”, dans la quelle je cherche au hasard un objet qui devrait être utile comme une lampe de poche et cependant je sors quelque chose d’inimaginable comme un sac à couchage, une raquette de tennis, une hache pour la glace, un ballon de plage ou un livre de textes.  Après, je leur explique ce qui est réellement nécessaire et comment organiser le sac à dos. Nous discutons sur la sécurité (pumas, roches mouillées et ours, oh mon Dieu!) et j’introduis le projet de la civilisation et le rapport écrit sur le voyage.

Quelques jours après, nous arrivons au début du sentier et après une conversation sur la sécurité, nous nous dirigeons vers la plage. Le sentier nous conduit par un chemin de bûcherons, des bois matures et la légendaire “colline de la perdition”, avant de s’ouvrir sur la plage où nous dînerons. À partir de là, nous cheminons sur des roches entourées de billes de bois, de cascades et de falaises escarpées (occasionnellement dans l’eau si la marée est haute) jusqu’à arriver à l’endroit du campement. Ce n’est pas un long sentier, moins de 2 km (1.2 mi.), mais il est sinueux.

La première tâche est de construire les refuges. C’est un travail classique où les étudiants travaillent ensemble pour concevoir et élever les tentes, sans l’aide des adultes et avec une réelle conséquence. Cela peut prendre du temps et requiert parfois de la patience, de l’humour et de la réflexion. Je m’assure que les tentes sont suffisamment solides mais je ne me préoccupe pas que les étudiants se mouillent un peu, puisque nous repartirons le lendemain.

Les étudiants passent le reste de l’après-midi en groupes, créant un inventaire de l’environnement et concevant leurs civilisations. Ils ont le temps d’explorer la plage, la forêt et la rivière sous la supervision des adultes et de se détendre leurs amis. Ils soupent par groupes quand ils le décident.

Pour la soirée, nous nous réunissons autour d’un feu pour partager nos civilisations. Il y a des introductions de chefs et conseils, des mythes des dieux-baleines et la création; ils partagent de délicieuses gastronomies (un avertissement: ne pas manger le salal [une plante indigène] enveloppée dans le goémon), des chants, des danses et des démonstrations. Ensuite c’est à mon tour de raconter une histoire et de passer la plume avant d’aller dormir.

Le lendemain matin, un groupe somnolent et parfois trempé prépare le déjeuner et regarde une dernière fois autour pour s’assurer de ne laisser aucune trace de notre visite. Avant de quitter la plage, je leur demande une fois de plus de réfléchir sur la raison pour laquelle ce lieu est spécial et pourquoi la vie est ici plus réelle qu’à la ville. C’est une classe de sciences sociales, mais c’est aussi beaucoup plus que cela. La plage de l’Ours est une opportunité pour les étudiants de laisser en arrière tous les liens de notre vie absorbante et d’une société consommatrice et de se reconnaître eux-mêmes et entre eux pour ce qu’ils sont réellement. C’est une opportunité pour eux de voir la valeur de lieux sauvages au-delà de leurs ressources matérielles. Les étudiants apprennent par expérience qu’ils sont reliés à la nature, comme chaque civilisation l’a été au cours de l’histoire, et que la nature peut alimenter l’esprit.

De retour à l’école, les étudiants passent quelques jours à perfectionner leurs civilisations, en créant des modèles et des artéfacts et en écrivant de la poésie, de la fiction et des réflexions personnelles sur la plage de l’Ours. Les groupes présentent formellement leurs cultures et remettent leurs rapports, remplis d’apprentissages concrets. L’unité est terminée, mais la croissance personnelle et l’analyse critique ne font que commencer.

Hailey, un ancien étudiant, résume son expérience de la façon suivante: “À la plage de l’Ours, nous n’avons pas besoin de cahiers ni de livres de texte pour apprendre et comprendre des concepts. L’environnement est vraiment beau et intéressant. [Le voyage] nous a tous forcés à travailler et à penser ensemble ”.

Je réponds à ma collègue: “Oui, cela en vaut vraiment la peine”.

 

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Rapport écrit

Imaginez que votre groupe vient d’arriver dans cet environnement. Vous êtes seuls et vous n’avez rien apporté de notre culture moderne nord-américaine – aucun concept de civilisation, aucune croyance, aucune notion de culture ou de communauté, aucune vision globale. Vous avez tout l’après-midi. Voici vos tâches:

  1. Faire un inventaire de tout ce qui existe dans cet environnement.

Plantes (Qu’est-ce qu’il y a ici, les usages possibles?)

Animaux (Qu’est-ce qu’il y a ici – usages possibles?)

Conditions météorologiques, climat, saisons.

Géographie et géologie (Comment sont la terre, les roches et la côte?)

Éléments spirituels (Quels lieux et quelles choses ont des pouvoirs ici?)

  1. Considérant l’environnement, créer une civilisation. Votre civilisation devra refléter l’endroit où vous êtes. Vous devrez prendre des notes, créer des artéfacts, discuter d’idées en groupe. Vous devrez fournir une évidence des huit caractéristiques d’une civilisation discutée en classe:
  • Croyances/ religion
  • Gouvernement/ structure sociale
  • Habitations permanentes
  • Connaissances de l’agriculture
  • Connaissances des sciences/technologie
  • Commerce
  • Arts (musique/ danse/ théâtre/ arts visuels)
  • Langage écrit
  1. Lors du feu de camp de ce soir, vous devrez partager vos civilisations:
  • Vous présenter par vos rôles dans la société (par exemple: chef, guerrier, guérisseur, etc.)
  • Raconter un mythe ou partager une tradition
  • Montrer de la nourriture, une œuvre d’art, de la technologie ou des biens pour commercer
  • Parler dans votre propre langue
  • Être créatifs, divertissants, démontrer un niveau élevé de pensée
  • Être votre société- agir en accord avec votre rôle et vous divertir.

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Alan Barwin est professeur de 8e année en immersion du français à l’école secondaire Central à Victoria, Colombie-Britannique.

Traduit par Jocelyne Dickey, biologiste et professeure de biologie et informatique à la retraite, traductrice bénévole depuis 2004, Québec

Ce qui précède est une traduction de « Bear Beach Camping Trip » qui a été publié en Green Teacher 93, Été 2011.

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