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Écoles à l’écoute : Un programme de résolution de conflits à l’école

Par Fran Jovick

Traduction par Hector Lara Velazquez

La coupe des forêts anciennes, le drainage des zones humides pour la construction de logements et la surpêche dans les océans sont des enjeux environnementaux sur lesquels on demande souvent aux élèves de se pencher à l’aide de débats, de discussions et de jeux de rôle. Réfléchir à des problèmes réels les aide à développer leur habileté à les résoudre et à prendre des décisions éclairées afin de devenir des écocitoyens responsables. Toutefois, puisque les questions environnementales font généralement ressortir les conflits entre des groupes ayant des intérêts très différents, elles soulèvent des controverses pouvant susciter de fortes émotions, voire conduire à des comportements extrêmes. Le fait d’aborder ces problèmes en classe encourage généralement les élèves à faire un effort pour comprendre le point de vue des autres. Cependant, cela ne les aide pas à développer les aptitudes particulières et nécessaires pour résoudre les disputes.

Les qualités requises pour résoudre des conflits (empathie, assurance, maîtrise de la colère, écoute sans jugement, communication non violente) sont cruciales pour interagir de façon positive avec le monde en général. Développer et utiliser ces habiletés tôt dans la vie donne aux enfants des outils pour surmonter de façon créative les conflits familiaux, en classe et dans la cour d’école. Plus tard, ces habiletés sociales leur permettront de faire des contributions positives et d’assumer un rôle de leadership pour résoudre des problèmes et des conflits dans d’autres contextes. Le texte suivant décrit un programme de médiation par les pairs dans l’école ainsi qu’un programme de vie en société qui, depuis plus de dix ans, montrent aux enfants, enseignants, directeurs d’école et parents comment collaborer pour concilier leurs différences.

Origine des Écoles à l’écoute

L’idée des « écoles à l’écoute » est née il y a plus d’une décennie dans une école primaire de la région de Sunshine Coast, en Colombie-Britannique. Le personnel, ayant remarqué une augmentation de comportements agressifs dans la cour de récréation et ne voulant pas être le seul arbitre dans les conflits personnels des élèves, a conçu une méthode qui permettrait aux élèves de résoudre leurs propres problèmes. La première étape a consisté à implanter un programme de médiation par les pairs dans lequel les élèves de la 4e à la 7e année qui se sont portés volontaires pour être pairs-conseillers ont reçu une formation pour arbitrer les disputes dans la cour. Les professeurs ont vite réalisé que pour que le programme soit plus efficace, tout le monde devait acquérir les compétences et connaître les processus de négociation et de médiation, et non seulement les élèves médiateurs. Une année plus tard, l’apprentissage de ces compétences était devenu le cœur d’un programme de vie en société à l’école. Ce programme montre aux enfants des habiletés spécifiques et un processus de résolution de conflits, et les encourage à assumer la responsabilité de leurs actions.

Le programme de médiation par les pairs

Chaque année, de 20 à 30 élèves se portent volontaires pour agir à titre de pairs-conseillers. Chaque semaine, ils reçoivent une formation d’une heure dans laquelle ils apprennent à mieux communiquer (notamment par une meilleure écoute), à gérer la colère, et à développer leur empathie (rester curieux et ne pas juger), leur confiance en soi et leurs compétences à la négociation et à la médiation. La période de formation de 25 semaines comprend une retraite d’une journée pour la consolidation d’équipe. Pendant leur formation, les pairs-conseillers travaillent sur :

  • les habiletés de communication telles qu’écouter attentivement, poser des questions ouvertes, parler au « je » et non au « tu » (exemple : « Je suis fâché » à la place de « Tu m’énerves! »);
  • comprendre les raisons d’un comportement (besoin d’attention, vengeance, contrôle, découragement, anxiété, etc.);
  • comprendre la dynamique de la colère, la maîtriser et la dissiper;
  • exercer la médiation par des jeux de rôle qui utilisent un procédé de huit étapes pour résoudre les problèmes (voir l’encadré).

Les pairs-conseillers travaillent en équipe avec un adulte de garde durant la récréation et l’heure du repas. Ils aident à résoudre une panoplie de problèmes, tels que : les disputes au sujet d’une balle ou d’une planche à roulettes, le non-respect de règles de jeu, les injures, les ragots et le fait d’empêcher quelqu’un de se joindre à une activité. Les pairs-conseillers adroits proposent de l’aide dès que le problème se présente ou interviennent de façon préventive en demandant à un élève s’il veut parler ou se promener. Pour gagner la confiance de leurs camarades, les pairs-conseillers doivent savoir comment utiliser le pouvoir qu’ils ont en tant que médiateur. Ils doivent toujours, par exemple, utiliser le processus de médiation pour régler les conflits et non simplement porter un jugement ou intervenir directement (par exemple, enlever la balle à un élève et la donner à un d’autre). Les habiletés des pairs-conseillers varient et les élèves apprennent vite à identifier les meilleurs, de sorte que certains pairs-conseillers obtiennent plus de « travail » que d’autres.

Une fois par semaine, les pairs-conseillers se réunissent pour discuter des problèmes et pour pratiquer des habiletés spécifiques. Ces rencontres portent essentiellement sur leurs succès ainsi que sur les points qu’ils n’ont pas réussi à régler. Le groupe en discute et confie ce genre de cas au psychologue de l’école ou à un enseignant. Parfois, les pairs-conseillers, à l’aide du psychologue, abordent à nouveau le problème en groupe, notamment quand un élève cause constamment des difficultés. Les rencontres et la formation se déroulent pendant les heures de cours, ce qui envoie un message clair sur l’importance que leur accordent les professeurs.

Le processus de résolution de conflits a mené à la formation de groupes de soutien pour les élèves victimes d’intimidation. Le psychologue forme ces groupes avec des pairs-conseillers ou des élèves réputés avoir un « grand cœur » et la reconnaissance de leurs pairs. Le groupe de soutien rencontre individuellement les élèves responsables d’intimidation pour leur demander de collaborer. La plupart d’entre eux finissent par se joindre au groupe et par utiliser leur influence dans le but d’arrêter les comportements intimidants. Ces groupes sont devenus un outil puissant pour faire et maintenir des changements et pour aider les élèves victimes d’intimidation à se faire entendre et à se sentir écoutés et épaulés. Quelques groupes anti-intimidation sont maintenant permanents et aident les élèves qui ne sont pas bien traités et qui ont besoin de conseils pour changer les choses.

 

Programme de vie en société à l’école

Ces dernières années, le volet « vie en société » du programme a pris de l’envergure grâce à l’enseignement systématique d’habiletés essentielles pour une interaction sociale positive, telles que :

  • habileté de communication, par exemple écouter sans interrompre;
  • maîtrise de la colère;
  • assurance, ou comment s’affirmer verbalement;
  • empathie, ou comment voir les choses d’une autre perspective, se mettre à la place du voisin;
  • discours interne positif, ou comment conter jusqu’à dix avant de répondre ou se dire à soi-même « Calme-toi. » ou « Je peux gérer la situation. »;
  • enrichissement du vocabulaire pour exprimer un éventail d’émotions plus étendu et complexe que seulement « fâché », « triste » ou « heureux »;
  • gestion de la critique;
  • identification des pensées nuisibles et renversement en des pensées constructives. Par exemple, passer de « Je vais me venger! » à « Je peux gérer cette situation. »;
  • gestion du stress au moyen de techniques de relaxation impliquant la musique, le dessin et des exercices de respiration ou de visualisation;
  • utilisation de la méthode de résolution de problèmes en huit étapes.

Méthode de résolution de problèmes en huit étapes

  1. Établir des lignes directrices :
  • être d’accord pour résoudre le problème;
  • ne pas s’exprimer par reproches, injures ou gestes impolis;
  • dire la vérité;
  • écouter sans interrompre l’autre.
  1. Chacun donne sa version du problème.
  2. Chacun doit répéter ce qu’il a compris de ce que l’autre a dit.
  3. Chacun peut inclure ce qui a été omis ou qui doit être clarifié.
  4. Chacun peut présenter sa solution idéale.
  5. Chacun peut dire quelle solution est réalisable et pourra régler le problème.
  6. Accepter une solution pratique pour les deux parties.
  7. Être d’accord pour participer à une rencontre de suivi pour savoir comment vont les choses ou pour chercher une autre solution, au besoin.

Ces habiletés ne sont pas mutuellement exclusives et ne sont pas présentées en ordre d’importance. Les enseignants étant encouragés à adapter la formation aux besoins de leurs élèves, ils cibleront pour chaque séance différents points.

Pour optimiser le programme de vie en société, il est important de réserver du temps chaque semaine pour discuter en détail d’une habileté spécifique. Pendant la séance, l’enseignant présente un scénario où l’on doit résoudre un problème en utilisant cette compétence. Les scénarios reflètent normalement des conflits qui se passent réellement à l’école, par exemple un élève qui pousse un autre en dehors de la file d’attente pour l’autobus scolaire. Dans ce cas, l’habileté pourrait être la maîtrise de la colère. Le centre d’intérêt de la discussion en classe sera de comprendre le cycle vicieux de colère et de le freiner grâce à un discours interne positif tel qu’« arrête-toi et pense avant de réagir ». L’enseignant donne des exemples de discours positifs et les met en pratique avec les élèves. Chaque jeu de rôle est analysé afin de perfectionner l’habileté spécifique et les élèves sont encouragés à se féliciter lorsqu’ils l’utilisent dans leurs activités quotidiennes.

Lorsque les élèves ont atteint un certain niveau de compétence, l’école crée un forum afin qu’ils puissent s’exercer à résoudre des conflits selon la méthode qu’on leur a enseignée. En effet, la théorie ne suffit pas; les élèves ont besoin de travailler sur des problèmes réels pour apprendre. Les disputes dans la cour de récréation, les conflits interpersonnels et les abus de pouvoir entre pairs, ça, c’est du concret.

Le processus de médiation par les pairs et le programme de vie en société sont maintenant ancrés dans la culture scolaire, de façon à ce que les élèves, les enseignants, les directeurs d’école et plusieurs parents utilisent la méthode en huit étapes dans leurs interactions quotidiennes. Les enseignants ainsi que les directeurs d’école interviennent encore quand la sécurité est en jeu, mais ils utilisent la méthode de résolution de problèmes pour la dimension personnelle du conflit. Les élèves l’utilisent pour résoudre leurs propres conflits avec leurs amis et, parfois, avec les enseignants ou leurs parents. Dans le cas où ces moyens ne suffisent pas, les élèves et les enseignants peuvent demander une séance de médiation avec le psychologue. Enseignants et parents soutiennent le programme de résolution de problèmes en accordant du temps aux élèves pour une telle médiation.

 

Les écoles à l’écoute fonctionnent

Les programmes de médiation par les pairs et de vie en société ne se fondent pas sur des recettes miracles, mais utilisent plutôt les conflits comme contexte pour acquérir et exercer les habiletés sociales. À mesure que ces habiletés se développent, l’aptitude des élèves à reconnaître et créer des options pour eux-mêmes s’améliore aussi. Les élèves qui arrivent dans une école où on pratique la médiation remarquent la différence avec leur ancienne école : ils n’ont pas l’habitude de résoudre des problèmes, et ce n’est pas étonnant. Ils ont parfois besoin d’un certain temps pour réaliser qu’ils seront tenus responsables de leurs actions. À défaut de se savoir responsables, les élèves pourraient dire aux enseignants : « C’est à vous de décider. » Après quoi, s’ils n’aiment pas la décision, ils se sentent libres de se venger ou de résister passivement. Avec le programme de médiation, les élèves s’éloignent du « mode vengeance » et cherchent une solution dans laquelle ils veulent s’engager. Il s’agit ici d’un changement radical par rapport au processus traditionnel où les adultes prennent et transmettent les décisions. Les élèves et les enseignants doivent s’habituer à collaborer pour résoudre leurs problèmes et pour passer du concept de « pouvoir d’en haut » à celui de « pouvoir partagé », mais les résultats en valent la peine.

Le plus grand défi que rencontrent les écoles avec le programme de résolution de conflits est d’y mettre une énergie constante. Les élèves se montrent enthousiastes, mais ils ont besoin d’un soutien continu, d’encouragement et de savoir-faire, tout comme les nouveaux enseignants et élèves qui arrivent dans la communauté scolaire. C’est plus facile quand tout le monde adhère à la philosophie du programme et en reconnaît les bienfaits.

L’intensification de la violence verbale et physique dans nos communautés (et dans le monde entier) crée le besoin d’instaurer de tels programmes. Quoique les conflits soient inévitables, les enfants ainsi que les adultes peuvent apprendre des manières positives de les gérer. Apprendre à écouter, à être empathique, à ne pas juger, à dialoguer avec ceux qui ont un avis différent, telles sont les habiletés dont les enfants ont besoin afin de fonctionner comme membres d’une communauté, d’établir des relations, de défendre des idées et de mener des actions dans le monde. Nous demandons aux enfants de prendre conscience de l’ampleur des problèmes mondiaux auxquels nous faisons face. Nous devons aussi leur donner des outils pour qu’ils parviennent ensemble à les résoudre.

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Fran Jovick est un expert-conseil pour le Sunshine School District de Gibsons, en Colombie-Britannique.

Hector Lara Velazquez est finissant du programme de traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

Ce qui précède est une traduction de « Cool Schools: A Schoolwide Conflict Resolution Program » qui a été publié en Teaching Green – The Elementary Years.

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