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Explorer le monde de chez soi

Par Joe Grabowski
Traduction par Marjolaine Charron

Du centre de formation de la NASA à Houston, au Texas, un astronaute nous dévoile tous les détails des combinaisons spatiales et des repas déshydratés; de sa chambre d’hôtel, en Équateur, une exploratrice en herbe nous fait part de l’excitation de découvrir deux nouvelles espèces de raie manta; et de la Palestine, un journaliste nous rapporte les espoirs et les peurs d’habitants d’îles du Pacifique dont les maisons disparaissent lentement sous les vagues. Ces événements fascinants, sans rapport apparent les uns avec les autres, sont le lot d’une journée typique dans ma classe de 1re secondaire. Nous explorons le monde depuis la salle de classe. C’est facile, d’explorer le monde de chez soi, et vous aussi pouvez le faire avec vos élèves!

J’enseigne depuis maintenant cinq ans et, il y a deux ans, je cherchais un moyen de donner un nouveau souffle à mes leçons de sciences. Détenteur d’une majeure en sciences biologiques, je m’efforce de partager ma passion des sciences et de la nature avec mes élèves. En septembre 2013, j’ai commencé à contacter des scientifiques à travers le monde qui souhaiteraient bavarder avec mes élèves par Skype afin d’agrémenter mes leçons sur la biodiversité. Ce qui ne devait être, au début, que quelques discussions par-ci par-là a rapidement pris de l’envergure et est devenu un projet en lui-même : à la fin de l’année, c’est avec plus de cinquante scientifiques aventuriers et écologistes que nous avions interagi. Participer à une expédition sur un volcan actif en Italie, se promener dans une colonie de manchots d’Adélie en Antarctique et bavarder avec Fabien Cousteau (le petit-fils de Jacques) depuis un laboratoire du plancher océanique ne sont que quelques exemples de connexions établies dans ma classe, dont le nombre dépasse maintenant les quatre-vingts. Et ce n’est que le début!

Avec un peu de chance, votre curiosité est piquée et vous avez déjà plein de questions à poser. Peut-être que ça vous semble trop gros? Je le pensais aussi au début, mais je peux vous assurer qu’un programme de ce genre peut facilement être intégré à votre classe. Vraiment! Faire entrer le monde peut s’organiser en quelques courriels. Je me fais souvent demander comment je parviens à dénicher des conférenciers et où je trouve le temps de le faire. Dans les prochains paragraphes, je vous expliquerai le tout en quelques étapes faciles et vous donnerai quelques astuces pour commencer le projet dans votre classe dès cette année.

Se lancer dans le projet

Comment faire? Dans ma classe, nous utilisons deux plateformes : Skype et Hangouts de Google. Skype est excellent pour les conversations en tête à tête, alors que Hangouts permet à plusieurs classes de partager la même expérience et est préféré par plusieurs groupes offrant des voyages virtuels sur le terrain. Vous n’avez besoin que d’un ordinateur et d’une caméra Web. Toutefois, l’expérience pour une classe entière peut s’améliorer considérablement si vous avez un projecteur ou un tableau blanc électronique.

Au début, pour trouver et contacter des conférenciers, j’ai utilisé un site Web affilié à Skype, Skype in the Classroom. En plus d’être convivial, ce site regroupe une communauté mondiale de plus de 80 000 éducateurs. Vous pouvez facilement y rechercher des conférenciers et leur écrire pour organiser des leçons en classe. Ce programme crée aussi des tonnes de possibilités, dont interagir avec d’autres classes, profiter des leçons d’autres enseignants ou jouer à des jeux comme Mystery Skype. Après avoir gagné en confiance dans ma recherche de conférenciers, j’ai commencé à en chercher ailleurs. J’en ai trouvé, entre autres, en naviguant sur internet, en contactant des gens que d’autres conférenciers m’avaient recommandés, et même en écrivant à d’autres spécialistes m’ayant semblé intéressants que j’avais vus à la télévision. Ainsi, je peux dénicher des spécialistes du domaine à l’étude. J’envoie aux invités potentiels un courriel afin de leur expliquer le déroulement en classe et de leur demander s’ils aimeraient se joindre à nous. Jusqu’à maintenant, les réponses ont été en très grande majorité positives, à ma grande surprise. En commençant à contacter des explorateurs de National Geographic et des scientifiques de documentaires, je m’attendais à ce qu’on me réponde « non », ou à ce qu’on ne me réponde carrément jamais. J’étais dans l’erreur, les réponses alliaient généralement excitation et impatience à prendre part au projet. Plusieurs scientifiques se souvenaient d’avoir été exposés à de bons modèles et de leur influence positive; d’autres auraient voulu que leurs enseignants aient fait de pareils projets dans leur classe. Parfois, la réponse n’est pas immédiate, mais c’est tout à fait normal si vous contactez un scientifique ou un explorateur : ils sont souvent sur le terrain pour plusieurs semaines. Par ailleurs, lorsqu’on me répond par la négative, c’est habituellement par manque de temps, et on me dirige souvent vers un autre spécialiste du domaine qui pourrait être intéressé. Il ne faut généralement que quelques courriels pour déterminer une date, une heure et une formule. Souvent, le conférencier prépare une leçon ou me fait part au préalable d’un jeu de questions et de réponses avec des liens, des vidéos et des images. L’invité peut aussi facilement partager l’écran pour montrer à vos élèves ces PowerPoint, ces images ou ces vidéos.

En plus de bavarder avec de célèbres scientifiques, votre classe se transportera fréquemment sur le terrain lors de voyages virtuels. Jusqu’à maintenant, j’ai expérimenté deux manières de nous rendre sur le terrain tout en demeurant dans le confort de notre classe. Google a développé, pour les classes se connectant avec Hangouts, un partenariat avec de nombreuses institutions afin d’offrir d’incroyables visites virtuelles d’endroits tels que des zoos et des aquariums. Si vous ne pouvez assister aux visionnements en direct, soyez sans crainte, car ils sont tous enregistrés automatiquement sur YouTube et peuvent être visionnés sur la page de l’événement ensuite. Un des visionnements qui m’a particulièrement marqué en est un de National Geographic : quatre explorateurs profondément enfoncés dans le delta de l’Okavango au Botswana installent des émetteurs de contrôle de la qualité de l’eau. Vous ne pouvez assister à une scène africaine plus pittoresque : une vaste plaine verte traversée par une rivière sinueuse certainement grouillante d’hippopotames et de crocodiles sous la surface, de magnifiques chants d’oiseaux exotiques en guise de bande sonore, et un grand éléphant mâle franchissant la rivière sur cette scène idyllique. Vous et vos élèves pourrez vous perdre pendant des heures dans le site Web Google Cultural Institute, et ce, selon votre horaire. Votre classe pourra visiter des sites historiques comme Robben Island et profiter d’une vue à 360 degrés décrite par un ancien détenu comme guide touristique. Plusieurs musées et galeries d’art à travers le monde ouvrent grandes leurs portes et vous permettent de marcher dans leurs couloirs, de regarder les peintures de si près que vous pourrez apercevoir les coups de pinceau, le tout en haute résolution.

Nous avons nommé le projet « Exploring by the seat of you pants » puisqu’il permet à la classe d’explorer le monde sans avoir à quitter le local. Le nom est également révélateur puisqu’on ne sait jamais où mènera la prochaine connexion. Comme je suis un plongeur passionné, j’ai tâché de trouver des spécialistes étudiant les océans, et en particulier les requins. Après avoir discuté avec la biologiste de la vie marine et la fondatrice de Sharks4Kids Jillian Morris, mes élèves ont pu dépasser la peur entourant ces animaux. Ils ont appris que les requins sont en réalité en danger, puisque 100 millions d’entre eux sont tués chaque année. En apprenant qu’en Australie-Occidentale on abattait ces animaux, mes élèves ont décidé d’agir et d’écrire des lettres ouvertes au premier ministre. Sa réponse décevante ne nous a laissé d’autre choix que de riposter. Dans la foulée, nous avons fait les manchettes nationales et internationales; nous avons créé des vidéos pour des groupes de conservation; nous avons fait des entrevues avec certaines stations de radio de Perth; et des invités sont venus en personne à notre école. Ce n’est qu’un exemple des chemins imprévus où les échanges peuvent nous mener.

Vous aussi avez des passions : trouvez le moyen de les incorporer à vos explorations. Vos élèves percevront votre enthousiasme et vous aussi vous amuserez. Communiquez avec vos élèves et laissez-les parfois choisir le sujet. Ils adoreront et jamais vous n’obtiendrez d’aussi bonnes compositions qu’après les avoir initiés à un sujet qui les touche ou les passionne. Si vos élèves s’accordent bien avec un de vos invités, n’arrêtez pas là. Creusez le sujet, créez d’autres liens connexes et trouvez un moyen d’en faire un plus gros projet. Laissez vos élèves faire entendre leurs voix et parler au nom des enjeux de justice sociale ou de conservation qu’ils viennent de découvrir, par des lettres ouvertes ou des vidéos. Envoyez-les voir des groupes de conservation ou des personnes du gouvernement et laissez-les prendre conscience du pouvoir que peuvent avoir leurs voix, même de loin. Dans dix ans, ils auront probablement oublié tous leurs cours de mathématiques de l’école primaire, mais ils n’oublieront jamais ce moment où ils se sont promenés avec les pingouins en Antarctique ou cet autre où ils ont pris connaissance des mesures prises par un protecteur de l’environnement contre la chasse close en Afrique du Sud.

J’ai déjà mentionné que, jusqu’à maintenant, la plupart des réponses étaient excellentes des deux côtés, puisque bon nombre de nos invités sont excités à l’idée d’essayer pour la première fois une telle collaboration avec des élèves. Il peut arriver qu’un conférencier devienne trop technique et enseigne un peu au-dessus du niveau des élèves. Je me souviens particulièrement de l’un d’eux, qui a tenté d’expliquer l’écologie insulaire d’une manière trop compliquée pour mes élèves de 1re secondaire. Comme j’étais moi-même plutôt fasciné par le sujet, je ne me suis rendu compte qu’après un certain temps que mes élèves ne suivaient plus la leçon. Il est donc important de spécifier l’âge des auditeurs à vos invités et de ne pas hésiter à faire un pas en arrière si nécessaire. Dans de telles situations, j’utilise aussi la technologie pour aider mes élèves. Lors de certaines conversations, je distribue des iPad et des Chromebook que les élèves peuvent utiliser pour approfondir ce qu’ils n’ont pas bien compris ou pour susciter des questions pendant que l’invité est toujours en ligne. Les conférenciers vont quelquefois même jusqu’à mettre les élèves au défi avec les outils utilisés en classe.

Insérer le projet dans votre programme scolaire

Ce sont évidemment les sciences qui bénéficient le plus de ce projet. Imaginez une unité spatiale et un jeu de questions et de réponses avec un astronaute, la visite virtuelle télescopique au sommet d’un volcan éteint d’Hawaï, l’effondrement d’un rover martien en compagnie d’un membre du Laboratoire scientifique pour Mars et une leçon sur la recherche de vie intelligente dans l’univers avec un astrobiologiste! Mes élèves ont la chance d’être en contact avec les plus grands spécialistes du monde dans de nombreux domaines et d’apprendre comment des enjeux tels que les changements climatiques, la surpêche et la disparition d’habitat perturbent notre planète. Les vôtres aussi le peuvent, vous n’avez qu’à demander. Nous avons eu le privilège de suivre des recherches et des travaux de conservation d’avant-garde, ainsi que de voir des séquences vidéo inédites. C’est à pas de géant qu’ils ont amélioré leurs aptitudes à questionner, en passant de « Quelle est ta créature des mers préférée? » à « Quels genres de relations symbiotiques observez-vous sur le récif corallien? »

Les sciences humaines et la géographie en profitent également, puisque les élèves développent leurs aptitudes en cartographie et en apprennent sur d’autres cultures ailleurs dans le monde. Lors de notre leçon sur le partenariat commercial, nous sommes entrés en communication avec des classes d’un pays partenaire commercial pour en savoir davantage sur leur économie. Nous avons aussi fait une séance de remue-méninges avec une classe du Brésil sur les manières de rendre nos écoles plus vertes. Après avoir mis en œuvre certaines des idées, nous nous sommes recontactés pour nous raconter nos succès. La langue est une autre ressource pleine de possibilités : vous pouvez entrer en contact avec un auteur ou jumeler votre classe à celle d’un autre pays et trouver à vos élèves des partenaires de lecture ou des correspondants (ils peuvent même ne pas avoir la même langue maternelle).

Nous avons présenté notre projet de sciences à d’autres classes des États-Unis. Nous avons appris à écrire de bons textes argumentatifs tout en apprenant sur la chasse close en Afrique. Ce que nous n’avons jamais essayé mais qui se trouve sur ma liste sans fin, c’est un groupe d’étude sur un livre. Nous pourrions trouver une classe n’importe où ailleurs qui lit le même livre et continuellement échanger des réflexions et des questions. Les possibilités ne sont limitées que par votre créativité!

Élargir ses horizons

Depuis que j’ai lancé ce projet, je me suis laissé tenter et j’ai commencé à enseigner mes propres leçons par Skype sur la plongée en scaphandre autonome et sur les problèmes actuels des océans à des classes en Irlande, en Inde et en Argentine, pour n’en nommer que quelques-unes. Ma relation avec Sharks4Kids, qui a commencé en demandant à Jillian Morris de discuter avec mes élèves, s’est développée depuis et j’en suis maintenant le directeur de l’éducation. Chaque mois, je reçois par Hangouts un spécialiste différent sur une science de la mer. Nous réussissons souvent à être une cinquantaine de classes. Plus récemment, je suis entré en contact avec deux aventuriers anglais qui se lanceront bientôt dans une aventure épique : descendre en kayak tout l’Amazone. Nous les avons rencontrés une première fois par Google Hangouts, en direct de Lima, au Pérou, quelques jours avant leur départ. Nous leur parlerons une deuxième fois environ à mi-chemin et une troisième fois à Rio, lorsqu’ils auront terminé de pagayer. Durant tout leur périple, des classes de partout à travers le monde pourront suivre leur progression et se joindre aux Hangouts. Comme vous pouvez le constater, il existe de nombreuses manières pour les enseignants de s’impliquer et de participer au plaisir. Vous ne pouvez jamais savoir jusqu’où vous mènera une connexion : d’incroyables expériences vous attendent au détour, ou plutôt sur l’écran de votre ordinateur! Ces conférences pourraient avoir une influence considérable sur le futur de vos élèves; vous leur présentez des carrières excitantes, des chemins et de potentiels mentors qui ont beaucoup à leur apprendre. Grâce aux réseaux sociaux, vos élèves peuvent recontacter les scientifiques et les aventuriers sur Twitter et Facebook, lesquels n’en seront que plus heureux.

Dans la classe, l’enseignant cherche souvent à retenir l’attention des élèves, et il n’en est pas toujours capable. Les téléphones intelligents, la téléréalité, les jeux vidéo, les terribles modèles que sont les célébrités et le flux continuel de publicités sont de redoutables adversaires. « Explorer le monde de chez soi » est devenu un outil pour attirer l’attention de mes élèves, pour les exposer à un monde incroyable et pour leur expliquer nombre de concepts de justice sociale, bien au-delà des frontières de notre communauté locale. Ils rencontrent d’étonnants modèles, qui leur font découvrir d’autres perspectives, de nouvelles connaissances et de surprenantes prouesses d’endurance. Rien ne vaut le sentiment de récompense ressenti lorsque des parents me disent que leur enfant a parlé sans retenue d’un conférencier ou passé la soirée à rechercher des informations sur l’un d’entre eux ou sur ses propos. Le projet peut sembler exigeant, mais vous n’avez pas à en faire autant, à vous de l’adapter selon votre énergie, à vos besoins. Je vous mets au défi de sortir de votre zone de confort et de créer une ou deux connexions. Je vous garantis que ni vous ni vos élèves ne serez déçus.

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Joe Grabowski est un enseignant de sciences et de mathématiques au secondaire, à Guelph, en Ontario. Ce plongeur passionné essaie de profiter de la vie aquatique autant que possible. Il vient de lancer le projet sans but lucratif « Exploring by the seat of your pants » avec deux buts en tête : 1) mettre en contact des classes avec des conférenciers pour les faire profiter de voyages virtuels à travers le monde; 2) aider à financer la recherche innovatrice sur la conservation et les expéditions. Il s’est associé des partenaires de partout, qui ajoutent du contenu et de nouvelles expériences excitantes au projet. Voir www.exploringbytheseat.com 

Marjolaine Charron est diplômée du baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

Ce qui précède est une traduction de « Exploring by the Seat of our Pants » qui a été publié en Green Teacher 107, Automne 2015.