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La durabilité sur des Post-it

Par Elissa Brown

Traduction par Jérôme LeBel

“LEVEZ LA MAIN si vous avez réduit votre consommation de quelque chose, ou encore si vous avez recyclé ou réutilisé un objet quelconque la semaine dernière”, demandé-je à mes élèves. Beaucoup d’entre eux s’exécutent. “C’est bien, mais est-ce suffisant?, continué-je, avant d’écrire en grosses lettres au tableau : REPENSER. À votre avis, qu’est-ce que ça veut dire de “repenser” notre monde et notre façon d’y vivre?”

La plupart des élèves vous diront spontanément à quoi correspondent les trois R : réduire, réutiliser et recycler. Cependant, il y a un autre R très important : repenser, qui veut dire prendre du recul et faire preuve d’ingéniosité pour réinventer entièrement nos systèmes, nos produits et nos façons de faire. Lorsque mes collègues titulaires de classes de la fin du primaire et du début du secondaire et moi avons décidé d’enseigner un bloc interdisciplinaire sur la durabilité, j’ai choisi d’éviter les éternelles prévisions pessimistes afin de promouvoir les aspects positifs et stimulants de la durabilité. C’est ainsi que le Rethink Challenge (Défi Repenser) est né.

Le but du Rethink Challenge était de générer le plus d’idées possible sur la vision d’un avenir durable. Nous avons écrit ou dessiné nos ébauches sur des petits papillons Post-it. Nous avons donc amassé une grande quantité de descriptions et d’images couvrant l’étendue des possibilités. Avec le temps, un mur de notre classe s’est transformé en mosaïque multicolore, chaque papillon présentant une idée pour contribuer à un avenir durable. Certains Post-it décrivaient des inventions ou illustraient des aménagements de rues, alors que d’autres expliquaient des changements de façons de faire à grande échelle. Pendant deux mois, ce projet a nécessité un peu de temps chaque jour, mais nous pouvions continuer simultanément à avancer dans le programme général. J’enseignais alors de la sixième à la huitième année; le projet peut toutefois être adapté pour n’importe quel niveau.

Voilà que je m’adresse une fois de plus à la classe : “Le principe de repenser, c’est de faire preuve d’imagination. N’importe qui peut mettre une canette au recyclage, mais repenser les systèmes demande de la créativité. Nous aurons besoin de créativité pour façonner un avenir dans lequel nous voulons vivre. Nous devrons donc être inventifs, brillants, et peut-être même un peu fous.”

Pour présenter le Rethink Challenge, j’ai recours à quelques objets : un sac de croustilles vide, une assiette en styromousse et l’emballage d’une barre de céréales. “Regardez tous les déchets provenant de l’emballage de ma nourriture, fais-je remarquer aux élèves. Je ne peux pas les recycler. Je ne veux pas vraiment les réutiliser ─ je brandis alors l’assiette salie de spaghetti ─, et ce n’est qu’une infime partie de ce que notre école jette quotidiennement. Je pense que j’aurais pu réduire ma quantité de déchets dès le début en achetant de la nourriture comportant moins d’emballage, mais pourquoi ne pas remonter plus loin dans la chaîne de production? Pourquoi ne pas carrément repenser l’emballage de la nourriture?”, demandé-je avant de marquer une pause.

“Par exemple, imaginez si l’emballage n’existait tout simplement pas, si la norme était d’apporter des contenants réutilisables et d’acheter la nourriture en gros. Et si tous les emballages étaient facilement compostables, s’ils avaient même des graines incrustées à l’intérieur? Et si les emballages étaient faits d’un matériau que l’on pourrait facilement rincer, plier, puis réutiliser dans un projet de bricolage? Ce ne sont là que quelques manières de repenser l’emballage des aliments. Avez-vous d’autres idées?” J’invite les élèves à discuter en groupes de deux, puis quelques-uns font part de leurs idées à la classe.

La plupart d’entre eux avaient déjà entendu parler du concept de durabilité, mais je voulais tout de même m’assurer que tout le monde le comprenne avant de lancer le défi. Pour se réchauffer, les élèves ont tous dressé une liste des mots qu’ils associaient à la durabilité. Ensuite, ils ont créé des définitions en petits groupes, que nous avons mises ensemble pour concevoir une définition commune. Selon l’agence de protection de l’environnement des États-Unis (United States Environmental Protection Agency), “ la durabilité consiste à créer et à maintenir des conditions de vie dans lesquelles les êtres humains et la nature peuvent vivre en harmonie productive, conditions qui permettent de répondre aux besoins des générations présentes et futures, qu’ils soient de nature économique, sociale ou autre.1 ”. Notre définition contenait l’essentiel de cette dernière, mais puisque les élèves l’avaient composée eux-mêmes, ils se sentaient davantage engagés dans l’exercice.

Comment faire?

Au début, établissez un nombre d’idées comme objectif à atteindre par votre école. Notre école a choisi d’en produire 500, ce qui semblait très impressionnant, même si cela ne représentait qu’environ 10 idées par personne. Plusieurs jours par semaine, remplacez l’activité de mise en train habituelle par une période de 5 à 10 minutes consacrée à l’idée de « repenser ». À ce moment-là, tout le monde doit produire une idée sur un Post-it, même l’enseignant.

Affichez les papillons à l’endroit que vous aurez choisi, accompagnés d’un titre clair et d’un résumé du projet. Le nôtre s’intitulait : “Le Rethink Challenge : des idées, des projets et des inventions pour un avenir durable.” Les couloirs font très bien l’affaire si vous pouvez vous en servir; dans notre cas, nous avons utilisé un coin de la classe. Une partie du défi tourne autour de l’aspect communautaire : les élèves aiment regarder les idées des autres et voir que les leurs font partie d’une vaste panoplie. Donnez du temps aux élèves pour qu’ils prennent connaissance des diverses idées et fassent des commentaires. L’exposition des idées a généré des discussions et des débats en continu dans notre classe, de la logistique d’exploitation de l’énergie provenant d’une roue pour hamster à la technologie intelligente déjà existante dans les automobiles. Souvent, un effet boule de neige s’en suivait; des idées s’inspiraient des autres ou en façonnaient de nouvelles.

En plus, les élèves pouvaient choisir de s’inscrire au One-A-Day Challenge (Défi Une par jour ), par lequel ils s’engageaient à générer au moins une idée par jour d’école jusqu’à une date limite prédéterminée. Nos participants ont choisi de le faire pendant 50 jours, mais une période d’un mois conviendrait aussi très bien. Ces élèves devaient donc concevoir une idée tous les jours, même lorsqu’il n’y avait pas de temps prévu à cet effet en classe. Je trouve que l’autodiscipline nécessaire donnait aux participants une motivation toute particulière; certains venaient à mon bureau pendant les périodes libres, impatients de griffonner une idée.

Environ une fois par semaine, donnez aux élèves une orientation précise pour qu’ils repensent un aspect de l’avenir en particulier, comme l’habitation ou le transport (voir l’encadré). Ces orientations peuvent être inspirées d’une courte présentation de type TED (technology, education, design) ou d’une image : des maisons faites à partir d’arbres greffés jusqu’aux autobus scolaires fonctionnant à pédales. Allouez alors plus de temps pour la réflexion, le dessin et la discussion, en petits groupes ou avec la classe, avant l’affichage des idées.

Le Rethink Challenge permet de faire des liens avec d’autres matières ou sujets de recherche. Par exemple, chaque élève peut créer une affiche présentant des gestes durables à poser autour de l’école; concevoir des cartes présentant l’allure d’une ville durable; calculer l’économie d’énergie liée à des pratiques durables; ou encore trouver les cinq meilleurs changements au mode de vie pour promouvoir la durabilité lors de remue-méninges, puis choisir une idée à adopter pour le reste de l’année, et ainsi de suite. Les idées des Post-it peuvent servir de sujet pour un débat et pour un texte argumentatif ou à faire parvenir à la tribune libre d’un journal. Ce projet peut aussi intégrer une activité sur l’empreinte écologique2. Sinon, pourquoi ne pas incorporer un volet d’action sociale? Après tout, le défi ne consiste pas simplement à concevoir des engins futuristes : il s’agit aussi de réfléchir à la manière de changer les façons de faire dans la collectivité, et à ce que les élèves peuvent faire pour provoquer ces changements. Une composition inspirée par une question telle que  “Comment notre école peut-elle promouvoir la durabilité?” peut mener à une réflexion et à de vrais changements.

Dans toutes les matières, il est possible de continuer d’enseigner le programme de base, mais en ajoutant des volets sur la durabilité. Des événements d’actualité susciteront des occasions de repenser; les élèves peuvent même apporter des articles traitant des propositions présentées sur les Post-it. Par exemple, ma classe a lu un article sur la viande artificielle3, puis les élèves ont écrit un texte d’opinion à ce sujet. Est-ce que la viande produite en laboratoire est une avancée vers la durabilité? Est-ce qu’elle contribue à entretenir des relations malsaines avec notre environnement? Ou est-ce plutôt une idée prometteuse, mais trop bizarre pour qu’on puisse réellement concevoir de manger cette viande? Cette activité a mené à un débat en classe, puis à une discussion plus générale sur les problèmes de durabilité liés à l’alimentation.

Le Rethink Challenge est aussi une belle occasion d’engagement envers la collectivité. Les élèves peuvent préparer une présentation sur la durabilité pour les élèves des autres niveaux et les inciter à ajouter leurs propres idées à la mosaïque. Ils peuvent interviewer des membres de leur famille ou des gens qu’ils connaissent à propos de leur vision d’un avenir durable, ou leur demander de quelle façon le monde a changé durant les dernières décennies.

Continuez de produire des idées jusqu’à ce que vous ayez atteint votre objectif. Vous suivrez le progrès sur un graphique et rapporterez les mises à jour hebdomadaires lors de réunions ou dans des infolettres. Lorsque vous aurez finalement atteint votre but, organisez une célébration thématique sur la durabilité.

Fondamentalement, ce projet est un exercice empreint d’optimisme susceptible de générer une créativité débridée. La plupart des meilleures expériences d’apprentissage se concentrent sur la profondeur et la qualité, alors que celle-ci diffère par son appel à la quantité. Le but n’est pas de penser à une seule excellente idée, mais de produire des idées novatrices de façon constante. Cela oriente la mentalité de l’élève vers une réflexion positive et ingénieuse par rapport à l’avenir. Un élément fondamental de la durabilité est le simple fait d’être capable d’imaginer un monde meilleur.

Je trouve que ce projet a changé la dynamique de notre classe : les élèves avaient hâte de venir chaque jour pour produire… des idées! Ça les rendait fébriles : ils présentaient leurs idées, lisaient celles des autres, collaboraient et contemplaient la vaste panoplie. C’était amusant et inspirant de voir notre mosaïque de petits papiers prendre de l’expansion chaque jour. Les jeunes façonneront l’avenir, et le Rethink Challenge est le genre de projet qui alimente les idées créatives nécessaires.

 

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Idées de remue-méninges

Les élèves s’inspirent de la citation suivante pour une composition ou une discussion : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. » ─ Proverbe indien

Les élèves prennent part à un jeu interactif sur le développement durable. Nous avons fait une simulation appelée « Pêcher pour l’avenir », en utilisant des M & M et des craquelins Goldfish pour simuler la surpêche et l’utilisation durable des océans4.

Les élèves partent de cette mise en situation pour une composition ou une discussion : « Imaginez que vous pouvez utiliser une machine à voyager dans le temps pour avancer de 50 ans dans l’avenir. Que voyez-vous? Est-ce un meilleur endroit que le monde d’aujourd’hui pour vivre, ou pire? Pourquoi? »

 

Exemple de sujets à repenser 

Comment imaginez-vous _______ dans un monde durable?

  • L’alimentation (production, distribution, emballage, etc.)
  • La gestion des déchets
  • L’énergie
  • Les systèmes d’aqueduc
  • Les maisons
  • L’école
  • Les transports
  • Les rues
  • Les villes

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Elissa Brown a lancé le « Rethink Challenge » avec ses élèves de sciences de la Two Rivers Community School, une école publique où l’enseignement stimule la pensée critique, la résolution de problèmes et la réalisation de projets et située à Boone, en Caroline du Nord.

Jérôme LeBel est étudiant de troisième année au baccalauréat en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke. Amoureux de l’activité physique et du plein air, il traduit dans les domaines du sport et de l’environnement.

Ce qui précède est une traduction de « Sustainability with Post-it Notes » qui a été publié en Green Teacher 103, Été 2014.

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