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La ville grandeur nature

Par Emily Stoeth

Traduction par Hubert Vachon

Vous songez à amener votre classe étudier l’écologie et les espaces naturels lors d’une sortie scolaire, mais votre école se trouve en plein cœur de la ville? Je parierais que vous planifiez une excursion dans une forêt ou une aire protégée, à l’extérieur du périmètre urbain. Avez-vous envisagé de simplement rester en ville? Il y a longtemps eu une tendance en éducation à l’environnement (EE) d’emmener les jeunes citadins en banlieue ou à la campagne pour qu’ils découvrent la « vraie nature », mais cette pratique ne fait qu’entretenir la croyance que les milieux urbains ne sont pas assez naturels pour en justifier l’étude (1). Nous n’avons pas besoin d’aller bien loin pour enseigner la nature et l’écologie à nos enfants de la ville.

En raison de l’urbanisation croissante, il devient de plus en plus essentiel pour les éducateurs d’envisager l’avenir de l’écologie et d’explorer la biodiversité unique qui s’épanouit en zones métropolitaines. Les élèves de la ville devraient connaître la nature qu’ils ont sous les yeux au quotidien plutôt que celle qui n’existe qu’à des endroits éloignés. Non seulement l’EE en milieu urbain coûte moins cher, elle permet — et c’est là le point le plus important — d’améliorer le lien entre les élèves et leur environnement et même de leur faire prendre conscience de leur rôle d’intendants de l’environnement. Cessons d’emmener nos enfants à l’extérieur de la ville et portons notre attention à l’exploration des écosystèmes urbains. Dans cet article, j’espère vous offrir les outils nécessaires pour vous permettre d’entreprendre cet apprentissage unique avec vos élèves.

 

Pourquoi étudier l’écologie en milieu urbain?

L’enseignement basé sur l’environnement n’est pas nouveau (2), mais mettre l’accent sur l’EE en milieu urbain relève d’une tendance beaucoup plus récente. Le terme est apparu dans les années 1970, même si ce type d’enseignement avait probablement déjà cours depuis trente à soixante ans avant son utilisation courante(3). L’EE en milieu urbain conçoit l’humain comme une composante de l’écosystème et juge essentiels son rôle dans l’environnement et son influence sur celui-ci. Elle amène la classe à s’éloigner du tableau, de sortir des murs pour aller vers la cour d’école, un stationnement, un parc, une rivière, un étang ou simplement un petit espace vert et donne l’occasion aux élèves de mener leurs propres recherches dans le monde réel (4). Ils peuvent ainsi observer la nature dans l’espace qu’ils côtoient tous les jours, plutôt qu’à des endroits éloignés de plusieurs kilomètres. Ces expériences en milieux naturels permettent aux jeunes élèves, avec l’aide d’adultes enthousiastes qui leur servent de modèles, de devenir eux-mêmes des adultes sensibilisés aux questions environnementales (5). Les enseignants qui intègrent l’EE en milieu urbain à leur programme scolaire ont tout pour constituer de tels modèles pour leurs élèves, qui pourront devenir de fervents amoureux de la nature pour le reste de leur vie.

L’apprentissage par investigation et l’intendance environnementale sont les éléments-clés de l’EE en milieu urbain (6). Quand les élèves étudient leur environnement, ils sont d’un naturel curieux, et les expérimentations issues de cette curiosité ont beaucoup plus d’intérêt à leurs yeux (7). Des études avancent que l’EE en milieu urbain peut même aller jusqu’à accentuer l’intendance environnementale et les comportements écoresponsables. Sur le terrain, les expériences pratiques et basées sur l’investigation permettent aux élèves d’entrevoir la place qu’ils occupent dans l’écosystème qu’est leur ville (8). Ainsi, les élèves sont plus enclins à poser des actions qui bénéficient à l’environnement, que ce soit l’organisation d’une corvée de nettoyage ou l’installation d’un jardin de fleurs sauvages pour attirer les papillons. De plus, ils font part de leurs résultats avec leurs pairs, un des aspects fondamentaux de la pratique de la science.

 

Des expériences pertinentes

L’écologie en milieu urbain offre aux élèves une voie idéale pour faire des observations, contrairement à une expérience préétablie qu’ils effectueraient machinalement et qui n’aurait aucune pertinence pour eux.

Supposons qu’il y ait un problème récurrent d’inondation dans votre cour d’école; les élèves pourraient enquêter afin de comprendre quelle infrastructure (ou l’absence de quelle infrastructure) cause le problème. Quelles solutions pourraient-ils mettre en œuvre pour réduire l’accumulation d’eau? La première fois que j’ai donné ce genre de leçon, mes élèves ont créé un diorama d’une ville côtière inondée par une marée anormalement haute; on voyait la fierté et la gratification sur leur visage lorsque nous avons aménagé des marais « éponges » qui ont absorbé l’inondation due à la haute marée subséquente. Ce sont ces liens avec des problèmes bien réels qui favorisent la participation des élèves et font d’eux d’ardents défenseurs des zones naturelles et sauvages qui se trouvent en milieux urbains. Les activités pertinentes, qui ont des liens avec les expériences personnelles des élèves, les interpelleront et les marqueront de manière durable. Elles démontrent que certaines pratiques écologiques en milieu urbain affectent la santé des gens, les politiques sociales et économiques… et vice-versa.

 

Surmonter les obstacles

Qui a le temps et l’argent?

Le temps et l’argent sont des préoccupations fréquentes en ce qui concerne les sorties scolaires. Heureusement, un des aspects intéressants de l’EE en milieu urbain est que vous n’avez pas besoin d’aller bien loin; vous n’avez souvent même pas besoin de quitter le terrain de l’école. De plus, les expériences n’ont pas nécessairement besoin d’être bien longues. Même si les études faites sur le long terme peuvent être bénéfiques, les recherches de courte durée sont également précieuses. Tâchez de découvrir s’il y a un endroit à distance de marche de votre école où emmener vos élèves. N’oubliez pas que la science se retrouve partout, que ce soit dans la cour d’école, sur le terrain de football, ou tout juste de l’autre côté de la fenêtre. Les possibilités d’expériences à ces endroits sont infinies : pourquoi ne pas étudier le comportement des pigeons ou des écureuils, ou encore évaluer la diversité des plantes, des invertébrés ou des oiseaux, etc.? Si vous restez tout près, les coûts devraient être minimes (voire inexistants).

 

Encouragez l’exploration de la cour d’école

Posez les questions suivantes à vos élèves pour les aider à explorer le monde extérieur :

  • Quelles espèces observez-vous? Combien d’espèces différentes d’insectes, d’oiseaux, de mammifères et de plantes avez-vous vues?
  • Quelles sont les différences entre les espèces qui vivent ici et dans un lieu B (en ce qui concerne la diversité, la taille, le comportement, etc.)?
  • Quelles traces décelez-vous des animaux qui sont passés dans le coin?
  • Vos observations sont-elles différentes lorsque le temps devient froid, ou entre le matin et l’après-midi?
  • En quoi l’intervention humaine dans la cour rend-elle les déplacements ou la quête de nourriture plus difficiles pour certaines espèces? Pouvons-nous changer quelque chose pour rendre leur environnement moins hostile?
  • Est-ce qu’il y a des espèces qui sont particulièrement bien adaptées pour vivre en ville? Pourquoi? Comment se sont-elles adaptées?
  • Quelles plantes poussent dans les fissures des trottoirs? Est-ce que les mêmes plantes poussent dans les fissures de l’asphalte et du ciment? Y a-t-il des endroits où aucune plante ne pousse? Si oui, pourquoi?

 

Mais je ne connais rien à l’écologie!

Il existe de nombreuses ressources vous offrant l’expertise nécessaire pour mener vos expériences, mais elles ne seront pas toujours nécessaires. Si votre groupe se rend dans un parc tout près par exemple, entrez en contact avec les centres d’interprétation de la nature ou les gardes forestiers de votre ville pour qu’ils vous offrent de l’aide ou se joignent à vous. Tâchez de découvrir des projets de science citoyenne auxquels vos élèves pourraient contribuer (plusieurs de ces projets sont parfaitement adaptés à la ville, et certains se penchent même sur l’environnement des écoles). Le National Geographic (9) est une ressource géniale pour des projets de science citoyenne; plusieurs d’entre eux sont idéals pour vos élèves, puisqu’ils offrent des instructions détaillées destinées aux non-initiés. Vous pouvez également entrer en contact avec des établissements d’éducation supérieure pour savoir si des professeurs ou des étudiants des deuxième ou troisième cycles mènent des recherches dans votre région. Ils sont souvent emballés d’apprendre que leurs projets génèrent de l’intérêt.

Vous pourriez également mener un BioBlitz (10) (source en anglais seulement), soit un recensement de la diversité biologique dans un espace restreint (une cour d’école, par exemple) avec l’aide de bénévoles, d’élèves et, souvent, de scientifiques dans un rôle de supervision. Les BioBlitz visent à identifier le plus grand nombre d’espèces en un court laps de temps. Si un tel projet vous intéresse, trouvez des ressources de perfectionnement et de formation dans ce domaine. Project WILD (11) et Project Learning Tree (12) (en anglais seulement) sont de bons organismes pour vous lancer. Ils offrent de la formation pour les enseignants ainsi que des ressources pour les programmes scolaires. Sinon, pourquoi ne pas nouer des partenariats avec différents organismes de votre ville pour vous aider à mener vos projets? Finalement, envisagez d’élaborer vos recherches écologiques de manière interdisciplinaire. Ainsi, plusieurs cours seront mis à profit pour les explorations des élèves. Si vous n’êtes pas à l’aise avec une matière, faites appel à un collègue. Gardez à l’esprit que de ne pas avoir toute les réponses fait partie de l’aventure de la recherche: vous apprendrez en même temps que vos élèves!

 

Et la discipline?

Déterminez les règles de conduite avant même de quitter l’école et assurez-vous que vos élèves sachent ce qui est attendu d’eux. Les élèves qui mènent des travaux sur le terrain se comportent généralement très bien. Il est aussi utile de leur rappeler que leurs explorations à l’extérieur influent sur leur note (13). Si la gestion des comportements est problématique, demandez à plusieurs surveillants de cous accompagner ou restez très près de l’école afin que de l’aide demeure toujours accessible.

 

La ville : la nouvelle écologie

Au lieu de balayer l’EE sur le terrain du revers de la main, les éducateurs se devraient plutôt d’intégrer ce programme scolaire innovateur, axé sur l’élève, à leur pédagogie. Ils découvriraient ainsi un outil important pour démontrer la pertinence de la science dans la vie des élèves. Comme Louv nous le rappelle : « L’école n’est pas censée être une forme polie d’incarcération, mais plutôt un portail vers le vaste monde. » Si nous oublions cela, nous oublions également qu’il est de notre responsabilité d’utiliser les aspects les plus interactifs et pertinents de l’éducation pour mettre en valeur les côtés les plus exaltants et significatifs de notre monde­­­. En parallèle à l’urbanisation toujours croissante, faire voir aux jeunes que les villes sont également des écosystèmes deviendra l’aspect central de l’EE. Alors, la prochaine fois où vous songerez à faire une sortie scolaire en nature, laissez tomber l’autobus; vous n’avez qu’à mettre les pieds dehors dans votre nouvelle salle de classe : la nature urbaine.

 

Notes

  1. Hashimoto-Martell, E. A., McNeill, K. L., & Hoffman, E. M. (2012). Con­necting urban youth with their environment: The impact of an urban ecology course on student content knowledge, environmental attitudes and responsible behaviors. Research in Science Education, 42(5), 1007-1026.
  2. Louv, R. (2008). Last Child in the Woods. Chapel Hill, NC: Algonquin Books of Chapel Hill.
  3. Russ, A. and Krasny, M. (2015). Urban environmental education trends. Trends in Urban Environmental Education. Ithaca, NY: Cornell University Civic Ecology Lab, NAAEE, and EECapacity, 12-25.
  4. Ernst, J. (2007). Factors associated with K-12 teachers’ use of environment-based education. Journal of Environmental Education, 38(3), 15-32.
  5. Chawla, L., & Cushing, D. F. (2007). Education for Strategic Environmental Behavior. Environmental Education Research, 13(4), 437-452.
  6. Russ, A. and Kransy, M. E. (2014) Urban Environmental Education. In Across the Spectrum: Resources for Environmental Educators (e-book) (2nd Edition) Eds. M.C. Monroe, and M. E. Kransy. Washington, DC: NAAEE.
  7. Barnett, M., Lord, C., Strauss, E., Rosca, C., Langford, H., Chavez, D., & Deni, L. (2006). Using the urban environment to engage youths in urban ecol­ogy field studies. Journal of Environmental Education, 37(2), 3-11.
  8. Kudryavtsev, A., Krasny, M., & Stedman, R. (2012). The impact of environ­mental education on sense of place among urban youth. Ecosphere, 3(4), 1-15.
  9. http://nationalgeographic.org/idea/citizen-science-projects/
  10. http://nationalgeographic.org/projects/bioblitz/education
  11. www.projectwild.org/
  12. https://www.plt.org/
  13. Griset, O. L. (2010). Meet Us Outside! A field ecology course to engage all students in exploring environmental issues. The Science Teacher, (2). 40.

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Emily Stoeth étudie à la maîtrise dans le programme d’Advanced Inquiry à l’Université de Miami, programme qui s’appuie sur le Dragonfly Project. Elle est également coordinatrice des bénévoles au Wildlife Conservation Society’s Queens Zoo de New York.

Hubert Vachon est finissant au baccalauréat en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke, au Québec. Il a également un baccalauréat en histoire et se spécialise en traduction en sciences humaines.

Ce qui précède est une traduction de « Wild in the City » qui a été publié en Green Teacher 111, Automne 2016.

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