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Lire le paysage

Par Janice Schnake Greene

Traduction par Marie-Caroline Braud

Manquant d’expériences de vie en plein air, nombre d’étudiants se sentent nerveux ou mal à l’aise dans la nature car cela leur semble inhabituel. Mes étudiants à la faculté me rappellent encore et toujours qu’ils ont ce sentiment d’aliénation et d’inconfort en plein air. Ils sont nombreux à ne pas vouloir que le cours ait lieu en extérieur, ils ne veulent surtout pas partir pour une journée d’étude dans des zones naturelles. Les bébêtes de l’extérieur (ex: sumac vénéneux, moustiques, tiques) les inquiètent et ils semblent ne pas avoir conscience de la multitude d’autres organismes qui vivent dehors. Dans “The Last Child in the Wood” (Le Dernier Enfant dans les Bois) Richard Louv cite une étude britannique de 2002 selon laquelle “ l’adolescent moyen de 18 ans est plus à même de reconnaître les personnages du jeu de cartes japonais Pokemon, que les espèces endogènes qui vivent dans sa communauté; Pikachu, Chrysacier et Grodoudou sont des noms qui lui sont plus familiers que loutre, scarabée ou chêne”2.

En tant qu’éducateurs, il est très important que nous aidions les étudiants à faire l’expérience, voir à apprécier la vie en plein air. Si l’opportunité leur est donnée d’observer les plantes et les animaux, et de développer une compréhension des relations et des processus qui existent dans la nature, il devient plus probable qu’ils souhaitent à l’avenir protéger la Terre. Aldo Leopold et d’autres ont appelé cet apprentissage “lire le paysage”3, une autre façon de le dire serait l’apprentissage de “l’histoire de la terre”4. Les cours de lecture du paysage peuvent s’intégrer aux programmes d’éducation, dans la mesure où cela rejoint le programme officiel et ne nécessite pas un grand volume horaire ou de préparation. Voici quelques activités que je réalise avec des groupes de tous âges, de l’école élémentaire à l’université.

Lire le paysage

Cette activité stimule la créativité et la compréhension des relations existantes dans la nature en aidant les étudiants à développer la capacité d’observer le monde naturel et de poser des questions sur les choses qu’ils ne comprennent pas. Je donne à chaque étudiant une carte plastifiée, ainsi qu’un marqueur effaçable sec. Nous marchons dehors en groupe, et on demande aux étudiants d’observer autour d’eux au fur et à mesure de la promenade et de formuler une question en lien avec une de leur observation. Auparavant, je leur expose ce qu’est une bonne question – c’est à dire, une question à laquelle on ne répond pas par oui ou par non, du type “Qu’est-ce que c’est?”. Je veux qu’ils pensent à des questions qui ont trait aux relations: par exemple, Pourquoi est-ce que des plantes poussent sous un arbre et pas sous un autre? Ou quelles effets, si effets il y a, ce puceron a-t-il sur cet arbre?

Les étudiants formulent leurs questions, les écrivent sur leur carte, et les attachent près du sujet de la question. Le groupe marche encore jusqu’à ce que tout le monde ait écrit une question. (Il m’arrive de faire travailler les étudiants en binômes, surtout s’ils n’ont jamais posé ce genre de questions ou si le groupe est large). Après que tous les étudiants ont attaché leur étiquette, nous refaisons la marche en sens inverse et nous regardons chaque question en nous dirigeant vers la salle de classe.

A chacune des questions, je demande: “Est-ce une bonne question?” “Quelles autres questions vous viennent à l’esprit?” et “Comment vous y prendriez- vous pour trouver la réponse ?” (Vous pouvez omettre la première question s’il vous semble qu’elle pourrait décourager certains étudiants à poser d’autres questions…)

Souvent, les étudiants qui ont eu du mal à trouver une question durant la première partie de la marche, on par contre plus de facilité à formuler une autre question en lien avec celle qui a déjà été posée. Les étudiants peuvent proposer plusieurs façons de trouver les réponses à leurs questions. J’essaie de les éloigner du “Regardons sur Internet”, même si dans certains cas c’est une solution valable. D’autres façons de faire peuvent consister à interroger des gens, à demander à un expert, à établir une enquête de terrain ou une expérience, et ainsi de suite. Comme mon but est que les étudiants deviennent curieux et veuillent découvrir les choses par eux-même, j’essaie de ne pas leur donner trop de réponses. Cependant je leur en donne tout de même quelques unes de sorte à stimuler leur intérêt et à ne pas les décourager.

L’une des façons de poursuivre cette activité est de noter toutes les questions et de laisser les étudiants choisir un projet à travailler. Il m’est arrivé parfois d’attribuer une question à la classe pour qu’elle la résolve. Il m’est arrivé aussi de laisser l’activité sans suite. Parfois je la répète afin de mesurer leurs progrès dans la capacité à poser des questions.

Les Cartes d’activité

Le “Leopold Education Project” possède une série de cartes d’activités à réaliser dans le programme. Chaque carte demande à l’étudiant de sortir et de réaliser une courte mission qui développera la conscience qu’il aura du lieu. Ainsi, pour une tâche visant à introduire une leçon sur le temps, il faut sortir et identifier tous les indices signifiants que le vent souffle. Cela améliore les capacités d’observation des étudiants et permet au professeur d’introduire le sujet de la création du vent, de son effet sur les organismes, et ainsi de suite. Autre exemple; dans ce cas la tâche vise à introduire le changement des saisons, il s’agit de localiser une plante ou un animal et d’observer dans quelle mesure son apparence ou son comportement change selon la saison. Cette activité peut servir à préparer une leçon sur l’hibernation, pourquoi les arbres perdent-ils leurs feuilles, et d’autres sujets en rapport.

J’ai utilisé les cartes d’activités de diverses manières. Parfois je donne à chacun une carte différente, et lorsque nous retournons dans la classe (ou à l’endroit du rassemblement à l’extérieur), chaque étudiant décrit ce qu’il a fait. D’autres fois, je donne à toute la classe la même carte d’activité, laquelle correspond à la leçon du jour. Vous pouvez vous en servir comme introduction ou conclusion. Vous pouvez également utiliser la même carte plusieurs fois au long de l’année afin de permettre aux étudiants de mettre en perspective le changement saisonnier.

Les enseignants peuvent réaliser leurs propres cartes d’activités spécifiques à leurs leçons et environnement. Par exemple, si vous donnez une leçon sur les interactions des organismes, les étudiants devront sortir et chercher des exemples d’interactions, comme le lichen sur un tronc d’arbre ou les nids d’oiseaux dans les arbres. Les cartes d’activités sont l’occasion de pousser les étudiants à observer et à réfléchir sur le lieu où ils vivent, et sur les plantes et les animaux qui y vivent également.

Études phénologiques

Durant toute sa vie, Aldo Leopold a étudié la phénologie, ou les cycles des événements dans la nature, et il a conservé nombre de ses études. Les études phénologiques5 conduisent les étudiants vers une compréhension des relations entre les organismes et leur environnement. La phénologie donne aussi aux étudiants une meilleure compréhension des cycles naturels dans la région où ils vivent: par exemple; quand à lieu la migration du papillon monarque et quand les rainettes crucifères se reproduisent-elles? Quand Léopold évaluait ses élèves, que ça soit de manière formelle ou non, il attendait d’eux une compréhension de la phénologie et des relations entre les organismes. Voici un exemple de question d’une classe d’écologie de la vie sauvage à l’université:

Une route est bordée d’un côté par un poteau téléphonique affaissé, un rocher de granit rose, du baron, de l’herbe à poux pesant sur des chaumes d’avoine, de jeunes pins, et encore quelques chaumes d’avoine; de l’autre côté un Silphium, un sumac vénéneux à double-fourche, un autre rocher rose, un piquet de barrière, et un peu de chaume de maïs. Un lapin est étendu, mort, sur la route.

“Combien de temps s’est passé depuis le dernier hiver rigoureux?” (Réponse: deux ans, indiqués par la double fourche du sumac) “Quel est le sexe du lapin?” (Réponse: Mâle, puisque les femelles restent près de chez elles au printemps)6

Pour beaucoup d’entre nous ce sont des questions difficiles, mais vous pouvez en utiliser de plus simples pour amener vos étudiants à mieux prendre conscience de ce qui les entoure. Par exemple: “Les gainiers du canada sont en fleurs. Quel mois sommes-nous? Quel sera le prochain arbre à fleurir?” ou “Beaucoup de tortues-boîtes (ou des crapauds) traversent la route. A quelle époque de l’année sommes-nous?”.

Chaque professeur peut développer ses propres projets phénologiques selon le lieu où il se trouve. Ainsi par exemple, chaque semaine au printemps, les étudiants peuvent noter leurs observations sur les premières feuilles des arbres, les premières fleurs qui éclosent, la première migration d’oiseaux aperçue et ainsi de suite. En comparant leurs découvertes aux données réunies par les classes précédentes, ils peuvent répondre à des questions comme, est-ce qu’une espèce d’arbre se couvre de feuilles avant une autre? Il y a également beaucoup de projets officiels de suivis environnementaux avec des composantes phénologiques (voir plus loin) qui donnent aux étudiants des opportunités d’observer le rythme des changements saisonniers au travers des cycles de vie ou les activités des plantes locales et des animaux.

Ce sont des idées parmi bien d’autres par lesquelles les éducateurs peuvent amener les étudiants à apprendre à “lire le paysage” et par la même, à atteindre les objectifs exigés par le programme. En tant qu’enseignant, il nous semble souvent difficile d’inclure dans nos programmes tout ce qui nous apparaît comme en sus. Ainsi nous en arrivons parfois à être si attaché aux contenus des programmes que nous perdons de vue combien il est important pour les étudiants de développer une compréhension du monde au-delà des murs de la salle de classe. Il suffit de courtes expériences en plein air pour affecter l’attitude des étudiants et leurs perspectives pour l’année à venir. Aldo Leopold a dit un jour: “Une fois que vous aurez appris à lire le paysage, ce que vous lui ferez ou en ferez ne m’inquiète pas. Car je sais que vous en tirerez beaucoup de bonnes choses”.

 

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Suivre des projets à composantes phénologiques

  • La “MonarchWatch” ( Surveillance du Monarque) est un programme d’éducation à distance de l’Université du Kansas qui amène des écoliers et d’autres non scientifiques à collecter des données utilisées dans l’étude de la migration du papillon monarque et de la conservation de son habitat. Le site Internet contient de nombreuses données sur les monarques qui peuvent être utilisées pour nombre de projets. Les étudiants peuvent comparer les moments où le papillon monarque migre chez eux avec d’autres régions. Site Internet: <monarchwatch.org/about/index.htm>.
  • Les projets “FeederWatch” (Surveiller et Nourrir) et “Classroom FeederWatch” ( Classes “Surveiller et Nourrir”) (Laboratoire d’Ornithologie Cornell) sont des programmes qui font appel à des bénévoles qui nourrissent et surveillent les oiseaux à travers l’Amérique du Nord, afin de rassembler des informations sur les déplacements de cette population. Plusieurs organisations d’ornithologie utilisent les données collectées et rejoignent les sites de la “FeederWatch” (Surveiller et Nourrir). Grâce à ces programmes, les étudiants développent leurs capacités d’observation, de recueil de données, et d’analyse; ils apprennent ainsi à identifier les espèces d’oiseaux locales; à déterminer quelles espèces restent dans leur région et lesquelles la traversent; et ils enregistrent l’arrivée du printemps et les migrations d’automne de diverses espèces.
  • Sites Internet: Projet FeederWatch <birds.cornell.edu/pfw; Classroom FeederWatch <www.birds.cornell.edu/cfw>.
  • GLOBE ( Apprentissages et Observations Globales au Profit de l’Environnement) est un programme scientifique qui fait participer des étudiants dans les prises de mesures, les analyses de données, et aussi dans les recherches en collaboration avec des scientifiques. GLOBE a développé des protocoles afin de rassembler les données de douzaines de paramètres liés à l’hydrologie, au sol/ à la biologie/l’atmosphère/ le climat et la phénologie. Les protocoles phénologiques concernent des évènements comme la feuillaison, la floraison, et le dépérissement des plantes, le bourgeonnement des arbres, et la migration des oiseaux arctiques. Site Internet: <globe.gov/fsl/welcome/welcomeobject.pl>
  • “Journey North” ( Voyage au Nord) donne l’opportunité à des étudiants de suivre la progression du printemps vers le nord à travers toute l’Amérique du Nord, en partageant et échangeant des données sur la migration de la vie sauvage, le bourgeonnement des plantes, les changements de luminosité, et d’autre évènements saisonniers. Site Internet: <learner.org/jnorth/>
  • Beaucoup d’agences gouvernementales et d’autres organisations mènent des projets locaux dans lesquels des classes peuvent s’impliquer. Ainsi la “Missouri Stream Team” (L’équipe du ruisseau de Missouri) (<mostreamteam.org/about.asp>) propose aux citoyens des formations afin qu’ils puissent surveiller les ruisseaux et en résoudre les problèmes dans leur région. Cette participation au programme permet aux étudiants d’observer les changements saisonniers au niveau des macroinvertébrés des ruisseaux.

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Notes/ Ressources:

  1. Meine et R.L.Knight, E.L. (Eds.), The Essential Aldo Leopod: Quotations and Commentaries . Madison, Wisconsin: University of Wisconsin Press, 1999, p.265.
  2. Richard Louv, Last Child in the Woods: Saving Our Children from Nature Deficit Disorder. Chapel Hill, Caroline du Nord: Algonquin Books of Chapel Hill, 2005.
  3. Lorbiecki, Aldo Leopold: A Fierce Green Fire. Helena, Montana: Falcon Publishing, 1996.
  4. T.Watts, Reading the Landscape of America. Rochester, New York: Nature Study Guild Publisher, 1975 ( 1999 Reprint Edition).
  5. Lorbiecki, 1996.
  6. Gibbons, « Aldo Leopold: A Durable Scale of Values , » National Geographic, vol.160, No.5 ( November 1981), pp.682-708.

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Janice Schnake Greene est directrice de la “Bull Shoals Field Station”, à l’Université d’Etat du Missouri. L’activité « lire le paysage » fut développée par le “Leopold Education Project” ( le Projet d’Education Leopold) à Saint Paul, dans le Minnesota.

Cet article a été traduit par Marie-Caroline Braud, une future enseignante de Français Langues Etrangères, traductrice débutante et passionnée de nature et de cultures étrangères.

Ce qui précède est une traduction de « Reading the Landscape » qui a été publié en Green Teacher 78, Printemps 2006.

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