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Cultiver et se cultiver dans les écoles du Japon

Par Jennifer Sauer

Traduit par Alexandre Bouliane

Partout à Hamakita, une banlieue de Hamamatsu dans le sud-ouest du Japon, l’éducation alimentaire, les activités extérieures et la conservation de la nature sont des expériences éducatives dont tous les élèves profitent. Promenez-vous à Hamakita et vous verrez des champs de riz et des potagers blottis entre les maisons des quartiers populeux. Il y a peu de temps, quand j’élevais mes enfants au Japon, j’ai été intriguée par l’importance accordée quotidiennement à l’éducation relative à l’environnement dans les maternelles publiques. J’ai ensuite visité les écoles primaires et secondaires du quartier pour voir si l’essence de l’éducation relative à l’environnement (ERE) se perpétuait chez les élèves plus âgés. J’ai aussi cherché à voir ce qui se faisait dans tout le pays en ce qui a trait aux pratiques éducatives comme l’apprentissage intégré et l’éducation alimentaire.

Au Japon, le système d’éducation nationalisé fait en sorte que la plupart des enfants acquièrent les mêmes compétences, y compris les concepts de l’ERE. L’éducation est sociale et chacun a une responsabilité énorme envers la collectivité. Dans le curriculum de la maternelle, les enfants apprennent à apprécier, à découvrir et à protéger l’environnement grâce à des expériences effectuées directement dans la nature qui les entoure. Les concepts plus compliqués, comme le réchauffement climatique, sont enseignés plus tard dans leur parcours. Leurs connaissances s’approfondissent grâce à une multitude de notions apprises dans leurs cours de sciences. J’ai demandé à Hideki Sato du Forum d’éducation environnemental du Japon (Japan Environemental Education Forum) si les activités à l’extérieur étaient habituelles à la maternelle. Il m’a répondu : « Elles sont courantes parce que les youchien (maternelles) mettent l’accent sur l’apprentissage à l’aide des cinq sens et sur l’importance de bien réfléchir face à différentes situations. […] Je suis sûr que plusieurs élèves peuvent apprendre l’esprit et la moralité de la conservation de l’environnement grâce au système d’éducation japonais actuel. »

Mon introduction à la conservation de l’environnement dans les écoles japonaises s’est faite à la youchien de ma fille : au lieu d’utiliser des contenants jetables, ma fille a utilisé sa bento (boite à lunch) réutilisable pendant deux jours et demi sans produire de déchet. L’architecture de cette vieille école maternelle est assez simple : des salles de classe sont face à une grande cour d’école en terre. Les portes coulissantes des classes sont habituellement ouvertes, permettant aux enfants, qui ont entre 3 et 6 ans, de jouer librement à l’intérieur ou à l’extérieur. Il n’y a pas de technologie. La simplicité est primordiale lorsque ce sont les élèves, et non les enseignants, qui exercent leur créativité. Aussi, l’école est profondément enracinée dans l’éducation alimentaire grâce à des activités comme les plantations saisonnières, les fêtes du curry et les récoltes de patates douces. En plus des champs empruntés dans lesquels les élèves pratiquent l’agriculture toute l’année, il y a le mushi no kuni (le monde des insectes). Il s’agit simplement d’une portion du champ où on laisse l’herbe pousser et où l’on dégage des sentiers pour que les enfants puissent se promener. Les petits y vont pour explorer et reviennent avec des bestioles dans leurs boites à insectes. 

Durant la première semaine d’école de ma fille de 4 ans, j’ai souvent visité l’établissement. Un jour, j’ai remarqué que l’enseignante était nu-pieds. Elle encourageait les élèves à enlever leurs chaussures et à marcher dans la boue. Puisqu’elle aime la terre, ma petite s’est habituée rapidement à la classe. Après une semaine, elle rapportait ses vêtements couverts de boue tous les jours. Son enseignante m’a offert ses excuses pour la grande quantité de lavage que cela occasionnait et elle m’a expliqué qu’elle encourageait les élèves à explorer la nature qui les entoure, boue incluse. Pendant cette visite, ma fille et ses nouveaux amis ont fait un ofuro, une sorte de bain, et s’assoyaient à tour de rôle dans l’eau boueuse, qui leur montait jusqu’aux hanches. Peu après, les élèves ont versé de l’eau sur un tas de terre de 4 pieds de haut  pour former une glissade de boue. L’enseignante de ma fille, guidée par les normes environnementales du ministère de l’Éducation, a expliqué qu’elle aide ses élèves […] « à reconnaitre la grandeur, la beauté et la splendeur de la nature et à se préoccuper de différents êtres vivants. »

Une phrase que j’entendais souvent à la youchien et en dehors de celle-ci est « Mottainai! », soit « Quel gâchis! ». Que ce soit par des petits gestes comme finir son assiette ou fermer le robinet, économiser les ressources est un objectif commun partout au Japon. Tous les mois, les enseignants nous demandent de donner nos bouteilles en plastique ou nos boites en carton pour qu’ils puissent les réutiliser en classe. Ces objets sont parfois utilisés pour organiser des projets, mais la plupart du temps, mes enfants reviennent à la maison avec des trains et des monstres faits de déchets collés ensemble. Comme l’a expliqué la vice-présidente de l’association de parents et d’enseignants à la youchien, l’imagination est importante pour les jeunes de la maternelle dans cet endroit où « ils passent trois ans ensemble et où on leur enseigne à cultiver leur esprit. Je crois que renforcer leur créativité aide à nourrir leur cœur d’enfant. » Les enseignants, les mères et la direction sont tous impliqués pour encourager les élèves à explorer la nature, à cultiver le jardin en équipe et à manger les légumes qu’ils ont produits, y compris les plus amers.

Une fois les années insouciantes de la maternelle passées, les élèves japonais commencent officiellement à étudier. L’éducation relative à l’environnement est entrée dans le programme d’apprentissage intégré (sogoteki gakushu) du Japon, ce qui représente 105 heures obligatoires par année dans les écoles primaires et secondaires publiques; ce nombre d’heures représente toutefois peu de temps dans une année scolaire complète. Le programme a été instauré en 2002 comme moyen pour les élèves d’appliquer dans la vraie vie les notions qu’ils voient en classe, ce qui se rapproche un peu de l’apprentissage par projet (APP). Les élèves sont responsables des projets tandis que les enseignants sont là pour faciliter leur compréhension. Ce programme émane de la réforme pédagogique des années 70, appelée yutori, qui faisait la promotion de la réduction du nombre d’heures d’école, d’un environnement d’apprentissage sans stress et de l’individualité. Puisque les objectifs spécifiques de l’apprentissage intégré sont décidés par chaque école, les projets varient d’un bout à l’autre du pays. Les écoles mettent souvent l’accent sur l’apprentissage en nature en faisant participer les élèves à des activités comme la culture du riz, le plein air, le camping, la confection de bonbons et la teinture indigo traditionnelle.

Kitahamakita, l’école primaire à laquelle la maternelle de mes enfants est affiliée, a l’air très simple de l’extérieur. Comme dans la plupart des écoles au Japon, il n’y a pas de climatisation et peu de chauffage dans les salles de classe. Même s’il y a moins de temps libre à l’école primaire, les élèves ont tout de même le temps d’étudier, de faire de l’exercice et de jouer dehors, et ce, tous les jours. Les jeunes de première et de deuxième année s’occupent de semer des graines et de suivre la croissance des plantes de l’un des huit jardins surélevés que se partagent les instructeurs de l’école. Un enseignant en sciences de 5e année a expliqué que lorsque les sujets se rapportent à ce qu’il enseigne, il amène sa classe à l’extérieur, tout comme la majorité des enseignants, où les capacités de prise de note et d’observation se développent. Lors d’un projet d’apprentissage intégré, les élèves de 5e année se sont intéressés à un aliment qu’ils mangent tous les jours : le riz. Des producteurs locaux et des spécialistes sont venus leur parler de la culture du riz et de son histoire. Les enfants ont visité des champs de riz locaux à diverses étapes de la production et ont exploré cet écosystème. Chaque élève a planté son propre plant de riz dans un seau, l’a cultivé, a récolté le riz, puis l’a cuisiné. Un thème récurrent que j’ai remarqué dans l’éducation au Japon est le lien entre la communauté et l’école. Les élèves réfléchissent plus en profondeur à ce qu’ils apprennent puisqu’ils font un lien avec leur milieu. 

Au Japon, l’alimentation est au centre de tout. Non seulement c’est une tradition, mais c’est aussi une loi. En 2005, le Japon a adopté une loi sur l’éducation alimentaire (shokuiku) pour réduire les risques liés à l’obésité et à la sous-alimentation. Cette dernière vise aussi la salubrité des aliments et l’autosuffisance. Le gouvernement utilise la shokuiku pour encourager plus de familles à manger des repas faits maison, à consommer des aliments locaux et à réduire les restants de table. Plusieurs enfants apprennent les notions d’agriculture et de pêche, car ces enseignements font partie de leur éducation. Même les élèves du secondaire doivent suivre des cours d’économie domestique. Une mère à propos de l’éducation alimentaire : « Il y a ce qu’on appelle shokuiku, et les gens mettent de gros efforts pour enseigner aux enfants l’importance de manger de bons aliments. Le kanji pour shokuiku est 食育. Le signe 食 veut dire “manger”, et 育 signifie “développement” et “éducation”. » La plupart des élèves de maternelle au Japon, du secteur public ou privé, cultivent des aliments dans des contenants ou des champs, en fonction des ressources qui sont à leur disposition. Les diners dans les écoles primaires et secondaires sont faits à la main et sont servis par des élèves. Cette approche globale du shokuiku, de la ferme à l’école, cultive chez les élèves un respect pour la nourriture et les agriculteurs. 


Bricolage avec des bouteilles en plastique recyclées

Matériel : bouteilles de 2 litres en plastique, clous, marqueurs, autocollants, corde ou ruban résistant, ciseaux, ruban adhésif

Plusieurs versions de cette activité ont été réalisées pendant l’année.

  1. Coupez la bouteille le long du goulot et installez un ruban sur tout le contour coupant.
  2. Sous la supervision d’un adulte, faites des trous sous la bouteille avec un clou pour simuler une sorte de douche pour les jeux d’eau.
  3. Faites deux trous de chaque côté de la bouteille et passez-y de la corde ou du ruban pour fabriquer la poignée.
  4. Placez la partie supérieure de la bouteille à l’intérieur de la partie trouée, à l’envers.
  5. Décorez la bouteille.
  6. Allez à l’extérieur et attrapez des insectes! Les élèves peuvent aussi utiliser la bouteille pour arroser les plantes ou pour s’asperger entre eux.

Une promenade de 10 minutes à vélo séparait mon appartement de l’école secondaire Kitahama Tobuhigashi. Il y a plus de 10 ans, le directeur, Keisuke Sato, y a instauré un programme d’agriculture dans le cadre du programme d’apprentissage intégré. Lors de ma visite, deux classes de deuxième année s’étaient rassemblées dehors pour écouter des agriculteurs expliquer comment planter des patates douces. M. Sato a dit : « En m’occupant des plants, je comprends l’importance d’être persévérant. » Avec l’aide de bénévoles et d’enseignants, les élèves mesurent les rangs du potager puis mettent en terre les jeunes plants de patates douces. Une élève de 3e année qui détestait les insectes garde tout de même un excellent souvenir des aventures dans le champ. « Participer à ces activités d’agriculture m’a aidé à respecter la nourriture », a-t-elle dit. Les élèves plantent et récoltent du maïs, des choux, de la laitue et des brocolis au moins quatre fois par année. Ces jeunes partagent leurs connaissances avec les petits de la maternelle; quand le maïs est mûr, les jeunes du secondaire aident à la récolte. Le fait de s’occuper du maïs qu’ils ont fait pousser et d’aider les plus petits permet aux jeunes du secondaire d’être fiers du travail qu’ils ont accompli au cours de l’année.

Tandis que le temps consacré à l’ERE dans les écoles publiques japonaises peut varier, les élèves qui en sortent avec un diplôme sont la plupart du temps instruits en matière d’écologie. Selon un sondage effectué par l’entreprise NHK en 2008, 81 % des personnes âgées de 16 ans ou plus se soucient du réchauffement climatique. La plupart des répondants ont affirmé qu’ils recyclaient souvent, qu’ils utilisaient le chauffage et la climatisation avec parcimonie et qu’ils apportaient leurs sacs réutilisables dans les magasins pour réduire la pollution. Ces actions propres à ERE aident à renforcer les traditions japonaises et à créer de saines habitudes environnementales, comme utiliser des sacs réutilisables ou ne pas jeter de déchets dans les rues. Une autre étude réalisée par le PISA (Program for International Student Assessment) a évalué la conscience écologique et les connaissances en science de l’environnement de jeunes de 15 ans et ont classé le Japon parmi les meilleurs pays en la matière. Le PISA a également souligné que la conscience écologique d’un élève est surtout développée grâce aux activités auxquelles il participe dans son école.

Malgré le vaste curriculum du Japon en matière d’ERE, ce volet est moins présent à l’approche des examens d’admission au deuxième cycle du secondaire et à l’université. L’apprentissage intégré n’est pas imposé par le gouvernement pour les élèves les plus âgés du secondaire, mais certains enseignants décident de réaliser des projets d’ERE dans leurs classes. Le Conseil central pour l’éducation (Central Council for Education), un groupe consultatif au ministère de l’Éducation, a noté que les élèves qui avaient à cœur de bien performer aux examens d’admission étaient davantage motivés à apprendre par la suite. En 2011, le Japon a révisé ses réformes progressives en matière d’éducation après que le PISA a publié les résultats des tests comparatifs internationaux montrant que les Japonais avaient obtenu de mauvaises notes en mathématiques. Par conséquent, le nombre d’heures consacrées à l’apprentissage intégré au secondaire est passé de 105 à 70 heures par année scolaire. Cela ne veut pas dire que les enseignants ne peuvent pas consacrer plus de 70 heures à l’ERE parce que cette matière est compatible avec le curriculum en sciences. L’apprentissage intégré assure aux enseignants une plage horaire réservée pour effectuer des projets hors de l’horaire hebdomadaire typique. Les parents et les enseignants essaient de garder un équilibre entre l’apprentissage authentique et la pression liée aux tests d’une grande importance, et ce, grâce aux points de vue des deux partis. Dans tous les cas, l’appui national pour l’apprentissage intégré et l’ERE est toujours fort.

Depuis mon retour aux États-Unis, j’enseigne dans une école publique d’un secteur défavorisé de l’est du Tennessee. La plupart de mes élèves de 8e année (13-14 ans), tout comme les gestionnaires débordés de l’école, ne se préoccupent pas beaucoup de l’environnement. Les jeunes arrivent en classe en buvant une boisson gazeuse comme déjeuner, laissent de vieux papiers trainer sur le sol et jettent des montagnes de nourriture dans les poubelles de la cafétéria. Mon défi est de leur montrer que leur vie est importante, que leur santé est inestimable et que la préservation de leur environnement est à la fois notre problème et notre bouée de sauvetage. Le progrès prend du temps. Quand j’emmène mes élèves dehors, je vois des étincelles dans leurs yeux. Récemment, lorsque nous cherchions des macro-invertébrés à la crique, un de mes élèves les plus faibles a dit : « Cet endroit est mieux que le zoo! » Ce contact direct avec la nature est ce que je voyais quotidiennement au Japon, mais contrairement à ici, tous les élèves là-bas en profitent pendant plusieurs années. La simplicité de ces expériences et leur accessibilité à un jeune âge, le tout encouragé par les parents et par l’école, aident à former les élèves pour qu’ils deviennent des adultes instruits en matière d’écologie. Mes aventures à Hamakita m’ont montré tout ce qu’il est possible de réaliser quand les écoles et les familles collaborent : transférer assidument des expériences et des connaissances environnementales qui sont fortement appuyées par la communauté qui les entoure. Nous enseignons les notions qui font partie de nos racines, qui nous ont été inculquées au plus jeune âge, et nous les transmettons à ceux qui nous entourent, en espérant bâtir une fondation solide qui perdurera et s’étendra afin que la protection de l’environnement devienne une tradition.


Jennifer Sauer vit à Knoxville, au Tennessee. Elle enseigne les sciences aux élèves de 8e année. Elle aimerait remercier Keisuke Morishita pour la révision de sa traduction, ainsi que la maternelle Kitahamachuo, l’école primaire Kitahamakita et l’école secondaire Kitahamatobu pour leur passion envers l’ERE et pour l’avoir accueillie si généreusement dans leurs classes. 

Alexandre Bouliane est diplômé au baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

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