Des questions environnementales autochtones

Par Paul Elliott, Nicole Bell et Brittany Harding
Traduit par Mélanie Robert
AYANT TOUTE LEUR carrière devant eux, les nouveaux enseignants et enseignantes sont très bien placés pour changer la donne en encourageant leurs étudiants à bâtir un futur propre et durable. Au Canada et dans de nombreux autres pays, nous honorons et respectons les générations antérieures qui ont vécu de façon écologique sur notre terre avant notre arrivée, et nous reconnaissons et apprécions tout ce qu’ils peuvent nous apprendre. Si les Canadiens désirent bâtir une société équitable, il est crucial que les étudiants connaissent les Premières Nations, les Métis et les Inuits : leur histoire, leur philosophie, leur place dans l’ère moderne, les défis auxquels ils font face et les besoins des étudiants autochtones en matière d’éducation.
Comment préparer les futurs enseignants à promouvoir l’éducation environnementale durable? Comment devrions-nous les préparer à travailler avec des étudiants autochtones et à informer tous les étudiants canadiens sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits? Pendant longtemps, nous sentions que ces questions étaient mises de côté ou n’occupaient pas une place suffisamment importante dans l’enseignement en Ontario, malgré les documents-cadres du ministère de l’Éducation provincial qui disposaient de politiques sur le sujet1, 2. À l’Université Trent, les défis découlant de cours très chargés rendaient l’exploration de ces notions très difficile. Toutefois, quand le gouvernement ontarien a transformé le programme de baccalauréat en éducation d’un an en un programme de deux ans, à partir de 2016, nous avons réussi à intégrer un cours qui aborderait l’éducation environnementale et l’éducation autochtone. Contrairement à la plupart des autres établissements d’enseignement, ce cours est devenu le tronc commun du programme pour tous les candidats enseignants, au lieu d’être un cours facultatif.
Avec le feu vert pour mettre le nouveau programme sur pied, nous devions toutefois concevoir un cours qui rendait la juste valeur tant à l’éducation environnementale qu’à l’éducation autochtone, en seulement 36 heures de matière. Sans le savoir, ce jumelage s’est révélé être logique, puisque l’éducation autochtone ne peut pas vraiment se faire sans l’éducation environnementale et celle-ci ne devrait pas être abordée sans tenir compte de la perspective autochtone. Sans connaissances environnementales, il est impossible d’aborder le mode d’apprentissage autochtone, celui-ci étant si enraciné dans les notions d’espace et de leçons sur le terrain. Dans un endroit où les pratiques environnementales autochtones durables ont longtemps prévalu, nous croyons qu’intégrer cette perspective à l’éducation environnementale est très bénéfique. Ainsi, le but de notre planification est devenu d’allier les deux savoirs pour qu’ils s’alimentent l’un et l’autre et de renforcer les compétences de nos candidats enseignants. Le modèle que nous avons élaboré comprend le partage de l’enseignement par trois personnes, ce qui permet de combiner nos différentes expertises au bénéfice du groupe de futurs enseignants. L’une des monitrices, Nicole, est une éducatrice autochtone; Paul, quant à lui, possède une expérience en biologie environnementale; et Brittany est spécialisée en enseignement en plein air. Chacun et chacune contribue à l’élaboration des cours qu’ils donneront, et puisent dans ses connaissances particulières pour animer les activités dans toutes les parties des cours donnés en rotation. Après de nombreuses discussions, nous avons opté pour un mode d’apprentissage par investigation pour presque tout le cours. Tôt dans le programme, nous faisons écouter le film This Changes Everything3 à nos étudiants dans le but d’illustrer les liens entre l’éducation autochtone et l’éducation environnementale et d’éveiller leur intérêt pour ces questions mondiales. Après le visionnement du film, nous demandons aux candidats enseignants d’observer et de noter la place qu’occupe l’éducation autochtone et environnementale dans leur école de placement et de revenir partager leurs remarques. À quelques exceptions près, le rapport des activités est maigre. Ces résultats servent de tremplin pour propulser une remise en question de l’utilisation des pédagogies de l’éducation autochtone et environnementale, tout en mettant l’accent sur les sujets ciblés par chacun des candidats enseignants.
Organisation du cours
La politique de la School of Education and Professional Learning est de limiter le nombre d’étudiants à environ 25 par classe. En plus de permettre le travail par investigation, les petites classes peuvent faire davantage d’activités comme celles directement sur le terrain du magnifique campus de l’Université Trent.
Nous tentons d’utiliser et de montrer diverses méthodes que les étudiants peuvent ensuite réutiliser dans leur propre méthode d’enseignement. L’approche d’enseignement collaborative implique du temps passé avec chacun des trois instructeurs pendant le cours, même si l’étudiant est attribué à une section particulière. Ainsi, l’étudiant apprend à connaître les trois instructeurs et leur expertise respective tout en se familiarisant avec leurs compétences. Cette façon de faire rend les étudiants de toutes les sections à l’aise à nous demander de l’aide pour leur travail par investigation. Nous aimons aussi donner l’occasion aux étudiants de faire des lectures approfondies, donc nous planifions deux conférences de lectures, la première pour l’éducation environnementale et l’autre pour l’éducation autochtone. Pour chacune de ces conférences, nous fournissons aux étudiants une liste de quatre lectures dont le sujet est apparenté au thème et chaque étudiant devra choisir un des textes, le lire, le résumer et en tirer une réflexion. Les étudiants partagent leur résumé et leur réflexion lors d’une activité remue-méninges où ils agissent comme des « experts » à propos du sujet choisi et comme des collègues enseignants qui partagent leurs apprentissages avec les autres membres de la classe.
Adopter une approche par investigation
L’adoption d’une approche par investigation était pertinente pour plusieurs raisons : elle permet de combiner l’éducation environnementale et autochtone, elle outille les étudiants en leur donnant l’occasion de faire des choix et, ainsi, de s’investir dans les sujets choisis, et elle tient aussi compte de la complexité des questions environnementales et autochtones. Après avoir décidé de faire de l’apprentissage par investigation le fondement du cours, nous avons commencé à considérer les différents modèles d’apprentissage à utiliser. Nous avons sélectionné celui de Harvey et Daniels4, qui compte quatre étapes :
1. Immersion : choisir un sujet et stimuler l’intérêt envers lui, faire des lectures pour développer des connaissances qui y sont rattachées;
2. Investigation : soulever un questionnement pertinent, rechercher des renseignements pour y répondre;
3. Fusion : faire des recherches plus approfondies sur des sujets précis, résumer l’information ainsi obtenue;
4. Publication : partage des apprentissages et démonstration de la compréhension des technicités du sujet.
Heureusement, cette approche par investigation se prête bien aux principes de l’éducation autochtone, particulièrement avec le modèle de la roue médicinale : on cherche d’abord à se sensibiliser à un sujet, à le comprendre, à développer les connaissances qui l’entourent pour finalement se forger une opinion sage. Cette progression est possible grâce aux dons de la vision pour faire face à l’apprentissage, au temps nécessaire pour le comprendre, au questionnement pour en saisir la signification et au passage à l’action en formulant une réponse ou en posant un geste concret5. En donnant l’occasion à nos candidats enseignants de faire l’expérience de l’apprentissage par investigation et de l’explorer du point de vue d’un étudiant, nous espérons qu’ils seront à l’aise de l’utiliser dans leur propre enseignement, et pas seulement parce que cette approche complète l’éducation autochtone.
En petits groupes, les candidats enseignants choisissent des sujets à approfondir qui les intéressent personnellement. Les sujets choisis sont diversifiés (p. ex. les papillons monarques, les ours polaires, les pipelines de pétrole, l’eau disponible au Canada et différentes excavations minières). Au début des recherches, les groupes doivent considérer leur sujet de tous les angles, notamment du point de vue autochtone, environnemental, industriel ou commercial et gouvernemental. Le groupe présente ensuite le fruit de ses recherches au format électronique — en créant un site Web, par exemple — que les collèges responsables de fournir une rétroaction constructive consulteront. Cette ressource électronique sera à la base de la création d’un plan d’investigation qui pourra être utilisé avec des élèves de la maternelle à la fin du secondaire. Le but ultime du plan est de faire penser à nos candidats enseignants à la manière dont ils pourraient développer l’activisme chez leurs étudiants.

Apprentissage sur le terrain
L’éducation autochtone et l’éducation environnementale prônent toutes les deux une philosophie d’un sens du lieu, soit de savoir où nous nous trouvons et notre relation avec ce lieu. Nous avons donc tenté de nous inspirer de cette philosophie autant que possible. Les étudiants participent à diverses activités à l’extérieur : marcher dans la nature, explorer la faune et la flore locale, notamment les nombreuses espèces envahissantes dans la région, faire des chasses au trésor de plantes comestibles; et préparer de la tisane de cèdre. Nous découvrons l’histoire de la terre d’il y a un milliard d’années jusqu’aux conséquences de la colonisation.
Nos étudiants développent des activités à partir des nôtres et des leurs après la présentation des leçons tirées des plans d’investigation. Un des groupes d’étudiants, par exemple, a élaboré une activité inspirée de l’exercice de la caméra humaine. Les participants devaient s’approprier un espace précis dans l’environnement local. Dans la version du groupe, lorsqu’on demandait aux participants de retourner à leur endroit préféré afin de comparer leurs souvenirs à la réalité, certains d’entre eux n’y avaient plus accès, car l’emplacement était maintenant une mine ou une propriété privée, ce qui imitait les conséquences déstabilisantes et perturbatrices de la colonisation. Nous avons réutilisé cette expérience d’apprentissage efficace par la suite. Les étudiants ont apprécié toutes les activités à l’extérieur et demandaient souvent quand serait la prochaine sortie, ce qui a servi de réflexion : même adultes, nous aimons apprendre dans la nature. Nous devrions donc en profiter pour enseigner à nos étudiants en plein air aussi souvent que possible.
Création de liens
Nous espérons que, grâce à nos enseignements et à nos activités, nos étudiants iront au-delà de la surface quand ils travailleront avec leurs propres étudiants. Nous voulons qu’ils aillent plus loin que de simplement parler de fermer l’eau pendant le brossage de dents et de faire du recyclage, voire qu’ils encouragent même leurs étudiants à critiquer leur relation avec la planète et à y réfléchir. L’une des priorités est d’introduire les étudiants au concept d’interrelation. L’un de nos exercices est une activité d’empreinte écologique qui consiste à aider les étudiants à comprendre les répercussions de leur mode de vie. Nous explorons également la notion autochtone de « soi » en relation avec l’environnement, soit l’idée que nous sommes inextricablement liés à tout ce qui nous entoure. Un document que nous trouvons particulièrement utile pour aider les étudiants à réfléchir est Connecting the Dots6, qui a une foule de bonnes idées qui pourront les aider dans leur propre pratique d’enseignement.
Point de vue autochtone
L’éducation autochtone étant l’une des pierres fondamentales du savoir et du point de vue que nous intégrons à l’éducation environnementale, nos étudiants se doivent de comprendre que l’éducation autochtone n’est pas seulement ce qui est enseigné, mais la façon dont c’est enseigné. Nous voulons que nos étudiants pensent à des méthodes d’enseignement d’une perspective autochtone. Nous explorons comment développer des relations avec les étudiants autochtones, notamment des pédagogies telles que le récit et des techniques d’évaluation qui résonnent davantage avec les étudiants autochtones. Nous visons ainsi à fournir une justification de l’importance de ce travail. Dans les salles de classe partout au Canada, les enseignants doivent savoir comment soutenir l’apprentissage des étudiants des Premières Nations, métis ou nuits. Chaque classe est aussi composée d’étudiants qui, peu importe leur héritage culturel, grandissent au sein d’une société au passé marqué par le colonialisme dans un pays partagé avec des personnes autochtones. Nous nous inspirons de la Commission de vérité et réconciliation du Canada7 lorsque nous abordons l’importance du travail à faire et le rôle de l’éducation en ce qui concerne tisser de meilleurs liens entre les premiers habitants du Canada et la société colonisatrice. Dans cette optique, les étudiants font un exercice de « body-ography ». Cette activité consiste à laisser les étudiants tracer leur propre silhouette et à y inscrire tout ce qu’ils connaissent des étudiants autochtones avant de suivre le cours. À l’extérieur de la silhouette, les étudiants répondent à des questions comme Qu’est-ce que vous avez appris à propos des personnes autochtones durant votre propre formation scolaire? Que savez-vous désormais de différent? et Comment pouvez-vous répondre aux besoins des étudiants autochtones en tant qu’enseignant? Deux d’entre nous (Paul et Brittany) n’avons pas de formation particulière en éducation autochtone, mais nous désirons montrer à nos étudiants que nous sommes prêts et ouverts à appliquer les principes de l’éducation autochtone en servant de modèle à suivre. De cette façon, nous espérons démontrer qu’il ne faut pas être une personne autochtone soi-même pour être sensible aux questions liées aux étudiants autochtones. Nous voulons que les enseignants de demain comprennent que les élèves ont besoin de connaître les réalités des peuples autochtones, leurs cultures et les défis qu’ils rencontrent, notamment en matière d’environnement.

Réflexion
Après deux ans à enseigner le cours, nous pouvons maintenant réfléchir à ce que nous avons appris et si le cours a été un succès. À vrai dire, la rétroaction de nos étudiants a été nuancée. Presque tout le monde apprécie les cours à l’extérieur, surtout les activités expérimentales, et voit comment certaines approches pourraient faire partie de leur enseignement. Beaucoup trouvent difficile de s’ajuster à l’approche par investigation, citant par exemple l’inquiétude quant à une structure assouplie et à un apprentissage fait par l’étudiant en général. Certains peinent à aborder leur sujet de plusieurs angles valables : ils veulent une seule bonne réponse. Malheureusement, malgré leur scolarisation avancée, beaucoup de nos étudiants sont plus à l’aise à se faire dire quoi penser et quoi faire au lieu de développer leurs idées eux-mêmes. Avec un peu de chance, cette mentalité évoluera à mesure que l’apprentissage par investigation s’intégrera plus tôt et plus largement de la maternelle au secondaire, puis dans les études postsecondaires. Les étudiants finiront peut-être par voir cette approche comme une façon normale d’enseigner et ils auront plus de pratique dans les compétences nécessaires. Toutefois, malgré les difficultés, la plupart des produits de l’apprentissage par investigation étaient de grande qualité. Nous espérons qu’avec le temps, nos futurs enseignants viendront à voir les bienfaits de cette approche comme moyen d’accroître la confiance de leurs étudiants à devenir indépendants et, enfin, à apprendre toute leur vie durant.
Déclaration de reconnaissance
Le cours Indigenous Education and Environmental and Sustainability Education dans la School of Education and Professional Learning à l’Université Trent prend place sur le territoire traditionnel des Michi Zaagiik Anishnaabeg.
Paul Elliott, Nicole Bell, et Brittany Harding sont des collègues à la School of Education and Professional Learning à l’Université Trent, à Peterborough, en Ontario. Paul est un formateur d’enseignants d’expérience, qui a travaillé au Royaume-Uni auparavant et qui se spécialise en biologie et en éducation environnementale. Nicole est une experte en éducation autochtone anishinaabe (Clan de l’ours) de la Première Nation Kitigan Zibi, au Québec. Brittany est experte en enseignement en plein air et étudie actuellement les meilleures pratiques en formation d’enseignement dans le cadre de ses recherches doctorales à l’Université de Nipissing.
Mélanie Robert est diplômée du baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.
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