Explorer la science en s’impliquant localement

Par Maria Jeanneau, Janet McVittie et Iain Phillips
Traduit par Marianne Fleury-Ross
Pour exposer les élèves aux enjeux environnementaux, il faut premièrement les impliquer en science. Cela se fait par le biais de l’apprentissage sur la communauté scientifique et l’apprentissage par enquête. Comment mène-t-on des expériences scientifiques par exemple? La plupart du personnel enseignant se restreint à une routine de leçons, de laboratoires et d’examens, mais la science, c’est tellement plus que ça! Comment ramener le plaisir de la science et l’engouement dans les écoles? Dans cet article, nous décrirons l’expérience de Maria sur la préparation et l’enseignement à un camp de jour scientifique pour les 6 à 10 ans afin de démontrer que tout le personnel enseignant peut créer une activité scientifique réussie aussi bien dans la salle de classe qu’à l’extérieur de celle-ci, et ce, pour tous les âges. En tant que personnel enseignant, on doit inviter les élèves à effectuer des recherches scientifiques dans le monde réel. Pendant ces recherches, les élèves doivent sentir qu’ils contribuent à quelque chose de plus grand qu’eux. Selon nos expériences, nous avons déterminé que le personnel enseignant doit créer des activités scientifiques à la fois (1) basées sur des scénarios réalistes et familier, (2) expérimentées à l’extérieur et (3) construites sur la résolution de problème. Cet article expliquera également comme Maria a incorporé ces trois critères dans son activité éducative pour que vous puissiez également l’utiliser avec vos élèves. Nous croyons que la pratique répétée d’expériences semblables peut forger une génération intéressée par les découvertes scientifiques et par les défis environnementaux actuels.

De véritables scénarios locaux
Dès l’âge de 6 ans, la plupart des élèves ont déjà entendu parler des changements climatiques, des déchets et de la pollution. On leur apprend à faire leur part pour contrer ces phénomènes mondiaux, mais il est difficile de les convaincre que les gestes qu’ils posent font vraiment une différence. Ainsi, au lieu de leur parler des tortues dans les océans, abordez plutôt un problème local. Chaque communauté a plusieurs défis environnementaux nécessitant une solution, il faut seulement creuser un peu. De bons points de départ seraient les thématiques de la gestion de l’eau et des ordures, des espèces menacées, de la protection des habitats ou de l’impact des nouvelles constructions. Le moment crucial dans la création d’expériences scientifiques impliquées socialement est la première étape : étudier les enjeux, poser des questions et en apprendre plus sur votre environnement. Baser le projet sur des scénarios réels et locaux motivera fortement n’importe quelle classe.
Le projet que nous (Maria et Iain, directeur général de Troutreach) avons créé est basé sur l’étude du seuil à Saskatoon dans l’écosystème de la rivière Saskatchewan Sud, plus précisément sur les impacts que celui-ci a sur l’esturgeon jaune, une espèce menacée. Le seuil est une structure en béton construite durant la Grande Dépression et a dernièrement fait l’objet de plusieurs controverses. Le seuil crée une perspective intéressante sur la rivière et est devenu un point d’observation très populaire. Les pélicans fréquentent également l’endroit, car ils y aperçoivent clairement les poissons. De plus, le changement des courants a fait émerger une île en amont, qui est devenue un perchoir très fréquenté par plusieurs espèces d’oiseaux. Le seuil est cependant dangereux, car les nouveaux courants descendants augmentent les risques de noyade. En ce qui concerne l’écologie, les poissons ne peuvent pas remonter en amont du seuil. Ainsi, leurs territoires sont limités et, pour certaines espèces, la reproduction en est bouleversée. Les populations de macroinvertébrés en amont et en aval du seuil ont été dissociées : deux écosystèmes distincts se sont donc développés à la suite de la construction. Ces conséquences entraînent deux façons de penser chez le public. Certains veulent démolir le seuil, alors que d’autres veulent le conserver pour le bien des pélicans et des autres oiseaux installés sur la nouvelle île. D’autres encore croient qu’un compromis est possible : une partie de la rivière pourrait continuer de couler au travers du seuil, alors qu’une autre pourrait circuler un peu plus librement. Après nos recherches et nos conversations avec les différents groupes, nous avons pu modéliser un camp de jour qui sensibiliserait les jeunes de 6 à 10 ans à cet enjeu local.
Lors d’un jour de camp, nous n’avons parlé que des écosystèmes locaux, ou provinciaux, et encouragé les enfants à piger dans leurs propres expériences pour partager de précieuses informations. Par exemple, Maria leur a demandé s’ils pouvaient nommer des poissons que l’on retrouve en Saskatchewan. Ils ont fièrement crié des noms comme le carangue, le doré jaune, la truite, etc. Les enfants ont aimé pouvoir partager leurs connaissances et leurs souvenirs des expéditions de pêche en famille avec leurs amis, tout en demeurant en contexte. À partir de cette discussion, Maria a pu leur parler de l’esturgeon jaune de la rivière Saskatchewan Sud et le groupe a accueilli un des membres de l’équipe de Troutreach, qui apportait de son laboratoire un esturgeon congelé pour que les enfants puissent le toucher.
Pour montrer que les enjeux environnementaux sont bien réels, nous vous suggérons de faire sortir votre classe à l’extérieur chaque fois que vous le pouvez. Car comment un élève peut-il se sentir interpellé par le sujet s’il n’est jamais confronté à celui-ci? Nous avons donc choisi d’organiser nos activités dans le parc voisin au seuil; les enfants ont ainsi l’occasion de voir eux-mêmes ce dont nous parlions. Après en avoir appris pendant plusieurs heures sur les esturgeons, les pélicans et le seuil, nous nous sommes déplacés vers la rivière pour que les enfants puissent les voir. Ils observaient les pélicans et étaient impressionnés par le fort débit de l’eau, tout en discutant entre eux des poissons, des oiseaux et du seuil. Cette observation a mené à des révélations généralisés alors qu’ils voyaient l’eau sortir du seuil et ils étaient suivis de quelques « Ohhh… Maintenant je comprends pourquoi l’esturgeon ne peut pas remonter le seuil! » Il leur a fallu jusqu’à ce moment pour que les informations prennent tout leur sens. Malgré le fait que Maria ait bien expliqué, ait montré des photos et que les enfants aient joué avec un modèle réduit du seuil, le fait de le voir a été un point tournant dans leur compréhension.
Juste avant de rentrer à la maison, une jeune fille a ajouté : « Je ne savais pas que c’était vrai. Je pensais que c’était juste un projet de science! » L’école semble conditionner les élèves à penser que ce qu’ils apprennent en classe ne s’applique qu’à l’école. En effet, ils apprennent par des textes ou des exercices, mais cela ne représente pas la « vraie » vie. Selon les propos de cette élève, nous avons compris que les enfants doivent sortir des salles de classe et voir la science en action. En la concrétisant, les élèves seront plus enclins à en apprendre plus. Amenez-les observer des enjeux dans leur communauté, il y en a tellement!
Apprentissage par l’expérience
Créer des liens dans la communauté peut être une source d’occasions pour vous et vos élèves. Ainsi, Maria a pu inviter Iain et quelques membres de Troutreach pour qu’ils partagent leurs connaissances et leurs ressources avec les enfants. Ils leur ont montré des « seaux de rivières », recueillis le matin-même, contenant une variété de macroinvertébrés que les enfants pourraient étudier et identifier, puis jouer avec. Les enfants étaient captivés par ces petites créatures : ils les regardaient nager en rond dans les seaux. En petits groupes, les enfants parlaient, criaient et riaient en tentant d’attraper les macroinvertébrés pour les observer sous la loupe dans de plus petits bocaux. Cette observation et ces jeux ont été beaucoup plus formateurs pour les enfants que s’ils avaient seulement fait l’activité d’identification sur papier. Ils n’ont pas uniquement appris les noms des espèces, mais également leur taille moyenne et leur comportement. Cette activité est une sorte d’enquête autonome, sans adulte pour la mener. Les enfants pouvaient poser des questions à Iain, écologue aquatique, alors qu’il se promenait d’un groupe à l’autre. La présence d’un expert local que les enfants peuvent questionner, et ainsi stimuler leur raisonnement, est très précieux. Cet expert est une bien meilleure source que l’internet, car il connaît ce que regardent les enfants et peut se promener parmi eux pour diriger leur enquête vers de nouveaux terrains.
On apprend mieux, peu importe l’âge, lorsqu’on est en contact direct avec le sujet d’étude. La science, comme toute activité humaine, sinon plus, est basée sur l’expérience, un désir de donner un sens et la coopération communautaire. Il faut passer ce savoir accumulé aux enfants pour qu’ils n’aient pas à en refaire la découverte, et pour qu’ils apprennent l’engagement et le dévouement en étant exposés à des questions dignes de réponses et en participant à la recherche de celles-ci.
Qu’est-ce que le personnel enseignant devrait enseigner et qu’est-ce que les élèves devraient découvrir par eux-mêmes? Voilà une question récurrente auxquels le personnel enseignant fait face. On ne peut obtenir la réponse à celle-ci que selon le contexte. L’activité expliquée plus haut ne demandait pas aux enfants d’associer des noms aux bonnes espèces, par exemple. Ainsi, nous leur avons dit que ceci était un scarabée, cela une écrevisse et celui-ci un esturgeon. Cependant, nous voulions que les enfants comprennent les différentes interactions entre les espèces, comment celles-ci vivaient ensemble dans un écosystème riche et comment ce dernier a été affecté par la construction du seuil.
Le côté empirique du programme de Troutreach a ainsi pu capter et garder l’intérêt des enfants pour la science, et ce, même pendant une belle et chaude journée d’été. Ce type d’activité est une façon amusante d’apprendre en groupe. Le personnel enseignant doit cependant toujours veiller à ce que l’on tire toujours quelque chose de l’activité. Pour introduire le problème de l’esturgeon, j’ai modifié une simulation tirée de Project Wild et construit une course à obstacle (apprentissage kinesthétique) pour concentrer les grandes réserves d’énergie des jeunes enfants. Les obstacles représentaient ceux que rencontre en hiver l’esturgeon jaune en descendant la rivière Saskatchewan Sud jusqu’à sa confluence avec la rivière Saskatchewan Nord, puis la remontée de la rivière pour frayer. La course à obstacles incluait les turbines de corde à danser, représentant le barrage Gardiner sur la rivière Saskatchewan Sud, des adultes pour remplacer les pélicans et les pêcheurs qui tentaient d’attraper les enfants (symbolisant les esturgeons), puis un grand saut, pour symboliser le seuil à Saskatoon. Le but du jeu était de nager en aval, de passer quatre mois à la confluence des deux rivières, de faire quatre fois l’aller-retour devant les pélicans et les pêcheurs, puis de revenir en amont pour pondre. Une fois que les enfants étaient à l’aise avec le jeu, nous avons allongé la distance du saut final pour qu’il soit impossible à réussir. Ainsi, les enfants ressentaient l’impossibilité de l’esturgeon à remonter plus haut que le seuil à Saskatoon, puisque ce poisson ne peut pas sauter et qu’il n’y a pas de passage aménagé pour lui. Les enfants étaient ainsi irrités et essayaient encore et encore de réussir le saut pour terminer la course à obstacles.
Pour aider les enfants à comprendre ce qu’ils ont vécu, je leur ai expliqué que l’esturgeon se trouvait dans la même situation qu’eux face au saut impossible à réaliser. Leur frustration envers le saut les a ainsi aidés à développer une certaine empathie pour l’esturgeon. Je leur ai également fait remarquer que le seuil affecte d’autres espèces de la rivière, ce qui a encouragé les enfants à s’intéresser au seuil et à son impact. Le contenu théorique que nous voulions leur communiquer, à ce moment, a pris tout son sens pour eux et ils se sont montrés attentifs lorsque nous leur parlions des comportements, de la reproduction et des caractéristiques physiques de l’esturgeon; de l’histoire, de l’objectif et de la fonction du seuil; et des effets de ce seuil sur les poissons, les oiseaux et les humains. Ainsi, au début de la journée les enfants n’avaient aucune idée de ce qu’étaient l’esturgeon et le seuil, mais à la fin de la journée, ils utilisaient parfaitement tous ces termes dans des conversations entre eux.
Pour les élèves, l’expérience réelle (voir, entendre et toucher) des enjeux peut avoir un impact significatif dans leur façon de les cerner et de les comprendre. Le personnel enseignant doit alors aider les élèves à faire le point sur ce qu’ils ont appris. Il peut notamment mettre en place des contraintes et du matériel pour susciter une réflexion dirigée. Ces contraintes et sources de réflexion aident l’élève à résoudre les problèmes avec un minimum d’implication directe du personnel enseignant.

Apprentissage par problèmes
Pour rendre l’apprentissage scientifique et environnemental important pour les enfants, nous devons leur donner de véritables problèmes nécessitant une solution. Le personnel enseignant peut pousser la créativité de ses élèves dans la recherche de solutions et les faire devenir des défenseurs des causes environnementales. Les élèves peuvent écrire des lettres au gouvernement, à des entreprises ou à des organisations qui pourraient les aider. Ils peuvent faire une démonstration ou mettre en place une simulation d’un problème et de leurs idées pour le résoudre. Ils peuvent monter un projet et faire une différence dans leur école ou leur quartier en s’impliquant. Les possibilités sont illimitées lorsque leur enseignant·e est ouvert·e et les encourage à trouver des solutions créatives.
Plusieurs solutions ont été présentées à la ville de Saskatoon concernant le problème du seuil, mais chacune vient avec son lot de conséquences. Les enquêtes des élèves les ont encouragées, car ils ont compris plusieurs choses. Nous leur avons, par exemple, fait une démonstration des canalisations du seuil pour qu’ils comprennent pourquoi les poissons ne peuvent pas le remonter (Figure 1). Plus ils étaient intéressés, plus ils posaient des questions à Iain, le scientifique, et à Maria, l’enseignante. Ils se demandaient entre autres « Pourquoi est-ce qu’il y a un seuil alors? », ou « Pourquoi est-ce qu’on ne le démolit pas? ». Nous avons discuté de cette dernière option, mais les avons aussi mis au défi de trouver une solution qui permettrait à l’esturgeon de remonter le seuil. En groupe, les enfants ont esquissé leurs idées sur papier, puis les ont mis à l’épreuve avec les canalisations et d’autres matériaux.
Malgré la diversité des solutions, chaque enfant avait une raison ou une théorie derrière la réussite de son idée, que l’on voyait dans ses dessins et dans son discours. Une fois les modèles construits, les enfants testaient leurs passages pour poissons en passant dans l’eau un hameçon de pêche à la mouche grossièrement attaché à une ficèle (Figures 2 et 3). Si la pente était trop abrupte, l’hameçon se détachait de la ficèle. Si la pente était correcte et que l’hameçon pouvait être amené en amont et en aval avec succès, les enfants se sentaient immédiatement fiers d’eux pour avoir trouvé une solution fonctionnelle. La simulation leur a permis de tester leurs idées et de réussir sans être notés. Tous avaient de bonnes idées, comme un tunnel sous le seuil ou encore un moulin pour faire passer les poissons par-dessus le seuil, mais la solution la plus populaire, avec les matériaux dont ils disposaient, était une pente graduelle pour aider les poissons à nager en amont et par-dessus le seuil.
Nous espérons que cette activité d’apprentissage par problèmes inspirera les enfants à s’engager face aux enjeux écologiques, en s’appuyant sur leurs connaissances scientifiques tout au long de leur évolution et de leur apprentissage.
Discussion
Le personnel enseignant peut aborder certains éléments du programme obligatoire en science en étudiant des enjeux locaux et en déterminant quels aspects s’appliquent le mieux à ces enjeux. Il peut ainsi préparer des activités abordant de façon empirique ces éléments et enjeux. Comme le montre le présent projet, cette approche amène de l’engagement de la part des élèves et une réflexion pour trouver des solutions. Presque tous les enjeux mondiaux, comme la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’élevage et l’agriculture et les écosystèmes menacés, peuvent être retrouvés à l’échelle locale.
S’appuyer sur des enjeux locaux permet aux enfants de comprendre le rôle de la science dans leur société puisqu’ils sont directement exposés à la recherche, comme c’est le cas du seuil à Saskatoon.
Idéalement, le personnel enseignant devrait pouvoir emmener leurs élèves sur les lieux en question, mais si ce n’est pas possible, la construction de maquettes ou la mise en place de simulation peuvent être de bonnes options pour permettre aux élèves d’être tout de même impliqués dans le processus scientifique.
Les enfants du Troutreach Saskatchewan Kids Program ont collectivement exprimé aimer la science. La plupart ne souhaitaient pas devenir scientifiques, mais ils se sont tout de même impliqués dans les activités et la collecte d’informations scientifiques. En observant ce qui stimulait les enfants et en écoutant leurs commentaires, nous avons déterminé que trois qualités clés de notre Saskatchewan Kids Program l’ont mené au succès. En nous basant sur ce que nous avons appris, nous recommandons au personnel enseignant de créer de vraies expériences d’apprentissage, empiriques et par problèmes, qui connectent avec la réalité de leurs élèves. Ainsi, les enfants pourront « faire » de la science et s’amuser!
Maria Jeanneau est maintenant diplômée du College of Education de l’Université de la Saskatchewan et est une ancienne employée de Troutreach Saskatchewan. Elle était coordonnatrice de la sensibilisation pour l’ONG Troutreach Saskatchewan (www.troutreachsk.com), un centre de recherche en écologie se spécialisant dans le bien-être des écosystèmes aquatiques.
Janet McVittie est membre du corps professoral du Département de la fondation éducative de l’Université de la Saskatchewan. Elle y enseigne et effectue des recherches sur l’éducation basée sur le milieu et la terre visant à inculquer une justice plus humaine et écologique.
Iain Phillips est un écologue aquatique spécialisé dans les microinvertébrés et dans les réseaux alimentaires aquatiques. Il est l’écologue principal des microinvertébrés aquatiques de la Water Security Agency, est professeur adjoint au Département de biologie de l’Université de la Saskatchewan et est le fondateur de Troutreach Saskatchewan.
Marianne Fleury-Ross est présentement étudiante en dernière année au baccalauréat en traduction à l’Université de Montréal
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