Explorer l’Antarctique au moyen des arts

Par Madeline Crouse et Skye Morét
Traduit par Nathalie H. Gagnon
L’année dernière, en Antarctique, le visage horizontalement fouetté par la neige, l’un de nous contemplait la noirceur de l’océan du pont arrière d’un navire de recherche. Au creux de la nuit, alors que le bateau tanguait d’un côté et de l’autre, Skye Morét retirait du plancher océanique un filet de pêche dans lequel elle découvrit ce qu’elle ne s’attendait pas à trouver en Antarctique : un véritable arc-en-ciel de créatures marines. Au même moment, à Denver au Colorado, Madeline Crouse enseignait l’art dans son local bien chauffé et réfléchissait à de nouvelles techniques qui permettraient de marier l’art et la science. Ce qui suit est le résultat de notre rencontre fortuite. L’activité art-science qui est née de notre conversation est toute prête à être entreprise par des classes dont l’âge des élèves se situe entre 8 et 16 ans.
Comment des élèves peuvent-ils explorer de nouveaux procédés créatifs qui leur permettront de représenter des écosystèmes variés, notamment ceux qui ont trait à des endroits que la plupart des gens ne verront jamais? Sur la planète, socialement et géographiquement, l’Antarctique est le continent le plus isolé. Les connaissances à propos de la variété de ses organismes vivants sont très peu publicisées, donc difficiles à enseigner. Dans cet article, nous proposons une plongée figurative sous les eaux côtières de l’Antarctique. Nous expliquons de nouveaux outils tactiles et visuels qui permettront aux élèves d’expérimenter, en utilisant des couleurs et des contrastes, la diversité du vivant qui se trouve au-dessus et au-dessous de la surface de l’océan.

L’enseignement de l’écosystème de l’Antarctique comporte ses défis parce qu’il est difficile de le conceptualiser. Bien sûr, nous connaissons les pingouins, nous les voyons dans les aquariums et dans les films, et nous pouvons nous imaginer le paysage austère, blanc, gris et bleu qui forme cet écosystème. Lorsque nous pensons à l’Antarctique (ou lorsque nous en cherchons une image sur Google), des scènes monochromatiques nous viennent à l’esprit. Toutefois, pouvons-nous nous imaginer les couleurs de l’univers sous-marin qui dominent la biomasse antarctique? En utilisant l’art comme moyen pour explorer cet habitat hostile et insolite, les enseignants peuvent relever ce paradigme chromatique et explorer une autre facette de l’Antarctique qui inclut diverses couleurs et créatures.
Bien qu’il soit plus facile d’enseigner les concepts de la géographie et de la science du vivant pour des habitats plus habituels, une brève exploration des sciences connexes à l’Antarctique révèle de fascinantes études et thématiques marines qui engendrent, chez les élèves, un perpétuel questionnement au sujet des écosystèmes marins. Le fait que l’Antarctique soit encore sous-exploré ne vient qu’augmenter la sensation de découverte et d’aventure. En se basant sur des études portant sur des sujets allant des changements climatiques jusqu’à d’étranges adaptations (comme certains poissons qui sont dotés de protéines antigel), les enseignants trouveront le continent austral riche en matériel pédagogique.
Les côtes de l’Antarctique sont encerclées par les températures de surface au-dessous de zéro de l’océan Austral et elles s’étendent sur près de 18 000 kilomètres (plus de 11 000 milles). Environ deux fois plus grand que l’Australie, le continent en forme de côtelette est couvert de glace à 98 %. Il est libre de tout mammifère terrestre et n’abrite que quelques espèces strictement terrestres. Heureusement pour nous et pour la biodiversité de la Terre, l’environnement sous-marin est parfaitement adapté pour accueillir des centaines de créatures marines extraordinaires, des vers dorés luisants, des pieuvres violettes, de géantes étoiles marines jaunes et des « cochons de mer » qui ressemblent à de petits ballons d’eau roses.

Avant d’entreprendre le processus artistique expliqué plus loin, les élèves peuvent s’intéresser au concept de l’Antarctique, eh bien oui, en se concentrant sur les gens. Aux États-Unis, « la science en tant qu’activité humaine » fait partie des exigences en Histoire et en Sciences naturelles pour les niveaux allant de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire. Les enseignants peuvent débuter en présentant des informations de base à leurs classes au sujet des installations de recherche sur le continent1 et en soulevant des interrogations pertinentes sur la vie dans celles-ci. Les élèves formulent des questions interdisciplinaires judicieuses auxquelles ils peuvent répondre grâce à diverses recherches et enquêtes. Les thèmes suivants pourraient faire l’objet des discussions en classe : les sujets d’étude des scientifiques en Antarctique, le genre de vêtements qu’ils portent et les moyens qu’ils utilisent pour étudier les créatures marines dans une eau aussi froide. Les élèves pourraient même évaluer les défis logistiques ayant trait au transport du matériel scientifique sur la glace ou aux aliments dont les gens doivent se nourrir, étant donné l’absence d’aliments frais.
Il existe plusieurs sites internet sur lesquels les enseignants peuvent trouver de l’inspiration et de l’information sur les créatures de l’Antarctique, sur les aventures scientifiques qui s’y déroulent et sur la vie de tous les jours.2 L’émergence et le développement d’un nouveau genre scolaire comme le design de l’information font en sorte que la science s’observe plus facilement tout en devenant plus accessible. Dans les activités suivantes, nous faisons référence au travail de Skye Morét « Antartica : A Chromatic Paradox »3, une œuvre d’art qui illustre l’utilisation de couleurs et de contrastes dans la représentation de la biodiversité de l’Antarctique, au-dessus et au-dessous de la surface de l’océan.
Afin que les élèves artistes s’impliquent et qu’ils établissent des liens avec la vie en Antarctique et sa géographie, nous leur proposons des approches singulières fondées sur la réalisation de projets. L’objectif est de faire en sorte que les élèves effectuent des recherches individuelles et qu’ils conçoivent divers travaux artistiques pour illustrer leur compréhension. La mobilisation des compétences de la pensée conceptuelle et visuelle et l’approfondissement du potentiel de recherche encouragent les élèves à établir leur propre cadre de travail en ce qui a trait à l’exceptionnel écosystème de l’Antarctique.
La littératie visuelle

En utilisant l’apprentissage par projet, les élèves artistes ont plus de contrôle et de responsabilité sur leur expérience d’apprentissage. Ils peuvent se concentrer sur la formulation de leurs questions en réponse à la recherche d’informations. Ils apprennent aussi à appliquer cette recherche dans un contexte environnemental stimulant et inhabituel. Ces compétences exigent d’eux qu’ils développent une capacité de raisonnement plus élevée tout en renforçant les concepts acquis dans diverses disciplines.
En intégrant les programmes d’art et de sciences, et particulièrement dans le contexte de l’Antarctique, nous pouvons inspirer la curiosité à propos d’une variété de concepts environnementaux. La littératie visuelle favorise l’augmentation des modes d’échanges et d’engagements environnementaux dans les classes. Les enseignants devraient aussi utiliser les outils visuels basés sur les données comme de nouvelles voies pour répondre au besoin d’apprentissage des élèves. Étant la prochaine génération des citoyens du monde, ces derniers s’appuieront sur ce genre de compétences conceptuelles et interdisciplinaires pour évaluer intelligemment les préoccupations socio-environnementales comme les impacts imprévisibles du réchauffement climatique dans des endroits tels que l’univers sous-marin de l’Antarctique.
Activités
Plusieurs approches artistiques utilisant divers moyens aident à mettre en lumière la géographie et l’écosystème marin mal compris de l’Antarctique. Commencez en présentant l’écosystème de l’Antarctique. Demandez ensuite aux élèves de regarder l’œuvre de Skye Morét, mentionné précédemment, qui met en relief la juxtaposition de couleurs dans différents habitats de l’Antarctique. Les élèves peuvent dès lors démontrer, visuellement et conceptuellement, ces contrastes dans la biodiversité grâce à la création de travaux artistiques individuels. Que ce soit par l’utilisation du four de potier (Kiln), de pâte à modeler, des crayons de couleur ou par le collage de coupures de papier, les enseignants peuvent impliquer les élèves en explorant et en développant les idées suivantes.
Une recherche sur les créatures marines de l’Antarctique par l’élève est primordiale à chaque activité. Cette recherche prend la forme d’une étude visuelle (croquis créatifs ou impression d’images) que les élèves référenceront par la suite. Ces études peuvent s’effectuer en dehors des heures de cours. Certains des élèves possèdent peut-être même un portfolio numérique sur lequel ils pourraient afficher leurs images.
Sculpture d’argile cuite
Pour les enseignants qui ont accès à un four (Kiln), la création de sculptures en céramique offre un moyen robuste d’explorer l’écosystème de l’Antarctique. Après avoir sculpté la surface de l’argile avec des textures qui représentent les caractéristiques physiques du continent, le haut de chaque pièce est verni avec des couleurs neutres et le dessous est coloré de brillantes créatures marines de l’Antarctique qui auront fait l’objet de recherches individuelles. Voici la description détaillée du processus.
Les artistes commencent la création de leurs œuvres en abaissant l’argile à une épaisseur de 1,5 cm pour obtenir un morceau d’une taille approximative de 20 cm sur 20 cm. Distribuez des feuilles illustrant le continent antarctique aux élèves. Ils doivent placer ces feuilles sur l’argile et presser fermement avec un outil pointu pour tracer la forme de l’Antarctique dans l’argile. Ce procédé déchirera le papier qui pourra alors être recyclé. Ensuite, les artistes taillent le contour de la forme du continent et éliminent l’excès d’argile du périmètre.
À l’aide d’une éponge et de barbotine (un mélange d’argile et d’eau), les artistes lissent la surface de leur continent de céramique, créant ainsi un niveau de base auquel une texture sera ajoutée sous peu. Après avoir bien étudié les types de caractéristiques géographiques du continent antarctique : chaines de montagnes, vallées, volcans, archipels et calottes glaciaires, les artistes utilisent une variété d’outils pour l’argile et de tampons de caoutchouc pour créer une surface continentale texturée.
Une fois que l’argile a été texturée et cuite dans le four, les artistes examinent les couleurs neutres (le gris, le blanc et le brun) et ils vernissent la partie supérieure de leur continent. Si le temps manque, plusieurs vernis peuvent être appliqués sur de l’argile sèche et durcie et cuits une seule fois plutôt que deux (le protocole normal).
Lorsque les pièces de céramiques sont cuites, les jeunes artistes utilisent des crayons de couleur pour dessiner sur la base non vernie de la pièce la vie marine sur laquelle ils auront fait des recherches. Il est recommandé que les artistes utilisent des couleurs brillantes afin d’augmenter l’effet de contraste entre les parties supérieure et inférieure de leur travail, mettant du coup l’accent sur les différences de couleurs et de biodiversité au-dessus et au-dessous de la surface de l’océan.
Mobile de pâte à modeler
Il est possible de créer des mobiles suspendus qui mettent en valeur les couleurs et la géographie de l’Antarctique, sans avoir recours à un four (Kiln), en utilisant de la pâte à modeler qu’on laisse sécher à l’air (comme la pâte à modeler Model Magic de Crayola).
Cette activité peut être adaptée afin de convenir à un projet de groupe dans lequel chaque artiste ajoute une créature différente à un mobile collectif. Les jeunes élèves, de 8 à 10 ans, devraient être encouragés à sculpter des pièces qui se tiendront dans le creux de leur main, le développement de leur dextérité fine s’en trouve facilité. De plus, étant donné qu’ils pourraient avoir de la difficulté à nouer le fil de pêche, planifiez l’aide d’un adulte pour l’assemblage du mobile. Les élèves plus âgés peuvent quant à eux en apprendre davantage sur la vie marine en étudiant les créatures et en déterminant à quelles profondeurs elles vivent et ajuster en conséquence le niveau de suspension des créatures sur le mobile. Les élèves les plus avancés, ceux de 14 ans et plus, peuvent même intégrer plus de données à leur mobile en considérant la structure du réseau alimentaire.
Lors de la planification de ce projet, prenez en considération la durée de temps de séchage de la pâte à modeler. Il faut 24 heures à la pâte à modeler Model Magic pour durcir complètement. Prévoyez que les élèves artistes façonnent leur continent et leurs animaux dans une première séance et assemblent le mobile dans une deuxième séance, lorsque toutes les pièces seront bien sèches.
Les artistes devraient débuter en sculptant le continent tel qu’il est décrit dans l’exercice ci-haut, en utilisant des couleurs neutres et en veillant à ce que le contraste entre le haut et le bas soit évident. Sur la partie inférieure du continent, la pâte à modeler doit être pincée de façon à créer de petites languettes plus épaisses dans lesquelles il faut percer de petits trous à l’aide d’une punaise ou d’un cure-dents. Ces trous serviront à suspendre les créatures. Les perforations produites par les punaises et les cure-dents sont de dimensions parfaites.
Une fois que les élèves auront mené leurs recherches individuelles sur les créatures sous-marines, ils devront façonner des animaux colorés avec la pâte à modeler. Les couleurs de pâte Model Magic peuvent être mélangées par les élèves pour créer de nouvelles couleurs. Lorsque deux couleurs ne sont pas complètement mélangées, elles donnent un aspect de tourbillon intéressant. Si la pâte à modeler n’adhère pas très bien, l’utilisation de colle permet de bien faire tenir les pièces ensemble. Utilisez un cure-dents pour effectuer un petit trou dans chaque créature. Passez un fil de pêche transparent dans ces trous et attachez les créatures au continent antarctique en Model Magic en passant le fil de pêche dans les languettes créées précédemment, de façon à ce qu’elles « flottent » physiquement et conceptuellement sous le continent glacé.
Collage en papier
Les jeunes artistes peuvent s’inspirer directement des œuvres de Morét pour créer un collage coloré fait de papiers de revues destinées à la récupération. En utilisant des couleurs qui proviennent de coupures de photographies dans les revues, la limite verticale (niveau de la mer) est délimitée clairement et les élèves artistes peuvent créer un collage qui en théorie traite des thèmes de la biodiversité de l’écosystème décrite plus tôt. Visuellement, les élèves apprendront l’importance des relations des contrastes et des couleurs au sein d’un contexte d’écosystème diversifié.
Les élèves peuvent commencer en créant l’arrière-plan sur un morceau de papier d’environ 22 cm sur 60 cm. L’objectif est que le tiers supérieur de l’arrière-plan soit d’une couleur neutre pour représenter le paysage au-dessus de la surface de l’océan et que les deux tiers inférieurs de la surface artistique démontrent comment l’habitat devient graduellement plus sombre avec la profondeur. Les échantillons de peinture gradués peuvent aider à illustrer cette variation de luminosité et être utilisés à titre de référence. Les élèves peuvent se servir de dégradés de peintures, de crayons de couleur (dans des teintes de bleu ou de noir) et de coupures de papiers recyclés qui seront collées avec de la colle en bâton.
Une fois l’arrière-plan terminé, les artistes peuvent coller les créatures marines sur lesquelles ils auront fait des recherches. Encouragez-les à ne pas découper des images de poissons trouvées dans des revues, mais plutôt des parties d’image dans des teintes qui conviendraient comme matériel au collage de leur animal. Par exemple : les artistes peuvent utiliser une seule forme pour le corps, des formes distinctes pour les nageoires, la queue, les bras (étoile de mer), les yeux ou autres parties du corps. Les coupures de papier devraient se chevaucher pour ajouter plus de détails et créer un contraste plus démarqué avec l’arrière-plan.
Comme pour l’activité précédente, cette activité peut être adaptée pour répondre aux besoins d’un projet de classe. Chaque élève crée alors une créature qui sera ajoutée à un arrière-plan commun. Les élèves plus avancés pourraient même intégrer les propriétés physiques de l’atténuation de la luminosité et des variations de couleurs selon la profondeur de l’eau en utilisant des dégradés de couleur.
Madeline Crouse est enseignante en art dans une école privée du Colorado. Au cours de ses neuf années d’enseignement, elle a fait avancer l’intégration de l’art dans diverses matières, se concentrant de plus en plus sur la relation entre l’art et la science, spécifiquement parce qu’elle s’oriente sur la protection de l’environnement et l’activisme.
Skye Morét est conceptrice d’information à Portland, en Oregon. Elle croit au pouvoir de la visualisation et de l’implication significative pour faire le pont entre deux disciplines traditionnellement opposées : le design et la science. Son travail a été réalisé au cours de neuf voyages en mer dans le cadre du U.S. Antarctic Program. Elle aime partager son expérience grâce au narratif visuel et aux conceptions orientées vers les données.
Traduit par Nathalie H. Gagnon, diplômée du baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.
Notes :
1. Council of Managers of National Antarctic Programs (COMNAP). “Main Antarctic Facilities operated by National Antarctic Programs in the Antarctic Treaty Area (South of 60° latitude South),” mise à jour en février 2014. Worksheet en ligne: https://www.comnap.aq/Members/SiteAssets/SitePages/Home/Antarctic_Facilities_List_13Feb2014.xls
2. British Antarctic Survey (BAS), “Discovering Antarctica: the world’s last great wilderness.” En ligne : http://discoveringantarctica.org.uk.
Morét, S., “Frozen Dinners,” Roads & Kingdoms, 2015. En ligne : http://roadsandkingdoms.com/2015/frozen-dinners.
Morét, S., “In living color: Antarctica’s vibrant wildlife under the sea,” Medium, 2015. En ligne : https://medium.com/@GroundTruth/in-living-colorantarctica-s-vibrant-wildlife-under-the-sea54ee6f09d662#.6frssq50b.
3. Ossola, A., “Below the surface, Antarctic seas dazzle,” Popular Science 288, no. 2, 2016, p. 71. En ligne : www.popsci.com/below-surface-antarctic-seas- dazzle Renseignements supplémentaires sur le site : http://skyemoret.com/Antarctica-a-Chromatic-Paradox.
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