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Le studio d’art durable

Par Iván Asin

Traduit par Mélanie Robert

IL Y A PLUS DE 10 ANS, l’alarme a sonné : environ les deux tiers des systèmes qui répondent à nos besoins fondamentaux sont en train de s’effondrer, risquent de s’effondrer ou le sont déjà.1 Pourtant, cette information n’a pas modifié la politique de l’éducation — du moins, pas aux États-Unis — ce qui signifie que ce n’est pas une priorité dans nos écoles non plus. Au fait, il est fort probable qu’aucun changement ne survienne. Les personnes qui élaborent les politiques et l’administration scolaire ne s’intéressent guère à faire des efforts qui ne leur garantissent pas une récompense à court terme ou des résultats chiffrables. C’est ainsi que malheureusement, les programmes qui encouragent les comportements écoresponsables de leurs élèves sont perçus comme étant indésirables la plupart du temps.2 En pensant à cette problématique, j’ai commencé à penser à des façons de surmonter cet obstacle dans mon domaine d’enseignement, les arts visuels. En tant qu’éducateur je me suis concrètement centré à investiguer et à créer des moyens pour que mes élèves confectionnent eux-mêmes leurs matériaux et outils d’arts visuels à partir de ressources locales. Avec un peu de chance, apprendre de cette manière rendra mes élèves plus conscients des répercussions environnementales, sociales et économiques de leurs projets, ce qui leur permettra de voir les arts visuels d’un point de vue durable.

Au fil de mon expérience, j’ai réalisé que pour mettre un studio d’art durable en place, les arts et les sciences doivent se réunir.3 Étudier les processus artistiques prémodernes était la seule façon de créer un lien significatif entre l’art et l’éducation du développement durable (ESD)4.

Les trois exemples qui suivent montrent comment un programme d’art durable peut être adapté à différents contextes et donne quelques procédés artistiques à essayer. D’abord, je donnerai des exemples d’application des procédés artistiques durables dans un contexte typique d’école en milieu urbain défavorisé, et de comment la communauté — de l’école et de l’extérieur — peut jouer un rôle important dans le processus. Ensuite, je discuterai des liens étroits que peuvent tisser les procédés artistiques entre les membres d’une communauté rurale ainsi que les possibilités infinies que ces situations offrent. Enfin, je partagerai des idées pour mettre sur pied un studio d’art durable dans des écoles ou des milieux où les ressources et les fonds sont limités.

Les matières premières urbaines

Durant mes années d’enseignement de procédés artistiques durables, je me suis souvent heurté à la fausse supposition que les matières premières peuvent seulement être récoltées en milieu naturel. Bien entendu, l’environnement urbain n’offre pas la même diversité de matières premières que les milieux ruraux. Vu le nombre restreint d’occasions d’explorer des milieux naturels, les élèves d’écoles en milieu urbain défavorisé ont donc un accès limité à l’éducation environnementale.5 Ainsi, il n’est pas rare que dans ce contexte, les enseignants d’arts explorent habituellement l’utilisation d’objets trouvés ou de matériaux recyclés comme manière de promouvoir des valeurs de recyclage et de conservation. Ce genre de projets est certainement un bon point de départ dans la création d’une culture de conscience environnementale. Toutefois, la conception d’un studio d’art durable en milieu urbain nécessite une connaissance approfondie et étendue des ressources disponibles.

Dans la plupart des villes, on peut trouver des fleurs, des graines ou des feuilles pour en extraire les pigments ou les fibres. Cependant, étant donné le peu d’éléments naturels, l’élaboration d’un studio durable sera plus facile si vous établissez des relations à l’extérieur du cadre scolaire, avec la communauté. Vous pourriez par exemple établir un lien solide avec des producteurs de marchés fermiers ou un gestionnaire de supermarché. Ces personnes peuvent facilement conserver les restes alimentaires ou les aliments périmés (les vedettes : les pelures d’oignon et les œufs périmés) et sont généralement ravies et curieuses de nous aider une fois l’objectif présenté. Cette façon d’obtenir des matières premières utilise des ressources non locales, mais quand l’accès à la nature est limité, ces collaborations sont tout aussi valables et fournissent des échanges enrichissants. En fin de compte, on cherche à adopter une certaine mentalité, soit une attitude envers l’environnement — ou une façon d’y penser — qui est plus importante que la provenance des ressources ou ce qui est fait avec. Mon expérience dans une école secondaire publique de premier cycle à Queens, à New York, illustre bien un exemple de cette approche. En effet, mes élèves ont pu produire une variété de matériel artistique en utilisant à la fois des ressources locales et externes. La mosaïque ethnique de Queens nous a permis d’obtenir une grande sélection de pigments et de fibres de fruits et légumes vendus dans les marchés indiens, hispaniques et népalais. Des glands de chêne et des féviers épineux ont été récoltés localement près des arbres et utilisés pour faire des encres et aquarelles. Nous avons également établi une entente pour obtenir le papier autrement jeté du bureau principal de l’école. Ce papier a plus tard été transformé par mes élèves pour en faire de magnifiques feuilles de papier fait à la main.

Les initiatives d’éducation environnementale dans les écoles tombent souvent à l’eau parce qu’elles échouent à tisser des liens avec la culture des communautés locales. Ainsi, leur statut d’idéal à atteindre ne se concrétise jamais. C’est pourquoi il est si important de créer une conscience environnementale authentique chez nos élèves, pour qu’ils se sentent motivés à agir en fonction de leurs apprentissages au-delà des murs de l’école. Mais la culture de cette conscience est seulement possible lorsque notre enseignement cultive des relations significatives avec les élèves. Faire participer d’autres membres de la communauté dans le processus peut renforcer nos initiatives et nous permettre de rester à jour avec les questions environnementales locales.

« Je trouve fascinant à quel point il est simple d’utiliser des éléments de notre propre environnement. Je n’aurais jamais pensé que tant de choses des alentours pouvaient être utilisées pour faire tant de choses. »

Melany Hernández, élève.

La création de liens avec les communautés rurales

Les élèves provenant de milieux ruraux sont généralement plus conscients des ressources naturelles qui les entourent et des dangers qui menacent ces mêmes ressources. La création de matériel artistique à partir d’éléments naturels peut quand même leur faire voir l’environnement d’un regard nouveau. En travaillant avec une communauté rurale à flanc de montagne à Medellín,6 en Colombie, j’ai été témoin de la découverte « renouvelée » des espaces communs par mes élèves. Alors qu’ils arpentaient le voisinage, beaucoup d’entre eux observaient leur entourage pour la première fois plutôt que de simplement le voir. À cet égard, l’étude des arts visuels est assez unique, parce qu’elle fait naître un sens de l’observation et permet aux personnes d’exercer leur pensée critique envers les qualités esthétiques de leur environnement.

D’après mon expérience, l’implantation d’un studio d’art durable dans les communautés rurales crée une occasion pour ses membres d’interagir entre eux — et avec l’environnement — de façon très rapprochée. Ainsi, deux éléments-clés sont à considérer : d’abord, beaucoup de gens dans ce contexte se côtoient au quotidien, sans toutefois apprendre à se connaître. Par exemple, près de Medellín, mes élèves étaient tous d’accord pour dire qu’ils ne se connaissaient pas vraiment et que le fait de fabriquer du matériel artistique ensemble leur a permis de tisser des liens plus serrés. Ensuite, l’évaluation collective des ressources assurait que les intérêts et les inquiétudes de chacun étaient tenus en compte avant de procéder.

Le résultat de l’expérience a été que mes élèves de Medellín ont appris à faire des encres et du papier fait à la main, qu’ils ont utilisé plus tard pour créer des peintures. De plus, la terre environnante était riche en argile, ce qui nous a permis d’expérimenter la céramique. Durant le processus, mes élèves ont appris à extraire l’argile et à la transformer. Ils ont ensuite expérimenté avec le médium et ont appris une technique ancestrale de cuisson, l’enfumage, qui nécessite seulement un tambour d’acier et du bran de scie, soit une alternative intéressante au four céramique.

« C’était une semaine très inspirante. Nous travaillions ensemble, comme une communauté : les enfants, les jeunes adultes, les personnes âgées… c’était beau à voir. »

Marina Echavarría, élève.

Pas de matériaux, pas de problème

Les enseignants d’arts qui travaillent dans des écoles ou dans des milieux très défavorisés seront ravis de découvrir que les élèves peuvent faire leur propre matériel artistique en utilisant des ressources de leur environnement. Avec une brève étude des procédés artistiques et un peu d’imagination, n’importe quel enseignant — dans n’importe quel milieu — peut créer un studio d’art durable. Au Pérou, j’ai eu l’occasion de travailler avec un groupe de filles dans un orphelinat de Puente Piedra, un des plus gros quartiers pauvres de Lima. Comme l’orphelinat ne disposait de pas beaucoup de matériel, nous avons dû bâtir notre four et notre poêle (le feu est une composante essentielle de la plupart des procédés que j’enseigne). Dans notre cas, nous avons eu suffisamment de chance pour trouver tout ce dont nous avions besoin à proximité de l’orphelinat : des vieilles briques, du bois de chauffage et une plaque de métal. De simples matériaux de dessin peuvent être fabriqués avec très peu de matériel. Par exemple, mes élèves de Lima ont ramassé des branches, les ont pelées, les ont placées dans un contenant de métal qu’elles ont scellé avec un fil de métal et qu’elles ont mis dans le feu pour en faire des bâtons de fusain (ce qui prend environ une heure, normalement). Les filles de l’orphelinat étaient aussi surprises d’apprendre que les graines de tara — nombreuses dans la région — étaient très utiles pour produire des pigments et des teintures. Ces deux exemples (les bâtons de fusain et la collecte de graines) démontrent bien comment nous pouvons utiliser les ressources qui tombent des arbres et que nous pouvons ramasser au sol pour faire des projets artistiques durables, tout en respectant la nature. Dans ce genre de contexte, il est crucial que nous fournissions aux élèves — peu importe leur âge — des outils intellectuels qui leur permettront de continuer à explorer de façon autonome les possibilités de développement pour le studio d’art durable.

Il faut se rappeler que le but n’est pas de simplement leur montrer à faire de la peinture ou du papier. Notre objectif vise à leur faire adopter une façon de penser, une idée et un mode de vie. Nous espérons qu’en comprenant les raisons qui poussent à mettre sur pied un studio d’art durable, les élèves pourront appliquer cette mentalité à d’autres sphères de leur vie et la partager avec d’autres membres de la communauté.

« J’ai trouvé cet atelier différent et innovateur. Nous avons réussi à utiliser tout ce que l’environnement pouvait offrir. Ces procédés artistiques sont durables et accessibles à tous. »

Estefanía Bedoya, élève.

Que ce soit pour les jeunes de milieux urbains défavorisés, les communautés rurales, les populations insuffisamment desservies ou pour tout autres contextes : le développement d’un studio d’art durable peut être bénéfique pour tous. De cette façon, nous pouvons poser les fondations d’une éducation du développement durable qui considère les arts visuels comme une composante importante.

En soutenant l’enseignement de l’art centré sur la communauté et sensible à l’environnement, nous ne souhaitons pas mettre de côté l’esthétique pure ou décourager les formes d’expression artistique individuelle au profit des modèles collectifs. Cependant, les questions environnementales d’aujourd’hui nous poussent à considérer l’art comme une pratique sociale transformative7 et à promouvoir les habitudes écoresponsables chez nos élèves, pour qu’ils puissent à leur tour partager ces mêmes comportements dans leur communauté.


Iván Asin est un enseignant d’art et le fondateur du Center for Art Education and Sustainability (CAES), basé à New York. Découvrez-en davantage à l’adresse : www.sustainableartschool.org

Mélanie Robert est finissante au baccalauréat en traduction de l’Université de Sherbrooke. Les causes écologiques sont très proches de son cœur et elle souhaite contribuer à la conservation de l’environnement autant qu’elle le peut. 

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