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Les couleurs de la nature

Par Annemarie Hatcher

Traduit par Laurence Mailhiot

Expérimenter avec les plantes tinctoriales est une activité amusante à tout âge. Lorsque les jeunes artistes observent une casserole de déchets alimentaires transformer un t-shirt en une pièce d’un jaune doré, ils pensent déjà à leur prochaine expérience.

« C’est vraiment facile. J’ai beaucoup aimé voir l’eau devenir jaune quand on a mis les pelures d’oignon. Plus on les laisse sur le feu, plus l’eau devient foncée. Ça m’a tout de suite donné le goût d’essayer avec des betteraves ou des carottes. » — Claire Beresford, 10 ans

Plusieurs systèmes d’enseignement public visent un curriculum intégré. Pour les enseignants, produire ou obtenir des ressources qui soutiendront un apprentissage intégré pertinent d’un point de vue local s’avère toutefois un défi. Dans cette optique, les compétences nécessaires à la vie courante comme la préparation de nourriture et la confection de vêtements sont un canevas d’apprentissage qui permet d’intégrer les matières scolaires traditionnelles. La teinture naturelle est une activité qui touche à plusieurs disciplines : des notions de chimie sont nécessaires pour réussir le transfert des couleurs sur le textile; les élèves sont initiés aux bases de la botanique lorsqu’ils expérimentent avec différentes plantes; ils découvrent les récits des échanges de teintures recherchées entre les cultures au fil du temps lors des leçons d’histoire et pour créer des motifs et des effets, les élèves utilisent leur côté artistique et étudient la couleur et la lumière. La curiosité et l’exploration, qui sont les fondements de la science, sous-tendent l’exploration des possibilités de teintures.

Différentes avenues sont possibles lors de l’élaboration d’une unité d’apprentissage intégré basée sur la teinture naturelle. Cet article vous invite à plonger dans le sujet par une initiation aux principes de base et un exercice pratique pour les 9 à 12 ans avec les pelures d’oignon jaune, l’une des teintures naturelles les plus courantes. La couleur en est extraite en faisant mijoter les pelures dans l’eau. On peut ensuite plonger dans le bain de teinture des fibres comme du coton ou de la laine pour les colorer de tons riches et terreux. Ce processus, pourvu qu’il soit fait en prenant de simples précautions, ne présente aucun danger pour les jeunes élèves tel qu’il est présenté ci-dessous. Si vous désirez aller plus loin, il existe de nombreux ouvrages de référence, dont plusieurs sont présentés à la fin de cet article.

Des possibilités à explorer en classe

Il n’y a pas de bonne ou mauvaise façon de teindre les textiles. L’expérience avec les pelures d’oignon (présentée ci-dessous) devrait être vue par les élèves comme le point de départ de leur processus d’exploration. Les déchets de la cuisine ou du jardin, comme les fanes de carottes, les cœurs et les noyaux de pommes, les coquilles de noix ou les feuilles de chou rouge, révèlent un éventail de couleurs et varient d’une saison à l’autre. Certaines plantes n’offrent de bons résultats que lorsque fraîchement cueillies, tandis que d’autres peuvent être séchées pour être utilisées plus tard. Généralement, les fleurs comme le pissenlit, la verge d’or et la rose trémière offrent les couleurs les plus riches lorsque fraîchement cueillies. Si elles sont séchées, les chromophores se dégradent et les couleurs produites seront moins intenses. D’autres teintures comme l’écorce de bouleau et la racine de rhubarbe peuvent être séchées pour être utilisés plus tard. Ces colorants doivent être séchés à l’abri de la lumière directe du soleil dans un endroit aéré et conservés dans des sacs en papier (évitez le plastique). Règle générale, vous devez utiliser le même poids de colorant que de tissu à teindre. La quantité d’eau ne dilue pas le colorant. En fait, l’intensité de la teinture se mesure par le nombre de particules teintures par rapport à la quantité de tissu à teindre. Les particules de couleur dans la teinture sont « réparties » dans les fibres.

Fibres

Les teintures naturelles sont le plus souvent faites sur des textiles naturels. Les fibres de provenance animale, comme la laine et la soie, sont de nature protéique. Les fibres végétales, comme le coton et le lin, sont de nature cellulosique. La méthode de teinture diffère généralement selon ces deux types de fibres.

Parce que les différentes structures moléculaires réagissent différemment à la teinture, celle-ci révèle souvent des motifs intéressants sur les vêtements dont la composition est mixte. Le processus est plus rapide pour les fibres animales et se fait à une plus haute température que les fibres végétales. Pour une activité de teinture naturelle en classe, du fil de laine non coloré et des mouchoirs ou des t-shirts de coton sont de bonnes options. 

Lavage des fibres

Les textiles à teindre doivent être lavés pour que soient éliminées les graisses et impuretés qui empêcheraient la couleur de bien pénétrer le tissu. Trempez la fibre animale dans de l’eau tiède pendant 20 minutes avec du savon à vaisselle (1 c. à thé par 13 L d’eau). Rincez avec de l’eau claire à la même température. Si la fibre est végétale, la tremper dans un bain d’eau tiède avec des cristaux de soude (1 c. à thé par 4,5 L d’eau). On trouve des cristaux de soude dans la rangée des produits nettoyants des épiceries.

Directives de sécurité

  1. Utiliser des gants de caoutchouc, un tablier et des lunettes de protection. Utiliser des mitaines de four lors de la manipulation des récipients chauds. L’enseignant doit surveiller de près toute activité où l’élève doit manipuler des récipients et des liquides chauds.
  2. Travailler dans un espace bien ventilé. Si possible, faire l’expérience à l’extérieur est idéal.
  3. Garder les produits de teinture à l’écart de la nourriture. Utiliser un récipient dédié à la teinture. Ne pas manger ou boire lors de la manipulation des produits de teinture. Même s’ils sont naturels, certains de ces produits peuvent être toxiques (p. ex. les feuilles de rhubarbe).
  4. Utiliser un masque et des lunettes de protection lors de la manipulation de matériel de teinture en poudre. Même si le mordant à l’alun peut être ingéré sans risque, il peut tout de même irriter les voies respiratoires et les yeux.

Mordançage

Toutes les teintures naturelles se classent en deux catégories : celles qui nécessitent un mordançage (teintures adjectives) et celles qui n’en ont pas besoin (teintures substantives). Un mordant est un minéral qui permet de préparer la fibre pour faciliter l’accroche des colorants (du latin mordere, qui signifie « mordre »). Les teintures substantives sont faites à partir de plantes qui contiennent déjà des tannins comme les écorces et les noix. Le mordant est donc déjà présent dans ces teintures.

On peut facilement s’imaginer que les techniques de teinture naturelle ont été développées comme un sous-produit des préparations quotidiennes de plats et de boissons. Les processus de cuisson des aliments et de fermentation des fruits pour les boissons alcoolisées sont semblables à la teinture des fibres. Les premiers essais de teintures ont probablement produit des taches qui disparaissaient rapidement à la lumière ou se délavaient lorsque le tissu était trempé. La préparation des peaux pour le cuir a peut-être permis de découvrir les mordants naturels que sont les écorces d’arbres riches en tannins. 

Les mordants sont souvent des composés métalliques de l’aluminium, du fer et du cuivre. Le chrome et l’étain sont des mordants utilisés par les teinturiers expérimentés et sont trop toxiques pour les jeunes débutants. À la place, des mordants naturels tels que l’écorce et les noix peuvent être utilisés dans les teintures adjectives. La manière la plus efficace de mordancer les fibres consiste à le faire avant la teinture. 

La poudre d’alun (sulfate double d’aluminium et de potassium) est utilisée dans les recettes de saumurage comme préservatif et pour conserver le croquant. Il est approuvé par la FDA aux États-Unis comme additif alimentaire; vous pouvez l’utiliser sans crainte comme mordant naturel pour la teinture avec vos élèves.

Mordançage à l’alun

Pour les teintures adjectives, le textile peut être mordancé à l’avance, puis séché et conservé pour être teint plus tard. Il est aussi possible de teindre le textile tout de suite après le mordançage.

  1. Peser la fibre à mordancer.
  2. Tremper la fibre propre durant la nuit.
  3. Préparer une solution de poudre d’alun de qualité alimentaire (1 g de poudre d’alun dissoute dans 10 ml d’eau bouillante). Mélanger la solution jusqu’à la dissolution complète de l’alun. Ajouter la solution au bain de préparation du textile selon la quantité de fibre. Pour 100 g de fibres, prévoir 80 ml de solution.
  4. Ajouter 1 ½ cuillère à thé de crème de tartre pour 100 g de fibres. L’ajout de crème de tartre augmente l’efficacité de l’alun. Elle améliore son absorption et adoucit la fibre.
  5. Remplir un récipient en acier inoxydable d’eau froide (environ 3 à 4 L pour 100 g de fibres). Ajouter la poudre d’alun et la crème de tartre et mélanger pour dissoudre. Ajouter la fibre mouillée et chauffer graduellement pour mijoter doucement. Laisser ainsi sans mélanger durant une heure. Éteindre le feu et laisser la fibre refroidir dans le récipient, en remuant de temps à autre. Lorsque la fibre est refroidie, la rincer doucement à l’eau froide.
  6. Après le prétraitement à l’alun et à la crème de tartre de la fibre, celle-ci peut être teinte ou séchée pour l’utiliser plus tard.
  7. Il est considéré comme sécuritaire de jeter l’alun et la crème de tartre dissous dans les systèmes d’élimination des déchets standards dans la plupart des villes, mais il est prudent de le vérifier préalablement auprès de votre municipalité.

Préparation du bain de teinture

Fleurs

Dans un grand récipient, déposer les fleurs et les couvrir d’eau bouillante. Recouvrir et laisser tremper pendant une nuit. Si la couleur de l’eau est trop fade, faire mijoter sur la cuisinière pendant 30 minutes. 

Écorce et noix

Le processus est beaucoup plus long pour l’écorce et les noix. Elles doivent être trempées dans un récipient couvert avec de l’eau à température pièce durant au moins une semaine. Le bain peut ensuite être chauffé doucement pendant environ une heure. 

Baies

Les baies ont un pouvoir de teinture beaucoup plus grand. Le processus d’extraction est donc plus rapide. Écraser les baies et les mettre dans l’eau de teinture. Mijoter pendant environ une heure et éteindre le feu. Couvrir et laisser refroidir pendant une nuit. 

Teinture

Une fois le bain de teinture prêt, retirez les colorants (fleurs, écorce ou baies) à l’aide d’une écumoire. Vous êtes maintenant prêt à faire la teinture! Il y a deux façons de procéder : à froid ou à chaud.

La technique de teinture à froid est probablement plus appropriée pour les élèves les plus jeunes. Cette méthode est indiquée pour les fibres végétales. Elle consiste à tremper le textile dans le bain de teinture durant une certaine période à l’abri de la lumière. Pour certains colorants comme les fleurs, une période de 24 h est suffisante. Pour les colorants tels que les feuilles et les graines, plusieurs jours de trempage peuvent être nécessaires pour produire un résultat satisfaisant.

Lors de la technique à chaud, le textile est immergé dans un bain de teinture à température pièce avant d’être chauffé doucement jusqu’à ébullition. On laisse habituellement mijoter pendant 30 minutes à une heure pour ensuite le retirer du feu et le laisser tremper durant toute une nuit. Le récipient peut être chauffé sur une cuisinière traditionnelle ou dans une mijoteuse.

Plantes tinctoriales courantes à essayer

Vous pouvez encourager les élèves à expérimenter avec de nombreuses plantes tinctoriales qui ne présentent aucun risque et que l’on trouve dans les champs, les forêts, les jardins ou comme résidus alimentaires : 

  • Achillée millefeuilles (Achillea millefolium) : Vivace rustique. Les sommités (y compris les fleurs) peuvent être utilisées fraîchement cueillies ou séchées et produisent un jaune doux sur les fibres mordancées à l’alun et à la crème de tartre.
  • Rose trémière (Alcea rosea) : Plante horticole courante. Ses fleurs foncées produisent des roses ou des marrons sur les fibres animales mordancées à l’alun et à la crème de tartre. 
  • Bouleau (Betula spp.) : Utilisé comme plante tinctoriale depuis des siècles. Ses feuilles peuvent être récoltées durant tout l’été. Sur les fibres animales mordancées à l’alun et à la crème de tartre, le résultat tire entre le jaune et le vert. La teinture avec l’écorce ne nécessite quant à elle pas de mordançage, puisqu’elle contient des tannins. L’écorce devrait être récoltée sur les arbres déjà coupés ou les branches tombées. Évitez d’endommager l’arbre en retirant de l’écorce sur sa partie principale. Traitez l’écorce comme indiqué plus tôt et utilisez le résultat pour y tremper de la fibre déjà mouillée. L’écorce de bouleau produit habituellement des teintes de rose.
  • Pelures d’oignon jaune (Allium cepa) : Elles produisent une teinture naturelle qui va du jaune, de l’orange, du rouille au brun. Les pelures d’oignon sont parmi les teintures naturelles les plus fiables et polyvalentes. C’est une belle façon d’initier les jeunes élèves aux possibilités des teintures naturelles.

La suite appartient à vous et à vos petits scientifiques-artisans. En explorant les diverses plantes tinctoriales pour créer des couleurs et des motifs intéressants, ces derniers seront amenés à développer leur sens artistique et leur curiosité scientifique. Ces deux caractéristiques sont le fondement de l’apprentissage par investigation. L’entretien d’un jardin de plantes tinctoriales peut éveiller une passion pour la botanique et l’horticulture, ce que l’on observe souvent lors des projets scolaires de jardinage. Imaginez la conscience environnementale qui sera développée chez l’élève qui commence par planter une graine et finit par concevoir et teindre un vêtement unique qui attirera les compliments. Les possibilités d’apprentissage sont presque infinies.

Teinture aux pelures d’oignon

Matériel :

  • Une grande casserole et une cuisinière/un brûleur;
  • Poudre d’alun (utilisée pour le saumurage) et crème de tartre (utilisée en cuisine);
  • Détergent liquide pour vaisselle doux au pH neutre;
  • Mitaines de four, lunettes de protection et gants de caoutchouc;
  • Pinces pour retirer les fibres du bain de teinture;
  • Étendoir à linge (ou une corde à linge);
  • Pelures d’oignon (une grande quantité est nécessaire; vous voudrez peut-être prendre celles au fond du panier d’oignons à l’épicerie ou demander à vos amis de vous garder leurs pelures). Le poids des pelures d’oignon devrait être environ le double de celui des fibres afin d’obtenir une couleur dense et riche;
  • Textile à teindre (molleton ou laine blanche, t-shirt ou mouchoir blanc).

Instructions :

  1. Nettoyer le textile à teindre.
  2. Faire le bain de teinture. Ajouter les pelures d’oignon à la casserole et ajouter de l’eau, assez pour couvrir les pelures.
  3. Faire mijoter les pelures d’oignon de 30 minutes à une heure. Laisser refroidir et retirer les pelures.
  4. Mordancer la fibre à teindre. Dans le cas des pelures d’oignon, la fibre devrait être mordancée à l’alun (voir les instructions ci-dessus).
  5. Si la fibre mordancée est trempée, vous pouvez la mettre directement dans le bain de teinture. Si la fibre mordancée est sèche, elle doit être trempée préalablement afin que la teinture se fasse uniformément. La fibre devrait remplir le bain de teinture refroidi, mais pouvoir bouger librement.
  6. Chauffer doucement, puis mijoter pendant 30 minutes à une heure. Laisser le bain de teinture refroidir, retirer la fibre et rincer avec de l’eau froide. Laisser sécher.

Annemarie Hatcher enseigne à l’Université du Cap Breton, à Sydney, en Nouvelle-Écosse. La géologie et l’écologie des environnements naturels du Cap Breton font partie intégrante de ses cours. Dans cet esprit, le présent article révèle aussi sa passion pour le filage à la main de laine produite localement. L’auteur aimerait remercier Rod et Claire Beresford d’avoir testé et documenté la procédure de teinture avec les pelures d’oignon.

Traduit par Laurence Mailhiot, diplômée du baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke

Ressources

  • Guide des teintures naturelles, plantes à fleurs par Marie Marquet aux Éditions Belin (2011)
  • Teindre avec les plantes : les plantes tinctoriales et leur utilisation par Élisabeth Dumont aux Éditions Ulmer (2010)
  • La teinture au naturel par Jackie Crook et Geraldine Christy (traduit de l’anglais par Delphine Nègre-Bouvet) aux éditions Le Temps Apprivoisé (2008)
  • Teintures et couleurs naturelles par Catherine Willis aux éditions Dessain et Tolra (2001)

Notes

  1. Tanaka, M., 2016. Learning and Teaching Together. UBC Press, Vancouver, 236 pages.
  2. Dean, J., 2010. Wild Color: The Complete Guide to Making and Using Natural Dyes. Watson-Guptill, New York, 144 pages.
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