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Participation citoyenne pour les oiseaux !

Par Casey Keefe

Traduit par Nicole Laurendeau

Les oiseaux migrateurs font déjà face à d’énormes défis tels que prédateurs, conditions météorologiques imprévisibles, famine et épuisement. Il nous incombe à tout le moins de réduire ou d’éliminer les risques posés par l’activité humaine. Dans ce but, le modèle de conservation qui suit réunit diverses ressources locales et requiert les efforts conjoints et engagés de trois joueurs :  le centre d’interprétation de la nature, les citoyens scientifiques bénévoles et les entreprises collaboratrices. Chacun de ces joueurs aura un rôle bien précis.

Notre objectif est ici de réduire les dangers d’origine humaine imposés aux migrateurs, tout en rétablissant et en préservant les habitats temporaires propices le long des voies migratoires. Au centre de ce modèle se trouvent les professionnels du centre, naturalistes et éducateurs pouvant compter sur le concours de visiteurs assidus, prêts à faire leur part.  

Le centre d’interprétation s’occupe d’abord du recrutement et de l’organisation des citoyens scientifiques qui auront pour mission de cartographier les corridors empruntés par les migrateurs afin d’y repérer les habitats possibles et de dénombrer les oiseaux morts ou blessés avant de les ramener au centre. Le centre fera alors un montage percutant des données et une démonstration des oiseaux en réhabilitation de façon à générer une réaction empathique du public. Fort de cet appui, le centre pourra ensuite exposer les faits aux entreprises concernées et leur demander de coopérer en acceptant de modifier les structures et installations qui présentent un risque.   

Ce modèle de conservation à trois volets — gestion par le centre d’interprétation, participation des bénévoles et coopération des entreprises concernées — présente une réelle chance de succès pour la protection des oiseaux migrateurs.

 (Légende 1 : voir en fin de texte)

Centre d’interprétation de la nature

La protection des oiseaux migrateurs constitue pour le centre d’interprétation une occasion de créer un « partenariat de conservation » avec certaines entreprises. Le rôle fondamental du centre est d’amener les trois parties à coopérer sur une base d’intérêt mutuel dans un projet de conservation de grande portée.

L’équipe de citoyens scientifiques, sélectionnés à titre de bénévoles, serait constituée d’étudiants, d’enseignants, de parents ou même de personnel du centre. On chargerait le club d’ornithologues local de faire connaître le projet au public et de solliciter la participation de ses membres. L’initiative serait également présentée par les naturalistes-éducateurs qui visitent les écoles chaque semaine dans le cadre de leur programme auprès des jeunes.

L’éducation et la sensibilisation du public aux dangers rencontrés par les migrateurs sont essentielles à la réussite du projet. On aime généralement observer les oiseaux ou écouter leur chant, sans toujours être conscient des dangers reliés aux migrations d’automne et de printemps. Le centre d’interprétation pourrait donc présenter des oiseaux secourus à la suite d’une collision avec une tour de téléphonie cellulaire ou avec des lignes électriques. Le fait d’avoir ces animaux blessés devant les yeux et d’être témoins de l’effort de réhabilitation pourrait changer la perception qu’ont les gens du problème. On afficherait statistiques et photos d’opérations de secours. On soulignerait également les initiatives d’entreprises locales visant la réduction ou l’élimination des obstacles, de même que leur engagement ou refus d’engagement (à améliorer les lignes électriques assurant la protection des oiseaux, par exemple). De cette manière, on inciterait le public à faire pression sur les sociétés privées afin qu’elles réduisent les risques.

(Légende 2 : voir en fin de texte)

Les citoyens scientifiques bénévoles

La science citoyenne sait mobiliser le public et l’impliquer dans les efforts de conservation.  Ainsi les bénévoles — si encadrés par des professionnels — peuvent contribuer de façon importante à ces projets. Les citoyens scientifiques tout en accomplissant le travail préliminaire de collecte de données, se familiarisent avec la méthode scientifique et établissent un lien avec le milieu naturel. Ce point constitue en soi un argument non négligeable pour l’intégration de la science citoyenne à la recherche scientifique. 

Diverses technologies permettent la collecte d’observations à travers de vastes zones géographiques. Elles assurent la communication, le réseautage ainsi que l’enregistrement et le stockage massif de données grâce aux logiciels facilitant ensuite le regroupement et l’analyse des renseignements obtenus. 

L’organisme Cornell Lab of Ornithology a récemment intégré au logiciel Merlin la fonction Photo ID qui permet aux ornithologues amateurs comme aux citoyens scientifiques de reconnaître jusqu’à 650 espèces d’oiseaux à partir d’une photo prise par téléphone cellulaire. La précision de cette fonction est assurée par le recours combiné à la base de données sur la distribution des espèces (par endroit et moment de l’année) et à la concordance avec les photos de près de deux millions d’oiseaux.

La fonction Photo ID s’avère des plus utiles entre les mains d’un utilisateur entraîné mais elle ne peut bien sûr remplacer un sens de l’observation développé grâce à un mentor expérimenté.

Le rôle du centre d’interprétation serait d’assurer la formation et l’encadrement des citoyens scientifiques dont la tâche principale serait d’identifier les espèces migratrices à l’automne et au printemps en plus de déterminer leurs besoins en matière d’habitat. Les bénévoles pourraient ensuite évaluer la disponibilité de ces habitats en fonction de la carte des voies migratoires locales. L’un des avantages particuliers de recruter étudiants et bénévoles est qu’ils permettent l’accès aux propriétés privées en zones résidentielles. En effet, plusieurs haltes migratoires se retrouvent sur ces propriétés.

La tâche suivante pour les citoyens scientifiques serait de faire le décompte et la collecte des oiseaux morts et accidentés par suite de l’intervention humaine près des voies migratoires, et dans la mesure du possible, de confier les bêtes blessées au centre afin qu’elles soient réhabilitées.

Par la même occasion, les bénévoles recueilleraient des données sur les dangers locaux (tours de communication et lignes électriques, par exemple). Les fenêtres présentent notamment un risque important parce que les oiseaux ne les perçoivent pas comme telles, et voient même les images réfléchies (telles que branches d’arbre) comme objets réels. La collision qui en résulte est souvent fatale. En zone urbaine, ce sont les systèmes d’éclairage nocturne et les fenêtres des hauts immeubles qui posent un risque, car ces sources lumineuses interfèrent avec le système de navigation interne des migrateurs. Si non elles ne sont pas essentielles à la sécurité humaine, elles devraient être réduites ou éliminées.

L’accès aux propriétés privées sur lesquelles se trouvent tours de communication, lignes électriques et éoliennes cause parfois problème, mais ces structures sont visuellement repérables et les propriétaires se montrent généralement compréhensifs. Les jumelles et les logiciels de téléphone cellulaire permettent d’identifier et de recenser les oiseaux même lorsqu’il est impossible de récupérer les bêtes blessées. Les observations faites sur les propriétés privées ou dans les espaces publics (comme les parcs) fourniraient plusieurs faits intéressants à présenter dans le montage visuel du centre d’interprétation.

Le personnel du centre analyserait les données collectées par les citoyens scientifiques, et en communiquerait les résultats aux entreprises dont les installations présentent un danger. On mobiliserait le club naturaliste local. Enfin le public, motivé par le centre d’interprétation, pourrait faire pression sur les entreprises, pour les inciter à tenir compte des voies migratoires dans leur planification ultérieure. Même si les installations en cours ne pouvaient être changées, il serait possible de commencer à prévoir une amélioration future des conditions pour les migrateurs.

Coopération des entreprises

Pour rester en affaires, les entreprises doivent faire des profits et donc prendre des décisions économiquement viables. La question des coûts doit donc être abordée de façon réaliste plutôt qu’idéaliste. L’argument de la préservation d’une espèce ou d’un écosystème pour sa « valeur intrinsèque » ne fait certes pas le poids face aux exigences du marché.

Pour qu’une entreprise contrebalance coûts et investissements (reliés au déplacement et à la réhabilitation des infrastructures, entre autres), elle doit y trouver son compte. Le projet prévoit donc la reconnaissance sociale de ce joueur, mise en évidence par les présentations du centre d’interprétation qui témoigneraient des résultats tangibles obtenus à la suite de sa prise d’action.  Grâce aux programmes de sensibilisation et à la couverture médiatique, l’entreprise verrait un intérêt en termes de relations publiques et donc un avantage économique à miser sur une opération corrective de cette ampleur.

Le démantèlement et le déplacement des infrastructures peuvent s’avérer très coûteux, mais il existe d’autres solutions. En effet, plusieurs collisions fatales peuvent être évitées par l’élimination des haubans, par l’installation des nouveaux équipements hors des zones migratoires et autant que possible, par l’extinction des signaux lumineux des tours. Les mêmes mesures valent pour les éoliennes. Quant aux lignes électriques, il faudrait de surcroît prévenir l’électrocution des oiseaux en s’assurant régulièrement que les fils sont correctement isolés. Sûrs de l’appui d’un public informé, le centre d’interprétation et les organismes tels que le club naturaliste feraient pression sur les dirigeants d’entreprise (et sur les responsables gouvernementaux en vue d’incitatifs fiscaux, au besoin) afin de les inciter à coopérer.

Le réaménagement des structures contribuerait potentiellement à assurer plus d’habitats le long des voies migratoires. Le fait de coopérer présenterait alors les entreprises concernées sous un bon jour, soit comme des citoyens corporatifs responsables, soucieux de protéger les routes des migrateurs et de ce fait, les espèces menacées ou en péril. Cet aspect de relations publiques représente un argument de taille qui pourrait les inciter à vouloir réduire les éléments à risque. 

En dernier recours, l’aménagement urbain devrait tenir compte des besoins des migrateurs.   Le développement en grappes (favorisant le chevauchement des zones d’incidence écologique) protège davantage les habitats fauniques que le développement dispersé à faible intensité. Le centre d’interprétation, muni des données recueillies par les citoyens scientifiques, engagerait les responsables fédéraux de la conservation à freiner les projets d’aménagement présentant des risques. 

Conclusion

Ce modèle de conservation repose sur les efforts conjugués de trois joueurs : le centre d’interprétation, les citoyens scientifiques bénévoles et les entreprises participantes. Le centre gère les activités, les citoyens scientifiques travaillent sur le terrain et les entreprises appliquent les modifications d’infrastructure requises soit dans l’immédiat, soit dans leur planification pour l’avenir. 

Ce n’est pas un modèle très coûteux, mais il requiert du temps ainsi qu’un effort de pression sur les entreprises et, au besoin, sur certains organismes gouvernementaux. On peut commencer par une évaluation de base lors des migrations d’automne et de printemps. Une fois les espèces cataloguées, les citoyens scientifiques peuvent examiner et documenter la disponibilité des habitats grâce aux cartes des voies migratoires locales. Le recensement d’oiseaux morts et blessés permettra du même coup d’établir les causes probables de ces accidents.

Les présentations du centre sur les oiseaux migrateurs constituent un élément clé de cet effort de conservation. On pourra mesurer les réactions et l’appui du public par sondage ou lors d’interactions informelles et s’en servir pour influencer les entreprises. Quant au soutien offert par ces entreprises, il pourra être évalué par les actes concrets qu’elles poseront en vue de réduire les dangers pour les oiseaux migrateurs.

Ce projet d’engagement communautaire conjoint est une possibilité réelle. Tous les participants en ressortent gagnants, les oiseaux migrateurs les premiers. 

Casey Keefe est naturaliste et éducatrice au centre d’interprétation Greenburgh Nature Center de Scarsdale, dans l’État de New York. Elle a élaboré ce modèle dans le cadre du projet Dragonfly de l’Université Miami à Oxford, en Ohio.

Nicole Laurendeau, étudiante au baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

Légende 1

Pourquoi migrer – Les oiseaux migrent souvent pour trouver des sources d’alimentation plus abondantes (là où une période diurne plus longue permet de les repérer) et pour revenir aux sites de reproduction saisonniers des hautes latitudes. La migration s’avère donc nécessaire pour plusieurs espèces, puisqu’elle réduit le risque de compétition pour des réserves de nourriture limitées et de ce fait assure les conditions de reproduction, de même que la survie de l’espèce.  Toutefois, le parcours est semé d’embûches telles que lignes électriques, tours de communication et éoliennes. La nuit, les signaux lumineux sur ces obstacles compromettent le système interne de navigation des oiseaux. Confrontés à ces dangers en plus de la difficulté à naviguer dans des conditions météorologiques imprévisibles, les migrateurs doivent trouver des refuges où se reposer et se ravitailler avant de continuer le voyage. Ces habitats provisoires deviennent alors des points d’escale réguliers sur les voies de migration, à moins qu’ils ne soient détruits ou endommagés par l’activité humaine, comme c’est souvent le cas.  Des millions d’oiseaux disparaissent ainsi chaque année à la suite de la perte ou de l’altération de leur habitat.

Légende 2 

Les 5 dangers principaux – De multiples sources d’information ciblent les causes d’origine humaine de la mort de centaines de millions d’oiseaux migrateurs chaque année; ces causes sont, par ordre d’importance :

  • les fenêtres
  • les lignes à haute tension
  • la destruction des habitats
  • les tours de communication
  • les éoliennes
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