Skip to content

Tenue d’un journal d’observation sur la nature

Par Danae Shipp

Traduction par Catherine Gill

Les vendredis de printemps et d’automne, pendant le cours de sciences de 45 minutes, mes élèves sont étendus sur l’herbe, équipés de crayons et de cahiers, prêts à découvrir la beauté de la nature. Il s’agit de la période pour tenir un journal sur la nature, grâce à laquelle j’espère encourager les jeunes à devenir naturalistes1. J’aimerais que mes élèves prennent le temps d’observer attentivement des objets familiers tels que des cônes de pin, des cailloux, de l’herbe et des fourmis, afin d’éveiller leurs sens, de leur permettre de voir le monde d’un œil scientifique et de stimuler leur curiosité. En se consacrant à la tenue d’un journal pour développer le sens de l’observation, ils remarquent soudain la beauté dans ce qui semblait ordinaire, décelant des détails qu’ils n’auraient pas relevés auparavant, comme les rainures sur un caillou, le nombre de nervures sur une certaine feuille ou encore les modèles de comportement d’un oiseau.

Tandis que la tenue d’un journal sur la nature est souvent présentée comme un processus créatif fluide dont l’objectif premier serait l’expression artistique, celle d’un journal d’observation demande également des élèves qu’ils réfléchissent comme des scientifiques et fournissent une documentation appropriée sur leur sujet. Ils doivent donc observer celui-ci de façon plus approfondie, à l’aide de tous leurs sens et en discernant les différences les plus minimes1, 2. Cependant, la capacité d’exprimer des observations réfléchies au sujet du monde naturel avec rigueur et exhaustivité n’est pas innée chez la plupart des gens1. Pour éviter que vos élèves ne jettent qu’un coup d’œil superficiel à des objets et ne consignent que quelques faits, vous devez leur enseigner ce que signifie réellement l’observation. Prenez le temps de leur expliquer les différences entre l’inférence et l’observation, de leur faire comprendre l’importance d’avoir recours à tous leurs sens et de noter des observations quantitatives et qualitatives. La tenue d’un journal sur la nature constitue un moyen idéal de mettre en œuvre ces concepts, car elle oblige les observateurs à recueillir des informations qui auraient pu, en d’autres circonstances, être laissées de côté.

Pour développer la capacité d’observation de mes élèves, je leur assigne différentes entrées sur lesquelles ils concentrent leurs efforts d’exploration. Par exemple, la première entrée de journal que mes élèves rédigent me permet d’avoir une idée immédiate de leur capacité de rédaction descriptive et d’observation. Les élèves observent un objet naturel (p. ex. une plante) qu’ils ne connaissent pas, puis le décrivent de façon si précise qu’un camarade de classe pourrait lire leurs observations (et consulter leur croquis) et être en mesure d’identifier cet objet. Lorsqu’ils échangent leurs journaux, les élèves reçoivent aussitôt des commentaires sur leurs forces en tant que rédacteurs et observateurs; ainsi, ils savent sur quels points ils doivent s’améliorer.

Les avantages de la tenue d’un journal d’observation ont été prouvés à travers les âges. Des gens tels que Darwin, Lewis et Clark, ont méticuleusement consigné leurs expéditions, ce qui a permis au reste du monde d’avoir un aperçu de leurs expériences. D’une façon semblable, chaque tâche assignée pour le journal sur la nature précipite mes élèves dans leurs propres aventures, leur permettant d’éveiller leurs sens et de découvrir les relations qu’ils entretiennent avec l’endroit où ils vivent. Grâce à cet apprentissage expérientiel, les jeunes forment leurs opinions au sujet du monde naturel2, et sont donc plus enclins à le protéger à l’avenir3.

Voici des idées de cours et des astuces supplémentaires pour les éducateurs intéressés à faire l’essai d’un journal d’observation sur la nature avec leurs élèves.

Donnez des instructions et des exemples. Puisque l’observation de la nature constitue une nouvelle expérience pour la plupart des élèves, il est important de leur donner des instructions claires sur ce que la tenue d’un tel journal représente, sur son but et la façon de le commencer, puis d’en distribuer un modèle. Je fournis à mes élèves des pages de cahier qui présentent ces renseignements afin qu’ils puissent s’y référer. Pour encourager leur croissance, je leur propose des exemples provenant autant de professionnels que d’élèves. Lorsqu’ils consultent des pages rédigées par John Muir Laws, les journaux sur la nature de Walker Leslie et Roth, ou encore les notes prises sur le terrain par Canfield, les jeunes peuvent découvrir comment des naturalistes de métier immortalisent leurs expériences sur papier. Après quelques entrées, je remarque que certains jeunes sont très doués pour tenir un journal et, avec leur permission, je distribue aussi des copies de leurs travaux. S’ils comprennent que de tenir un journal représente une façon de noter tous les détails qu’ils observent, les observateurs occasionnels qu’ils sont, qui se fient à leur mémoire, se transforment en penseurs scientifiques.

Fournissez à vos élèves un modèle de journal. Afin qu’ils s’exercent à rédiger des entrées de journal scientifique, chacune de celles-ci doit comporter les conditions du terrain, des observations, un croquis annoté ainsi qu’une réflexion personnelle.

  • Les conditions du terrain. Les élèves prennent en note les conditions du terrain afin de se souvenir de l’endroit et des circonstances au moment de leurs observations. Les conditions du terrain comprennent la date de l’entrée, l’heure de début et l’heure de fin, une description de l’emplacement et les conditions météorologiques (la température, la quantité de lumière solaire, etc.).
  • Les observations. Les élèves notent leurs observations (qualitatives et quantitatives) afin de traduire en mots ce qu’ils voient. Je leur suggère d’agir comme si c’était la première fois qu’ils voyaient l’objet, notamment d’écrire toute caractéristique discernable, telle que la couleur, l’odeur, la taille et la quantité.
  • Le croquis annoté (ou une photographie). En créant un croquis annoté, les élèves se voient forcés de capturer l’essence de leur sujet et de l’observer sous divers angles. Il est important de rappeler aux élèves inquiets de leur talent que les croquis ne seront pas évalués en fonction de leur qualité artistique, mais en fonction de leur contenu uniquement.
  • La réflexion personnelle. Cette partie permet aux élèves d’expliquer à quoi les objets observés les ont fait réfléchir. Leur ont-ils rappelé une expérience passée? Ou encore, ont-ils engendré un questionnement? La réflexion les encourage à réfléchir à ce qu’ils ont vu, en plus d’alimenter leur curiosité et de futures recherches.

Commencez par des éléments de base, puis ajoutez diverses entrées ciblant différents sens. Pendant les premières semaines, demandez aux élèves d’observer des objets immobiles et d’en faire une description à l’aide d’observations à la fois qualitatives (p. ex. la plante a la forme d’une dense touffe d’herbe verte et pousse vers le haut) et quantitatives (p. ex. la plus grande feuille de cette plante mesure 22,8 cm), et d’un croquis détaillé et annoté. Une fois que les jeunes ont pratiqué ces éléments, demandez-leur de les appliquer aux entrées du journal pour une variété d’activités, telles que de participer au recensement d’une espèce animale, de s’asseoir à un endroit et de créer une carte des sons, d’observer les causes d’une présence humaine dans la nature et les effets qu’elle entraîne sur celle-ci, ou encore de faire une promenade pour observer les textures. Bien que chaque entrée exige que les élèves rédigent des observations qualitatives et quantitatives, la variété assure une participation active de leur part et fait en sorte que les élèves ne pratiquent pas seulement leur sens de la vue, mais développent aussi leurs autres sens.

Donnez aux élèves la liberté de choisir ce qu’ils observent. Je leur impose des entrées de journal, mais je ne leur dis jamais exactement quoi observer. Je leur permets de choisir un objet de la nature par lequel ils sont davantage attirés, puis ils adaptent leur entrée à celui-ci. La mesure la plus restrictive que j’adopte est de limiter les sujets d’observation aux animaux ou aux plantes, ou encore de délimiter la zone d’observation, à leur cour arrière ou au ciel, par exemple. Accorder à vos élèves la liberté de choisir leur sujet augmente la probabilité qu’ils choisissent un objet qui les intéresse réellement, qu’ils désirent vraiment examiner et décrire en détails, et avec lequel ils établiront un lien.

Laissez des événements impromptus se produire. Lorsque les élèves tiennent un journal sur la nature, des événements inattendus peuvent se produire, et les éducateurs devraient profiter de ces occasions. Par exemple, une période de 45 minutes n’a pas été suffisamment longue pour que mes élèves observent leurs plantes sous quatre angles différentes : la feuille, la tige ou l’écorce, la forme globale et les petits détails. Les jeunes ont dû retourner observer leurs plantes la semaine suivante. Ainsi, un groupe d’élèves qui observaient un plant de chèvrefeuille corail la première semaine a remarqué que certaines fleurs jonchaient le sol la semaine suivante. Une colonie de fourmis s’est alors faufilée dans les fleurs tombées, ce qui a piqué la curiosité des jeunes. Cette situation s’est révélée une excellente occasion pour lancer une discussion sur ce qui pouvait bien attirer les fourmis aux fleurs. Servez-vous de situations semblables pour non seulement encourager les élèves à observer plus attentivement, mais aussi pour leur enseigner les concepts environnementaux à l’endroit même où ils se produisent5.

Ne permettez aux élèves d’effectuer des recherches sur leur sujet uniquement après une première observation. Au tout début, ils voudront savoir les noms exacts des espèces qu’ils étudient. Certains ne penseront qu’à découvrir le nom de « ce que j’observe », simplement parce qu’ils font partie de la génération ayant grandi avec Internet au bout des doigts. Ne les laissez pas faire! Vous pouvez même les encourager à inventer des noms. J’interdis à mes élèves d’apporter leurs téléphones cellulaires ou des guides de poche pendant l’observation. Leur sens de l’observation ne se développera pas s’ils ne font que lire sur le sujet. Bien sûr, cela ne signifie pas que j’empêche les jeunes d’effectuer des recherches après qu’ils ont rempli leur journal. Une fois, une petite fille a découvert une chenille intrigante comme je n’en avais jamais vu auparavant. Elle a noté d’excellentes observations et dessiné un croquis détaillé. Elle a même nommé l’espèce la « chenille-brosse à dents à pois rouges ». De retour dans la classe, nous nous sommes renseignées sur cette espèce et avons découvert que la chenille était celle du papillon Orgyia leucostigma. La recherche a été tout particulièrement pertinente puisqu’elle a été effectuée après l’étape d’observation approfondie. Demander aux élèves de se renseigner sur le sujet de leurs observations les aide à apprendre davantage et à acquérir de meilleures connaissances sur l’environnement.

Transformez les entrées de journal en sujets pour votre programme d’enseignement. Justifier la nécessité de consacrer une période par semaine (ou à toutes les deux semaines) à la tenue d’un journal sur la nature peut se révéler difficile, tout particulièrement à cause du rythme accéléré des curriculums et des tests normalisés. Cependant, tirez profit des sorties à l’extérieur en développant les connaissances de vos élèves sur l’environnement grâce à l’expérience1. Pour qu’ils en apprennent plus au sujet de la pollution de l’air, j’ai assigné à mes élèves une entrée qui était une chasse au trésor sur la pollution à l’extérieur. Chaque fois qu’ils trouvaient une source de pollution près de l’école, ils devaient l’identifier, faire une description détaillée de son emplacement, rédiger des observations sensorielles au sujet de ce polluant, décrire ses effets sur la nature, puis expliquer les questionnements qu’il avait engendrés. Les jeunes comprendront plus facilement des concepts s’ils en font l’expérience, plutôt que de simplement lire à leur sujet. La tenue d’un journal sur la nature est aussi un moyen incroyable d’établir des liens interdisciplinaires. J’ai collaboré avec des collègues enseignants de langue afin de mettre sur pied un mini-module d’une demi-journée lors duquel les jeunes composaient leurs propres poèmes en s’inspirant de leurs observations sur la nature. Discutez avec vos collègues pour déterminer comment des sorties à l’extérieur et l’observation de la nature pourraient concerner d’autres matières. Le temps que vous investirez en vaut la peine, car la tenue d’un journal sur la nature mène à l’acquisition de connaissances plus approfondies ainsi qu’au développement d’aptitudes scientifiques.

Demandez-leur de travailler sur leur journal à la maison. La courte durée des périodes en classe et la biodiversité limitée sur le terrain de l’école signifient que la cour arrière des jeunes s’avère parfois un endroit plus approprié pour rédiger les entrées. L’une des entrées, intitulée « Histoires d’animaux », demande que les élèves choisissent leur propre animal et notent des observations qualitatives, quantitatives et comportementales. Ils doivent aussi rédiger une histoire fictive au sujet de cet animal, puis en dessiner une scène. Lorsque les jeunes ont leur journal en main à la maison, ils sont en mesure d’explorer à leur rythme et de passer plus de temps à l’extérieur. Prenez garde de ne pas assigner un trop grand nombre d’entrées à faire à la maison. Je demandais à mes élèves de rédiger une entrée chaque fin de semaine. Bien que la plupart des jeunes apprécient tenir un journal, cette activité reste un devoir. Lorsque je la referai l’année prochaine, j’aimerais essayer de fournir un tableau de choix au début du trimestre. Ils pourraient de cette façon effectuer trois entrées en devoir en fonction de dates ciblées. Passer plus de temps à travailler sur le journal à la maison aide les élèves à développer leur sens de l’observation et à tisser des liens avec le monde naturel dans lequel ils vivent.

Lorsqu’un élève observe un objet plus attentivement, il devrait en tirer plus d’informations, qu’il pourra ensuite partager ou noter6. Cette croissance est flagrante lorsque je parcours les journaux des jeunes : les premières entrées sont de simples descriptions, telles que « cette plante est grande et a des feuilles vertes », puis elles deviennent plus élaborées, par exemple « ce cône de pin d’une longueur de 4,3 centimètres est rugueux au toucher, sec comme du papier sablé ».

L’observation approfondie d’objets naturels requiert une excellente concentration, l’utilisation des cinq sens et l’examen d’objets sous divers angles1. En aidant mes élèves à développer ces aptitudes, j’espère éveiller leur curiosité et leur passion pour le monde naturel, ainsi qu’accroître leurs connaissances à ce sujet Je les aide à bâtir leur compréhension du monde, et ce, en les encourageant à recueillir leurs propres preuves et à les analyser. Ce n’est qu’en se familiarisant avec le monde qui les entoure qu’ils développeront leur engagement envers l’environnement et leur compassion pour celui-ci.

Vous n’avez pas à me croire sur parole. Ces témoignages de mes élèves prouvent que la tenue d’un journal sur la nature comporte plusieurs avantages :

  • « […] ça m’a aidé à comprendre la nature autour de moi, et à comprendre que je fais partie de cette nature. On n’a pas besoin d’aller dans une forêt tropicale pour être dans la nature parce qu’elle est juste là, à l’extérieur. »
  • « Tenir un journal m’a permis de mieux apprécier la nature. J’ai appris à mieux décrire ce qui m’entoure et à utiliser des mots plus descriptifs. J’ai appris à reconnaître différents signes de la nature, comment les humains influencent la nature, et plusieurs autres choses. »
  • « Le processus pour tenir un journal m’a permis de prendre conscience de la nature et de faire de meilleures observations. J’ai appris beaucoup plus de choses sur les cônes de pin et les fourmis que je l’aurais cru. On apprend à poser des questions scientifiques pertinentes. »
  • « L’activité me motivait à aller à l’extérieur, alors que je n’y vais pas souvent, et j’ai réalisé que j’aimais être dehors! J’ai aussi trouvé le journal sur la nature important parce que le rédiger m’apaisait lorsque je me sentais contrarié, et il me permettait, en quelque sorte, de voir les choses sous un angle différent pour ensuite me calmer. »

Danae Shipp enseigne les sciences en 6e année à la Cary Academy, à Cary, en Caroline du Nord. Elle poursuit une maîtrise en enseignement de la biologie dans le programme Global Field de l’Université de Miami. La ligne directrice qu’elle suit dans ce programme cible la formation de futurs intendants. Elle a également travaillé avec ses collègues à la création d’un curriculum inspiré des sciences en situations réelles.

Catherine Gill est diplômée du baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

Références

1 Laws, J.M. (2016). The Laws guide to nature drawing and journaling. Berkeley, CA. Heyday Publishing.

2 Walker Leslie, C & Roth, C. E. (2003). Keeping a nature journal: discover a whole new way of seeing the world around you. North Adams, MA: Storey Publishing.

3 Lour, R. (2005). Last child in the woods: Saving our children from nature deficit disorder. Chapel Hill, NC: Algonquin Books.

4 Canfield, M. (2011). Field notes on science & nature. Cambridge, MA: Harvard. University Press.

5 Cornell, J. & Ivey, T. (2012). Nature Journaling: Enhancing Students’ Connections to the Environment Through Writing. Science Scope, 35(5), 38-43.

6 Park, D. & Logsdon, C. (2015). Effects of Modeling Instruction on Descriptive Writing and Observational Skills in Middle School. International Journal Of Science & Mathematics Education, 13(1), 71-94.

No comments yet

Leave a Reply


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (0) in /home/greenteacher/profsverts.com/wp-includes/functions.php on line 5464