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Une recherche sur les mollusques et crustacés et les changements climatiques

Par Francisco Sóñora Luna et Aitor Alonso Méndez

Traduit par Julie Lalumière

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ANTHROPIQUE est l’un des plus grands problèmes auxquels fait face le monde d’aujourd’hui. C’est pourquoi il est essentiel d’informer la population de l’urgence de la situation et de suivre la prémisse « Penser globalement, agir localement ». Ainsi, considérant que les écoles secondaires peuvent devenir des intermédiaires efficaces entre la science et la communauté locale, ne serait-il pas pertinent d’organiser des sorties sur le terrain lors desquelles les élèves pourraient étudier les effets, à l’échelle locale, des changements climatiques pour ensuite diffuser leurs conclusions? C’est avec cet objectif en tête que nous avons mis sur pied, chez Climántica, un projet de recherche scolaire conçu pour un groupe de 70 élèves âgés de 13 à 17 ans et dont la partie exploration a lieu sur une rive abondante en crustacés et mollusques, soit celle de Testal, dans la région de la Galice, en Espagne. Ce banc coquillier est un environnement d’étude idéal puisqu’il recèle un grand nombre de coques européennes (Cerastoderma edule). L’espèce fait d’ailleurs l’objet d’une pêche commerciale dans cette région, ce qui signifie qu’elle y joue un rôle important autant d’un point de vue écologique qu’économique. Cela dit, d’autres espèces de mollusques occupent, elles aussi, une place importante dans les sphères écologiques et économiques de diverses régions d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Par conséquent, des études similaires pourraient être effectuées ailleurs sur le globe.

Par le présent article, nous souhaitions donc vous présenter les différentes étapes de l’étude que nous avons effectuée sur la rive de Testal, dans l’espoir qu’ainsi vous pourrez mener une expérience similaire dans votre région.

Mise en contexte

Le jour précédant la collecte de données sur la rive, les élèves ont reçu, en classe, des instructions quant à la méthode de recherche proposée, des renseignements sur la biologie de l’animal étudié ainsi que des directives sur la manière d’utiliser le matériel nécessaire pour réaliser le travail sur le terrain.

Méthode de recherche

La méthodologie retenue pour ce type de recherche est l’échantillonnage par transect, c’est-à-dire que le terrain étudié doit préalablement être divisé en sections. Pour cette activité, nous avons donc divisé la rive en deux transects : infralittoral et médiolittoral (voir l’image 1 et consulter les définitions du glossaire à la fin de l’article).

Cycle de vie de la coque européenne

Cerastoderma edule est un mollusque bivalve qui vit dans les zones de balancement des marées et aux alentours et qui possède une grande capacité de reproduction. Les étapes de son développement sont les suivantes : d’abord, l’œuf est fertilisé dans la colonne d’eau, puis l’embryon se développe jusqu’à éclore en une larve nageuse. Après environ un mois, la larve se fixe aux sédiments de l’étage médiolittoral, devenant ainsi ce qu’on appelle un naissain. Ce n’est qu’après s’être arrimé et complètement transformé, que le naissain acquiert son statut de coque juvénile. Le processus lors duquel la larve réussit à s’ancrer dans le sédiment, à survivre au taux élevé de mortalité post-arrimage et à se métamorphoser est connu sous le nom de recrutement. C’est d’ailleurs pour cette raison que les coques qui y survivent se nomment recrues. Aussi, la reproduction ayant lieu entre mars et juillet ou août, les premières recrues apparaissent habituellement vers la fin mars.

Division de la rive en deux transects infralittoral et médiolittoral

Matériel

Le matériel nécessaire pour mener à bien cette étude de terrain est assez modeste et peu coûteux. Il se trouve assez facilement dans la plupart des écoles et des centres éducatifs puisqu’il s’agit notamment de : rubans à mesurer de 100 mètres, pieux en bois, corde, papier sulfurisé, crayons, compas, tamis et porte-blocs.

Les élèves, quant à eux, peuvent apporter de chez eux un appareil photo, un téléphone cellulaire (afin d’obtenir des coordonnées GPS), des pelles en plastiques et des bottes en caoutchouc.

Liens avec les changements climatiques

Durant la classe précédant l’expédition, il est important de présenter les facteurs associés aux changements climatiques qui peuvent avoir des répercussions sur les coques européennes, comme l’acidification et la stratification des océans, le raccourcissement de la période de remontée des eaux profondes ou encore la formation de zones anoxiques causée par une augmentation en nutriments qui favorise la prolifération de phytoplanctons. Les principaux effets de ces conséquences sur la coque européenne sont, entre autres, la réduction de leur taux de calcification en raison de l’acidification de l’eau, la diminution du nombre de recrues, le bouleversement de leurs cycles de croissance en raison de la hausse de température et de l’augmentation de la fréquence et de la durée des marées rouges dévastatrices. Plusieurs de ces concepts n’ont pas encore été intégrés au programme, mais leurs répercussions sur les coques européennes à l’échelle locale (et leur pertinence dans le vaste débat sur les changements climatiques) en font des outils efficaces qui permettront aux élèves, même à un jeune âge, de maîtriser ces concepts, d’appliquer la marche à suivre et d’adopter l’attitude adéquate pour pouvoir s’attaquer, au moyen de la science, aux répercussions des changements climatiques en général.

Formulation de l’hypothèse

Afin de familiariser les élèves avec la méthode scientifique, nous leur avons intentionnellement présenté l’hypothèse erronée selon laquelle les coques sont réparties également sur toute la rive, peu importe leur taille ou leur lieu d’ancrage (étage infralittoral ou bas de l’étage médiolittoral). En effet, une hypothèse allant à l’opposé des résultats escomptés incite les élèves à la reformuler à la fin de l’expérience de manière qu’elle reflète le bilan obtenu.

Travail sur le terrain

Pour vérifier l’hypothèse initiale, il fallait observer la distribution des coques de différentes tailles ancrées dans le substrat du bas de l’étage médiolittoral, la zone de balancement des marées, et de l’étage infralittoral d’une plage riche en coques. Pour ce faire, les élèves, divisés en vingt groupes de trois ou quatre, ont passé cinq heures à collecter des données sur la plage.

Toutefois, avant de recueillir les données, il fallait préparer la rive. Nous avons donc d’abord déroulé deux rubans à mesurer parallèlement au rivage : un au-dessus du transect médiolittoral et l’autre de celui infralittoral. Ensuite, chaque 25 mètres, nous avons planté un pieu de bois pour indiquer le point d’échantillonnage dont nous avons noté les coordonnées à l’aide d’un téléphone cellulaire ou d’un GPS. Puis, nous avons délimité, à l’aide de cordes, des zones d’échantillonnages de 25 cm sur 25 cm. C’est à ces endroits que les élèves ont prélevé des échantillons de sable, sans dépasser cinq centimètres de profondeur, jusqu’à en ramasser la quantité marquée sur du papier calque dans leur seau. Cette indication s’est d’ailleurs avérée particulièrement utile en raison du temps pluvieux qu’il faisait ce jour-là. (Image 2)

Les élèves devaient ensuite transporter leur seau aux installations mis en place sur la plage pour en tamiser le contenu au moyen d’une série de grillages au maillage de différentes tailles, en utilisant l’eau de mer pour éliminer les sédiments. Après quoi, ils devaient procéder au tri des coquilles, jetant les vides afin de ne garder que des mollusques vivants.

Une fois le tri terminé, les élèves devaient placer chaque mollusque dans un sac transparent en inscrivant le transect et le point d’échantillonnage sur l’étiquette, mesurer la longueur de chaque coque à l’aide d’une jauge et inscrire les données sur leur feuille de registre.

Tableau 1. Tableau utilisé pour noter les données et les résultats

Analyse des données

Une fois le travail de terrain accompli, nous avons réservé le laboratoire informatique de l’école afin que les élèves puissent saisir leurs données dans un fichier Excel partagé. Il est à noter que les écoles et les centres éducatifs peuvent accéder gratuitement à plusieurs outils collaboratifs, dont des documents à partager ainsi que des logiciels de présentation et de gestion de classe, grâce à la G Suite spécialement conçue pour l’éducation.

Chaque groupe d’élèves s’est ainsi retrouvé avec deux tableaux, soit un pour l’étage infralittoral et un pour le bas de l’étage médiolittoral, dans lesquels les coques ont été classées en fonction des cinq catégories de taille définies dans le tableau 1.

Par la suite, nous avons généré un seul graphique à partir des données du document Excel partagé, en nous inspirant de celui qu’utilise le groupe de recherche en milieu côtier du Département d’écologie de l’Université de Vigo dans le cadre de son projet intitulé « Ecocoast Project ». Leur graphique (voir le graphique 1) illustre la distribution des coques dans chacun des deux transects, soit celui de l’étage infralittoral, en bleu pâle, et du bas de l’étage médiolittoral, en bleu foncé.

Une équipe tamise le sable qu’elle a prélevé à son point d’échantillonnage afin d’en extraire les bivalves.

Graphique 1. Graphique de l’Ecocoast Project illustrant la distribution des coques dans les deux transects en fonction de la catégorie de taille

Discussion

Après avoir saisi les données dans le document Excel partagé, nous avons généré notre propre graphique (voir le graphique 2), qui nous a permis de discuter de l’hypothèse. Ce graphique nous permet non seulement de constater que les concentrations les plus fortes sont celles des trois plus grosses catégories de coques, mais aussi que la différence de distribution entre les deux transects n’est notable que chez les coques adultes, qui sont plus abondantes dans le bas de l’étage médiolittoral.

Au cours de la discussion sur les résultats, nous avons réitéré le fait que le recrutement a lieu dans le bas de l’étage médiolittoral et qu’au fur et à mesure qu’elles grandissent, les coques se déplacent vers l’étage infralittoral. Nous avons aussi souligné le fait que le recrutement ne se produit habituellement pas avant la fin du mois de mars, raison pour laquelle la pêche commerciale de mollusques et de crustacés est suspendue chaque année à cette période.

Nous avons effectué nos recherches le 27 septembre 2017. À ce moment de l’année, les larves de coques auraient toutes dû se trouver dans la colonne d’eau. Nos données (voir le graphique 2) ont toutefois révélé qu’il y avait déjà quelques naissains et jeunes coques dans le bas de l’étage médiolittoral. Cette zone étant bel et bien celle du recrutement, ces observations pourraient indiquer qu’un recrutement prématuré a eu lieu et que l’augmentation de la température de l’eau, conséquence directe des changements climatiques, en serait peut-être la cause. En effet, la température de l’eau de l’océan dans ces régions a jusqu’à présent connu une augmentation de 0,8 °C, et selon les prédictions de l’Institut espagnol d’océanographie de la Corogne, elle devrait encore augmenter de 0,04 °C tous les dix ans; un bouleversement qui pourrait bien précipiter le recrutement. Si cela s’avérait le cas, il pourrait être nécessaire de réajuster la période d’interdiction de pêche. C’est par ailleurs cette potentielle implication qui a influencé la classe dans sa décision de poursuivre l’activité d’échantillonnage sur plusieurs années, en vue de pouvoir évaluer les tendances sur un échantillon plus important et d’ainsi recueillir un nombre suffisant de données pour permettre d’éclairer efficacement la décision qui sera prise quant à l’établissement de la période d’interdiction de pêche.

Dans le but de stimuler la pensée analytique, nous avons incité les élèves à expliquer les raisons possibles derrière les découvertes qu’ils ont faites concernant la distribution des coques. Comme en témoigne le graphique 2, les élèves ont relevé une présence notable de coques adultes. Ils en ont déduit que c’était parce que ces larges coques étaient des recrues de l’année précédente et donc que, depuis, elles avaient grandi. Ils en ont également conclu que la forte présence d’adultes (plus de 20 mm) était principalement due au fait que la taille qu’atteignent les coques au bout d’un an, soit lorsqu’elles ont été recrutées à la fin de la période de reproduction de l’année précédente, est généralement supérieure à 20 mm.

Une constatation a cependant soulevé bien des questions : selon le graphique, la présence de coques adultes dans le bas de l’étage médiolittoral était bien supérieure à celle dans l’étage infralittoral. En temps normal, les coques descendent vers l’étage infralittoral à mesure qu’elles grandissent. Étant donné que la plupart des coques adultes trouvées dans le bas de l’étage médiolittoral étaient de taille normale pour des coques d’un an, les élèves en ont donc déduit qu’elles n’avaient pas encore eu le temps de descendre dans l’étage infralittoral. C’est par ailleurs cette conclusion qui a incité les élèves à inclure la mesure des différentes tailles de coques adultes à leur prochain échantillonnage.

Il y a néanmoins une explication derrière cette distribution. En effet, les élèves se sont rappelé avoir rencontré des pêcheurs de mollusques et crustacés s’affairant dans l’étage infralittoral pendant qu’eux recueillaient leurs échantillons dans le bas de l’étage médiolittoral. Les élèves ont envisagé la possibilité que les pêcheurs aient joué un rôle dans la présence plus forte de coques adultes dans le bas de l’étage médiolittoral plutôt que dans l’étage infralittoral, là où la pêche à marée basse serait la plus profitable étant donné l’eau qui balaie les sédiments, rendant les coques plus visibles. Ce pourrait donc être la raison pour laquelle à marée basse, seulement 37 % des coques adultes ont été trouvées dans l’étage infralittoral, tandis que les 63 % restant ont été trouvé dans le bas de l’étage médiolittoral (voir le graphique 2). Après avoir constaté cet écart, il a été proposé de recueillir des échantillons avant et après la période de pêche.

Enfin, les résultats d’échantillonnage ont prouvé que l’hypothèse selon laquelle les coques sont réparties également sur la rive, quel que soit leur taille ou leur lieu d’ancrage par rapport à la marée, était erronée puisque leur taille influence bel et bien leur emplacement. La reformulation de l’hypothèse qui en a résulté a été la base de l’énoncé de la conclusion des élèves selon laquelle le recrutement a lieu dans le bas de l’étage médiolittoral et qu’au fur et à mesure que les coques grandissent, elles se déplacent vers l’étage infralittoral.

Graphique 2. Fréquence des coques dans les deux transects en fonction de la catégorie d’âge

Recommandations concernant l’engagement des élèves

Pour mener à bien une telle étude dans le cadre d’une recherche scientifique, il vous faut des élèves motivés, prêts à prendre part à l’activité dans le but d’approfondir leur formation dans les domaines scientifiques et dans tout autre domaine de sensibilisation aux changements climatiques. Aussi, comme des élèves de tout âge peuvent participer, il pourrait être pertinent de former des groupes comprenant différentes tranches d’âge, par exemple en assignant la tâche d’analyse des graphiques aux élèves de 16 à 17 ans et en confiant les rôles d’investigation, comme la collecte de données, la formulation de conclusions ou encore la diffusion des résultats, aux plus jeunes.

Il pourrait également être intéressant de collaborer avec d’autres communautés éducatives afin d’échanger sur les expériences et les résultats, comme lors de cette investigation à laquelle ont pris part quatre communautés de chercheurs ayant chacune mené un projet de recherche différent. 

Diffusion des résultats 

Enfin, une fois les résultats obtenus et la conclusion formulée, il est primordial que les élèves fassent part de leurs trouvailles à la société. Pour notre part, nous avons organisé des symposiums scolaires pour permettre aux élèves de mener des activités de sensibilisation et d’agir collectivement à titre d’intermédiaires efficaces entre la sphère scientifique et publique, notamment en alertant les communautés de l’urgence de la situation climatique et des conséquences des changements climatiques à l’échelle locale et mondiale.


Francisco Sóñora Luna et Aitor Alonso Méndez sont respectivement le chef de projet et le coordonnateur des médias sociaux de Climántica. Vous pouvez communiquer avec eux en écrivant à l’adresse climantica@climantica.org. Le projet Climántica, qui a pris naissance dans la région de la Galice, en Espagne, a d’abord été approuvé et financé par l’Union européenne dans le cadre du projet Erasmus 2016 (numéro de référence : 2016-1-PT01KA201-022952). Désormais, il fait partie intégrante de l’alliance stratégique des STS Education Models to Transmit to Society the Challenge of Global Change in the Ocean (modèles pédagogiques axés sur les sciences, la technologie et la société permettant de sensibiliser la société aux répercussions des changements climatiques sur l’océan), mieux connu sous le nom d’EduCO2cean. Pour plus d’information, consultez les liens suivants : http://ecocost.webs.uvigo.es, http://tv.climantica.org/ entradas/455, www.climantica.org et www.educo2cean.org.

Julie Lalumière est diplômée du baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

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