Découvrir et faire connaître votre histoire locale

Par Patrick Keegan
Traduction par Marie-Hélène Côté

Nous savions qu’en amont de la rivière se trouvaient les vestiges de la manufacture de coton Old Bell. C’était un de ces premiers matins de printemps quand on peut sentir la terre, réchauffée par les rayons du soleil, revenir à la vie. À voir avec quelle force le ruisseau, gonflé par la fonte des neiges, coulait à cet endroit, il était facile de comprendre pourquoi les premiers colons de Peterborough, au New Hampshire, avaient choisi d’y construire leur moulin afin de profiter de cette puissance de la nature.

Notre remontée du ruisseau à la pagaie faisait partie d’un projet de sciences sociales entrepris par ma classe de sixième année sur l’histoire naturelle et culturelle de la rivière Contoocook, qui coule derrière l’école. Les croquis du site faits par les élèves, la carte du bassin hydrographique et des journaux historiques allaient constituer les éléments d’une exposition sur la rivière tenue au musée de la société d’histoire locale. À la fin du projet, une élève, livrant ses impressions sur cette expérience, déclara: “J’ai vraiment beaucoup aimé en apprendre davantage sur le passé de Peterborough, car j’ai habité ici toute ma vie”.

Tout comme ce fut le cas pour nous, faire des recherches sur les histoires de votre ville pourrait éveiller chez vos élèves un plus grand sentiment d’appartenance à celle-ci et une plus grande conscience de leur environnement. Une manière pour vos élèves de préserver ces histoires est de monter une exposition accessible à tous. Ce faisant, leur travail profitera à la collectivité et ils se sentiront plus proches de leurs concitoyens. De plus, à côtoyer des conservateurs professionnels pendant le montage d’une exposition ouverte au public, vos élèves développeront des compétences qui ne pourraient leur être enseignées dans le seul cadre d’une salle de classe.

Alors que nous esquivions les branches basses des pruches en bordure d’une courbe du ruisseau, le son tonitruant des chutes nous apprit que nous approchions du barrage construit pour créer un réservoir devant servir à alimenter les métiers à tisser de l’ancienne manufacture Old Bell. Les jeunes ont été très impressionnés à la vue des chutes et, tout près, des vestiges du vieux moulin. Après avoir débarqué des canoës, ils ont vu l’histoire s’animer sous leurs yeux. Ils ont d’abord remarqué un rocher géant au pied des chutes, puis un mur de pierres et, enfin, les vestiges d’un vieux pont qui autrefois traversait les chutes, toutes choses encore reconnaissables aujourd’hui autant que sur les photographies d’époque.

Fournir à vos élèves des occasions semblables de mieux connaître et apprécier leur ville natale est essentiel à la santé et à la vitalité de nos collectivités.

Amorcer votre projet sur l’histoire locale

Choisir le thème de votre exposition est la première étape dans l’élaboration de votre projet. Le programme scolaire que votre école, l’État, la province ou le gouvernement fédéral vous impose guidera probablement votre choix. Si la matière que vous devez enseigner a peu à voir avec votre histoire locale, vous devrez trouver une similitude qui permettra d’intégrer quelques-unes de vos propres histoires dans le récit historique plus général que vous transmettrez à vos élèves.

À mon école, par exemple, les enseignants de sixième année doivent aborder les civilisations anciennes. À première vue, il semble y avoir peu de ressemblances entre l’Égypte ancienne et l’histoire de notre ville. Cependant, les civilisations égyptienne, mésopotamienne et chinoise ont toutes grandi et prospéré en partie parce qu’elles étaient situées près de grands fleuves. Nous avons donc choisi les cours d’eau comme thème de nos unités de sciences humaines, ce qui nous a permis de mettre l’accent sur la relation entre notre ville et la rivière Contoocook.

Vous devrez ensuite déterminer un fil conducteur pour votre exposition. Il ne s’agit pas seulement de présenter les résultats des recherches effectuées par vos élèves; votre exposition doit aussi raconter une histoire qui captivera l’attention des visiteurs. Afin de bien identifier « l’idée principale » ou récit sous-jacent de l’exposition, vos élèves devront faire appel à leurs facultés cognitives de haut niveau.

Le sujet de notre exposition était la rivière Contoocook. Elle coule de l’autre côté de la rue de notre école et traverse toute la ville. Elle donne aussi son nom à notre arrondissement scolaire. Pourtant, les élèves étaient peu au fait de son importance historique. L’histoire naturelle et culturelle de la rivière est donc devenue le fil conducteur de notre exposition. En conséquence, la trame narrative de l’exposition a été celle de la perception qu’ont eue différentes personnes de leur relation avec la rivière au cours de l’histoire.

Établir des partenariats avec le milieu

Trouver des partenaires dans le milieu est essentiel à la réussite d’un tel projet. Les sociétés d’histoire locales renferment des trésors de renseignements sur les villes. De plus, leur personnel est souvent composé de gens voués à préserver l’histoire de l’endroit et désireux de travailler avec les groupes d’élèves et d’enseignants qui souhaitent se documenter sur elle. Au début d’un nouveau projet, votre société d’histoire est l’endroit idéal pour commencer vos recherches en vue d’identifier et d’évaluer les meilleures sources de renseignements et de matériel à suggérer à vos élèves.

Notre classe a collaboré de différentes manières avec la société d’histoire locale afin de mettre l’exposition sur pied. Le coordonnateur de l’enseignement nous a fourni des histoires sur la ville, des photographies, des documents, des journaux locaux et des journaux personnels d’employés du moulin. Cette aide a rendu la tâche d’amasser le matériel de recherche relativement facile même dans le cas d’un enseignant travaillant seul. De plus, comme on le verra plus loin, notre société d’histoire nous a aussi fourni un endroit où tenir l’exposition.

Collaborer avec des formateurs non liés au système scolaire offre une autre possibilité d’accroître la participation du milieu. Ils peuvent prêter main-forte en établissant des contacts avec des gens intéressés par le projet ou désireux de partager leur savoir avec la classe. Dans le cadre de notre étude sur la rivière Contoocook, un formateur d’un organisme local de sensibilisation au respect de la nature a facilité des entrevues entre les élèves et des résidents qui étaient eux-mêmes en sixième année, en 1938, lorsqu’un ouragan a causé un débordement majeur de la rivière. Les personnes interrogées étaient enchantées de savoir que leurs témoignages sur l’inondation allaient être enregistrés et sauvegardés.

Les universités locales peuvent aussi aider vos élèves dans leurs recherches. Quand elles sont en lien avec votre sujet, des professeurs et des étudiants des cycles supérieurs des départements d’histoire ou d’archéologie pourraient accepter de parler de leurs propres recherches avec vos élèves. Par exemple, nous avons accueilli à notre école un professeur d’archéologie qui avait dirigé des fouilles le long de la rivière Contoocook. Inviter des gens du milieu dans vos classes fournit aux élèves une base de connaissances plus étendue et les aide à considérer à sa juste valeur leur apport au monde de la recherche.

Enfin, ne négligez pas les enseignants et collègues de votre propre école qui pourraient collaborer avec vous. Créer une exposition de qualité muséale est de nature interdisciplinaire et, peu importe votre spécialisation, vous serez mis au défi d’enseigner la rédaction, l’histoire, les mathématiques, la lecture et les arts tout à la fois. Toucher à toutes ces matières dans une seule période d’enseignement représente toute une gageure. Afin de compenser le manque de temps, faites équipe avec le professeur d’art qui pourra initier vos élèves à la technique de croquis de la faune et de la flore ou avec l’enseignant d’anglais qui pourra leur montrer comment écrire des textes destinés au grand public.

Favoriser un apprentissage dirigé par les élèves

Vos élèves s’investiront davantage dans le projet sur l’histoire locale s’ils sentent qu’ils ont leur mot à dire sur ce qu’ils devront étudier et s’ils ont la possibilité de diriger leur propre apprentissage. Le rôle de l’enseignant est de faciliter cet apprentissage, de travailler en arrière-plan à rassembler des ressources, de s’assurer que les objectifs d’apprentissage sont pris en considération et de graduer la difficulté de ces apprentissages pour qu’ils mènent au succès. Le degré de liberté que les élèves auront pour diriger le projet dépendra de leurs capacités et de votre seuil de tolérance à l’égard de ce mode d’apprentissage.

Pendant que j’enseignais en vue du projet sur la rivière Contoocook, j’essayais toujours de trouver le juste milieu entre l’autonomie des élèves et l’encadrement que je devais exercer comme professeur. Après avoir déjà recueilli de la documentation sur certains aspects du sujet que j’avais préalablement choisis pour les élèves, j’ai décidé que le temps était venu pour eux de réfléchir à une liste de questions sur la rivière. À mon grand soulagement, plusieurs de leurs questions trouvaient une réponse dans les documents dont nous disposions. De plus, nombre de celles-ci ont soulevé des sujets auxquels je n’avais pas pensé. Voici quelques questions qui ont été posées:

– D’où la rivière Contoocook tient-elle son nom?

– Quelle est sa longueur et vers où coule-t-elle?

– Comment le cours de la rivière a-t-il changé?

– Y a-t-il eu des événements importants mettant la rivière Contoocok en cause?

– Quels animaux et quelles plantes vivent dans la rivière ou en dépendent?

Demander à vos élèves de poser leurs propres questions concernant votre projet sur l’histoire locale les amènera à envisager le sujet sous différents angles et augmentera leur participation.

Visiter un musée

Que votre exposition soit présentée dans un musée ou dans un autre lieu public, il y a de nombreux avantages à amener vos élèves voir le travail de conservateurs professionnels. De cette façon, ils verront à quoi ressemble une exposition de qualité muséale et ils pourront commencer à réfléchir sur la manière de concevoir leur propre exposition.

Quand mes élèves ont visité une exposition sur les Amérindiens à notre société d’histoire, ils ont noté ce qu’ils ont vu à l’aide d’une grille servant à évaluer à quel point l’exposition racontait bien son histoire, transmettait des renseignements intéressants et était agréable à regarder. Avoir à évaluer une véritable exposition de cette manière a été d’une importance capitale pour les aider à visualiser ce qui rend une exposition intéressante et à décider quelle touche personnelle ils voulaient apporter à la leur.

Partager votre histoire

Après avoir choisi le récit sous-jacent de l’exposition, fait les recherches nécessaires et visité un musée, vos élèves devront s’attaquer à la tâche cruciale du montage de leur propre exposition afin de faire partager leur histoire. Comme le leur aura démontré l’observation du travail des conservateurs professionnels, ils devront utiliser diverses techniques visuelles afin de rendre le récit de l’exposition interactif et accessible à tous.

Nous voulions raconter notre histoire de la rivière Contoocook à partir de différents points de vue. Nous savions qu’offrir aux visiteurs la possibilité d’interagir avec les pièces exposées les encouragerait à une plus grande participation. Pour ce faire, les élèves ont produit quantité d’objets, comme des journaux historiques, une carte du bassin hydrographique en trois dimensions, des illustrations et des textes. Des affiches indiquaient aux visiteurs qu’ils pouvaient prendre et lire les journaux historiques, tandis qu’un livre des visiteurs invitait les témoins des inondations de 1936 et de 1938 à y relater leurs souvenirs de ces événements.

Comme nous, vous voudrez probablement diviser votre classe en plusieurs groupes pour accomplir le travail. De cette façon, les équipes pourront concentrer leurs efforts sur différents aspects de l’exposition. De plus, pour notre projet, en plus du travail d’équipe, chaque élève de la classe a dû fabriquer un livre-accordéon qui montrait le parcours de la rivière Contoocook depuis sa source jusqu’à sa confluence avec le fleuve Merrimack. Ces livres ont grandement aidé à raconter l’histoire de notre exposition, c’est-à-dire celle de l’histoire naturelle et culturelle de la rivière.

Faire travailler toute la classe à un même projet a insufflé un esprit d’équipe au groupe. Lors de la conception de votre exposition, pensez à un sujet sur lequel vous voudrez que tous vos élèves travaillent de concert. Si votre exposition inclut une carte, par exemple, chaque élève pourrait délimiter sa propre section et, à la fin, toutes les sections pourraient être assemblées comme les pièces d’un grand casse-tête.

Recevoir les commentaires sur votre exposition

Lors de la phase finale du montage de votre exposition, invitez un professionnel en muséologie à venir en classe commenter le travail de vos élèves. Il pourrait s’agir d’un membre du personnel du musée que vous avez visité en début de projet. Recevoir des remarques de ce genre constituera une expérience enrichissante pour vos élèves et les amènera à porter un regard critique sur les répercussions qu’aura leur exposition.

Un conservateur de musée pourrait faire valoir à vos élèves l’importance d’écrire leurs textes en phrases simples, courtes et à la voix active, ainsi que d’utiliser des caractères assez gros pour que les visiteurs puissent les lire facilement. Votre invité pourrait aussi les conseiller sur l’utilisation stratégique de photos pour découper leurs textes et sur la quantité optimale de renseignements à donner pour bien informer les visiteurs sans exagérer. Un professeur d’anglais ne saurait rêver d’une manière plus authentique d’enseigner l’art d’écrire pour un public cible.

Célébrer l’apprentissage des élèves

Le moment le plus excitant pour vos élèves sera peut-être celui où ils partageront enfin le fruit de leur travail avec un large public qui inclura parents, amis et enseignants. Quand vous planifierez la réception d’ouverture et la présentation officielle de l’exposition avec eux, ils prendront conscience que leur apprentissage a atteint des objectifs situés bien au-delà des limites de leur salle de classe.

Nos élèves ont pu présenter leur exposition dans un musée grâce à leur collaboration avec la société d’histoire locale. Trouver un lieu public où présenter votre exposition donnera plus de valeur à leur apprentissage et les aidera à tisser des liens avec leurs concitoyens. S’il n’y a ni société d’histoire ni un autre endroit de ce genre dans votre municipalité, il existe d’autres possibilités pour vos élèves de partager leur travail avec le public.

Une de ces possibilités, c’est votre bibliothèque municipale, car certaines de ces bibliothèques disposent d’aires publiques où on peut tenir des expositions. Aussi, si vous vous y prenez suffisamment à l’avance, des centres d’interprétation de la nature ou des musées pourraient accepter de vous réserver un espace. Des propriétaires de commerces pourraient également trouver avantageux de collaborer avec votre école. Enfin, n’oubliez pas que vous pourriez exposer votre travail dans votre propre école, par exemple dans le hall d’entrée de l’établissement. La qualité des travaux de vos élèves, à la suite de la visite faite dans un musée pour y observer le travail de conservateurs professionnels, sera bien supérieure à ce qui est affiché habituellement sur les babillards.

Mais peu importe l’endroit que vous aurez choisi pour y tenir votre exposition, assurez-vous de préparer une réception officielle durant laquelle vos élèves pourront partager ce qu’ils ont appris. Envoyez des invitations officielles. Exigez de vos élèves qu’ils portent une tenue vestimentaire appropriée à l’occasion. Maintenant que le travail est terminé, élèves, parents, membres de la collectivité et enseignants peuvent se réjouir des résultats.

Explorer des endroits locaux à la recherche d’histoires uniques à raconter est bénéfique à l’apprentissage de vos élèves et à la collectivité dont votre école fait partie. Tous les élèves seront davantage motivés à apprendre s’ils voient un lien entre ce qui se passe en classe et dans leur vie quotidienne. Préserver les histoires locales au moyen d’expositions montées par eux-mêmes est un excellent moyen pour eux de ressentir ce lien. Ainsi, ils rendront un précieux service à leur ville natale tout en développant un sentiment d’appartenance durable.

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Patrick Keegan enseigne les mathématiques et les sciences humaines en sixième et en septième années à l’école South Meadow de Peterborough, au New Hampshire.

Marie-Hélène Côté détient un baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke.

Ce qui précède est une traduction de « Local Lore » qui a été publié en Green Teacher 90, Automne 2010.