La cladistique : une science au fort potentiel

Par Matthew R. Opdyke

Traduction par Antoine Lafrance

La cladistique est un outil d’apprentissage efficace et stimulant pour les élèves. Elle leur permet de classifier des organismes vivants ayant un ancêtre commun en fonction de leurs similarités et d’interpréter les liens évolutifs qui les unissent grâce au diagramme qui en résulte, une sorte d’arbre généalogique. Les enseignants ont tout à gagner à se servir des principes de base de la cladistique pour inculquer à leurs élèves quelques notions de taxonomie et de relations évolutives entre organismes vivants.

L’idée générale qui sous-tend la cladistique est que les membres d’un même groupe, appelé clade, partagent un ancêtre commun, ce qui signifie qu’ils présentent davantage de similarités entre eux qu’avec les autres organismes. Par exemple, les coyotes et les renards, tous deux de la famille des canidés, sont très différents des tigres et des lions, de la famille des félidés. En comparaison avec les canidés, les félins ont des griffes rétractables, un système digestif plus court (adapté à un régime exclusivement carnivore), une face moins allongée et moins de dents. Toutefois, ces deux familles se sont formées, à un moment dans l’histoire, à partir d’un seul et même ancêtre. Pour visualiser les relations évolutives qui unissent les canidés et les félidés, il suffit de créer un diagramme, appelé cladogramme, en se basant sur certains traits des deux familles (voir le diagramme ci-dessous). Ainsi, la cladistique devient pour les élèves une façon plaisante d’apprendre comment certaines caractéristiques relient des groupes d’organismes et d’imaginer à quoi leurs ancêtres pouvaient bien ressembler.

Initiation à la cladistique et élaboration d’un cladogramme

Temps requis :

• 30 à 45 minutes d’initiation à la cladistique;
• 1 à 3 heures pour une sortie de groupe au zoo ou à l’aquarium, ou pour une recherche d’images d’organismes vivants sur internet menée par les élèves;
• 1 à 2 heures pour créer le cladogramme et en discuter.

Matériel requis : Feuilles de travail de cladistique (voir un exemple ci-dessous), papier quadrillé.

Connaissances requises : Avant de commencer l’exercice, présentez le concept de la cladistique à vos élèves, discutez avec eux des façons dont on s’en sert en sciences et des méthodes utilisées pour élaborer un cladogramme. Créer un cladogramme peut être un défi pour les élèves de tous âges; c’est pourquoi vous voudrez probablement désigner les organismes qui doivent s’y trouver, en plus d’offrir aux élèves une liste des caractères et l’état (présence ou absence) de ces caractères.  Un caractère est un trait évolutif qui distingue un organisme d’un autre. Par exemple, les pins ont un tronc ligneux, contrairement aux fougères. L’état du caractère, défini par la présence ou l’absence de ce caractère chez l’organisme, ici « tronc ligneux », serait donc « oui » pour le pin et « non » pour la fougère. En abordant la biologie dans un cours de sciences au secondaire, un enseignant pourrait très bien demander aux élèves de préparer eux-mêmes la liste de ces caractères.

En plus de dresser une liste d’organismes à comparer, on peut choisir un groupe externe. Le groupe externe est un taxon (ensemble d’êtres vivants partageant certaines caractéristiques) qui ne fait pas partie du groupe d’intérêt. Tous les membres du groupe d’intérêt ont plus de similarités entre eux qu’avec ceux du groupe externe. Donc, la branche du groupe externe pousse à la base de l’arbre et fait partie d’une autre ramification que celle du groupe d’intérêt. Autrement dit, le groupe externe n’est pas inclus dans le cladogramme. Par exemple, les Agnathes, ou « sans mâchoires », étaient les ancêtres lointains de tous les poissons d’aujourd’hui. Dans un cladogramme qui comparerait les poissons marins d’aujourd’hui, les Agnathes pourraient être considérés comme le groupe externe et détermineraient ainsi la disposition du cladogramme.

Il serait également intéressant de souligner quelques hypothèses courantes en cladistique. Premièrement, si deux organismes présentent aujourd’hui un même trait, on peut supposer qu’il en était de même pour leur ancêtre. Toutefois, tous les traits ne sont pas aussi pertinents les uns que les autres pour déterminer l’ascendance. Par exemple, la respiration est commune à toutes les espèces de plantes, d’insectes et de mammifères, ce qui ne signifie pas que nous, les humains, soyons étroitement reliés aux plantes. Choisissez des caractères qui vous semblent adéquats et séparez les organismes choisis pour l’exercice. Deuxièmement, une division sur un cladogramme signifie que deux nouvelles espèces ont fait leur apparition et se sont distinguées de leur ancêtre commun. Le point de division est appelé nœud. Troisièmement, un organisme vivant est une combinaison complexe de caractères. Il est donc possible de dessiner plusieurs cladogrammes pour mieux représenter les liens entre les organismes. Un cladogramme idéal est un cladogramme simple. Il faut minimiser le nombre d’états de caractère possibles apparaissant sur plus d’une branche.

Un exemple d’usage qui peut être fait de la cladistique se révèle par l’interprétation de l’évolution. Depuis longtemps, on supposait que les dinosaures étaient lents, qu’ils résultaient d’un malheureux tournant dans l’évolution des reptiles. Toutefois, l’analyse cladistique de dinosaures a montré des ressemblances entre leurs squelettes et ceux d’oiseaux de notre ère. Cette découverte a convaincu plusieurs paléontologues que nos oiseaux modernes descendent bel et bien de dinosaures à plumes. Cette révélation a encouragé certains ornithologues à réexaminer les origines du vol et des soins parentaux chez les oiseaux.

Première étape : Pour rendre l’exercice plus captivant, pourquoi ne pas planifier une sortie de groupe dans un zoo ou un aquarium de la région? Une fois là-bas, dirigez les élèves pour leur faire observer certains organismes selon une liste prédéfinie. Une autre idée intéressante serait d’encourager les élèves à apporter leur propre liste d’organismes, de caractères et d’états de caractère, mais assurez-vous de pouvoir les réorienter si certains éléments de leur liste ne font pas l’affaire. Si une sortie de groupe n’est pas possible, faites faire à vos élèves des recherches d’organismes sur internet, que ce soit en classe ou à la maison. Formez des équipes de trois à cinq élèves pour faciliter la discussion.

Deuxième étape : Fournissez à chaque groupe d’élèves des feuilles de travail de cladistique (voir les exemples). Les élèves doivent remplir les cases en identifiant l’état du caractère pour chaque organisme. Notez que les cases de l’état du caractère se remplissent parfois simplement par un « oui » ou un « non », indiquant la présence ou l’absence du caractère, alors qu’elles requièrent parfois une identification détaillée.

Troisième étape : Une fois que les élèves ont rempli la feuille de travail, passez à la prochaine étape, qui consiste à distinguer les caractères ancestraux des caractères dérivés. Les états du caractère ancestral représentent les états identifiés dans le groupe externe, alors que les états du caractère dérivé représentent ceux qui ne sont pas ancestraux. En utilisant des photocopies des feuilles de travail, demandez aux élèves d’inscrire « 0 » (zéro) dans la première colonne pour indiquer les états du caractère ancestral. Si un autre organisme a le même état du caractère que le groupe externe, inscrivez « 0 ». Pour les états dérivés restants, inscrivez un chiffre supérieur à zéro. D’abord, notez « 1 » sous l’état du caractère dérivé qui se rapproche le plus du groupe externe. Continuez ainsi en notant les états du caractère dérivés selon leur rapprochement avec le groupe externe.

Quatrième étape : Il faut ensuite organiser la feuille de travail de telle manière que le plus grand nombre de zéros possible se trouvent au haut du tableau, à gauche, en remaniant l’ordre des organismes et des caractères. Ceci a déjà été fait dans les exemples fournis.

Cinquième étape : Les données inscrites sur les feuilles de travail peuvent maintenant être transposées en cladogramme. Dessinez d’abord une ligne diagonale qui traverse la feuille quadrillée de gauche à droite, de bas en haut. Cette ligne représente la branche principale de l’« arbre généalogique ».

Sixième étape : L’organisme qui se trouve dans la première colonne sur la feuille de travail formera la première branche du cladogramme, indiquant qu’il est le plus rapproché du groupe externe ancestral. L’organisme se trouvant dans la deuxième colonne formera la seconde branche, et ainsi de suite. Les exemples fournis ici sont des cladogrammes simples. Dans des cladogrammes plus complexes, les branches sur les côtés peuvent se diviser à nouveau, donnant au cladogramme l’apparence d’un arbre. Pour déterminer la structure d’un cladogramme, allez-y avec parcimonie.

Septième étape : Une fois tous les organismes ajoutés au cladogramme, les états du caractère dérivé doivent être ajoutés par de petits traits le long des branches, permettant de distinguer les organismes les uns des autres. Pour plus de concision, on peut abréger les états de caractère et ajouter une légende sous le cladogramme. Voici deux exemples de cladogrammes.

Discussion : Après que les élèves ont complété leur cladogramme, une discussion de groupe peut enrichir l’exercice. Voici quelques suggestions de questions pour alimenter les réflexions :

1. Comment la cladistique nous aide-t-elle à résoudre des questions sur l’évolution des êtres vivants?
2. En quoi les traits choisis pour déterminer les relations évolutives des organismes vivants diffèrent-ils de ceux choisis pour déterminer les liens entre fossiles?
3. Les caractères ont-ils tous été utiles à l’élaboration du cladogramme?
4. Quels caractères sont communs à tous les organismes vivants?
5. D’après le cladogramme, quels deux organismes sont le plus étroitement reliés?

Cet exercice ouvre la porte à beaucoup de créativité. Avant d’emmener vos élèves au zoo ou à l’aquarium de votre région, contactez la personne responsable du volet éducatif et demandez-lui si elle serait intéressée à ce que des élèves conçoivent une affiche informative sur la cladistique, qui pourrait être accrochée au mur de leur établissement. Vous pourriez vous charger du texte et de la mise en page en laissant les aspects plus créatifs et le cladogramme aux élèves. Lors d’un autre exercice créatif, un enseignant dans une école intermédiaire (élèves entre 11 et 15 ans) a aidé ses élèves à apposer leur cladogramme au plafond de leur salle de classe (voir les Ressources).

Ressources (en anglais seulement)

L’Evolution and the Nature of Science Institute, à l’Université d’Indiana. Dans la rubrique en ligne Making Cladograms, apprenez à faire des cladogrammes en utilisant le diagramme d’Euler (ou de Venn) [www.indiana.edu/~ensiweb/lessons/mclad.html].

Grymonpre, Kris, Young Achievers Science and Mathematics Pilot School. Cladogramme, introduction à l’application de la cladistique dans une école intermédiaire, [www.grymonpre.com/science/cladogram/]. [Invalid Link, Not Found!]

Site internet du musée University of California Museum of Paleontology, dans l’article Journey into Phylogenetic Systematics, ressources en ligne d’introduction à la cladistique comprenant une méthodologie, les implications et la nécessité de la cladistique ainsi qu’une rubrique éducative pour les élèves et les enseignants [www.ucmp.berkeley.edu/clad/clad1.html].

Vocabulaire

Clade : Groupe dont les organismes descendent d’un ancêtre commun.

Cladogramme : Diagramme montrant les relations évolutives entre plusieurs groupes d’organismes.

Caractère : Trait évolutif qui distingue un organisme donné des autres.

Groupe externe : Groupe d’organismes qui ne fait pas partie du groupe à l’étude; il est utilisé pour déterminer quels traits des groupes étudiés les distinguent ou les rapprochent.

———————————————————

Matthew R. Opdyke enseigne l’écologie et la science de l’environnement à l’Université Point Park, à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Il chapeaute aussi des projets communautaires, comme l’étude de bassins hydrographiques et la restauration de milieux humides.

Antoine Lafrance est détenteur d’un baccalauréat en traduction professionnelle de l’anglais au français de l’Université de Sherbrooke et d’un certificat en traduction de l’espagnol au français de l’Université de Montréal.

Ce qui précède est une traduction de « The Power of Cladistics » qui a été publié en Green Teacher 95, Printemps 2012.