La téléviolence, comment s’y opposer victorieusement
Le Vote des jeunes et le DÉFI de la Dizaine sans télé ni jeux vidéo
L’école peut aider les jeunes à rejeter les divertissements violents et à se soustraire au pouvoir du petit écran.
Par Jacques Brodeur
Au cours du dernier quart de siècle, la violence dans les émissions de télé, dans les jeux vidéo et dans divers autres produits de divertissement a envahi et pollué l’environnement culturel des enfants de la même façon que d’autres industries ont empoisonné notre air, notre eau et nos aliments. Évidemment, les émissions et autres divertissements électroniques ne sont pas tous toxiques; plusieurs émissions d’information, parfois de très grande qualité, produisent une stimulation positive et aident les enfants à comprendre le monde. La plupart, hélas, font exactement le contraire. Inévitablement, les parents et les enseignants cherchent des moyens de protéger les enfants contre la manipulation et la désensibilisation. Il existe des moyens de réduire l’impact de ce type de pollution sur les jeunes citoyens. Le présent article décrit le phénomène de la téléviolence, le coût énorme de cette forme d’agression sur les jeunes, et propose des stratégies pour y faire face.
Les études qui ont entouré et suivi la parution du Rapport de la Commission LaMarsh en 1977 — c’est là que l’analogie avec la contamination de l’environnement est née — ont toutes confirmé que la téléviolence influence les enfants. En 1995, la chercheure Wendy Josephson, de l’Université de Winnipeg, auteure d’un inventaire intitulé Revue des effets de la violence télévisuelle sur les enfants selon leur âge, cite plus de 650 références reliant la violence des enfants à celle vue à la télé.2
En 2000, l’Académie des pédiatres des États-Unis affirmait pour sa part que “la téléviolence et le comportement agressif des enfants comportent une corrélation plus significative que la fumée secondaire sur le cancer du poumon.”3
En 2001, on trouve la citation suivante sur le site du Réseau d’éducation aux médias : “seulement 4% des émissions violentes véhiculent une morale antiviolence [et] seulement 13% des émissions de fiction violentes offrent des alternatives à la violence ou montrent comment l’éviter.”4 Brandon Centerwall, épidémiologiste de l’Université de Washington, estime pour sa part que la téléviolence est responsable de 50% des agressions commises aux États-Unis.5
La téléviolence semble exercer trois types d’influences sur les enfants: selon leur âge; selon qu’ils la regardent seuls ou avec des adultes ou des pairs; selon le temps passé à la regarder. Les études indiquent que les enfants qui imitent les actes violents vus à la télé perçoivent la téléviolence comme une forme d’encouragement à frapper, maltraiter et humilier leurs pairs. La téléviolence affecte aussi les victimes (5-10% des enfants) en les encourageant à accepter le traitement subi sans chercher d’aide. Finalement, la téléviolence affecte un troisième groupe, les témoins, en réduisant leur pouvoir d’empathie, ce qui les conduit à préférer appuyer l’agresseur plutôt que de porter secours à la victime.6 En augmentant les doses et la durée de l’exposition, l’enfant est affecté mentalement et devient plus enclin à commettre, à subir ou à savourer la violence réelle.
Manipulation des enfants
Au cours des dernières années, les enfants ont été exposés à des doses de téléviolence plus concentrées, produites par des fabricants de jouets et de jeux vidéo. Au début des années 1980, ce sont des compagnies de jouets qui ont utilisé la violence comme ingrédient de marketing. En plus des messages publicitaires traditionnels, des compagnies comme Hasbro ont commencé à produire leurs propres émissions et payaient des télédiffuseurs pour les diffuser en semaine et le samedi matin. En 1984, on a estimé que GI Joe véhiculait en moyenne 84 actes d’agression à l’heure et que Transformers en comportait 81.7 Cette stratégie promotionnelle a été tellement profitable que Hasbro l’a réutilisée en 1989 avec les Tortues Ninja, en 1993 avec les Power Rangers et en 1999 avec les Pokémon. L’objectif premier visait à convaincre les enfants de les demander à leurs parents ou au Père Noël. La plupart de ces émissions, comme plusieurs jeux vidéo, alimentent des fantasmes et des stéréotypes qui sous-tendent le culte de la violence, du sexisme et de la guerre. Les “vrais” hommes sont forts, insensibles et règlent les conflits en exterminant leurs opposants. Les femmes sont décoratives, dociles, victimes ou convoitées comme des trophées. Elles sont incapables de résoudre des différends.
En 2002, Gary Ruskin, directeur du groupe Commercial Alert, prononçait une conférence devant l’Organisation mondiale de la Santé. «Les annonceurs utilisent divers trucs pour vendre aux jeunes. Ces trucs servent à manipuler leurs besoins à un moment de leur croissance où ils s’approchent de l’âge adulte. Parmi les besoins les plus fréquemment exploités par les annonceurs, on retrouve le désir d’être accepté par les pairs, l’amour, la sécurité, le désir de se sentir puissant ou indépendant, le désir d’être ou de paraître plus vieux que son âge et celui de s’identifier à quelqu’un de significatif. La publicité destinée aux enfants est soigneusement fouillée et conçue par des cerveaux qui comptent parmi les plus doués et créatifs au monde. Pour accrocher les enfants, les agences de publicité retiennent les services de docteurs en marketing, en psychologie, et même en pédopsychologie. Les annonceurs obtiennent tellement de succès auprès des jeunes qu’on les entend souvent discuter comme s’ils s’arrachaient des cerveaux d’enfants. Ils en parlent comme s’ils leur appartenaient. Bref, ces entrepreneurs et leurs agences publicitaires ont réussi à imposer leur propre autorité et parviennent à toucher les enfants où qu’ils aillent. » 8
D’autres aspects de cette forme de divertissement violent doivent également attirer notre attention. Les chercheurs ont noté que les jeux vidéo, en plus de stimuler l’agressivité, fournissent peu de stimulation mentale. Le professeur Ryuta Kawashima et son équipe ont mesuré l’activité cérébrale de personnes s’adonnant à un jeu Nintendo® et l’ont comparée à celle de personnes faisant des devoirs de mathématique ou lisant à haute voix. Ils ont conclu que le processus mental requis par le jeu vidéo est trop simpliste pour stimuler certaines régions du cerveau. C’est le sous-développement de ces régions qui entraîne la difficulté à contrôler ses impulsions, occasionnant ainsi les troubles du comportement et la violence.9 Plus spécifiquement, le jeu vidéo ne stimule pas le lobe frontal, la partie du cerveau responsable de la répression des impulsions antisociales ; cette partie du cerveau est aussi impliquée dans la mémorisation, l’apprentissage et les émotions. En privant le lobe frontal de stimulation avant l’âge de 20 ans, les neurones ne se lient pas solidement, empêchant le cerveau de maîtriser les impulsions telles que la violence et l’agression. Selon le Professeur Tonmoy Sharma de l’Institut de Psychiatrie du Royaume-Uni, les conclusions de son collègue Kawashima viennent confirmer les prétentions d’autres études: “Les jeux par ordinateur nuisent au développement du cerveau parce qu’ils requièrent plus la répétition machinale de gestes simples. Ils favorisent plus les réflexes conditionnés que l’analyse de problèmes complexes.”10
Les inquiétudes de la population à l’égard des dangers de la téléviolence pour les jeunes ont entraîné des pressions sur les gouvernements pour réglementer les jeux vidéo. Pour éviter l’intervention de l’État, les télédiffuseurs canadiens ont annoncé en 1994 qu’ils allaient se réglementer eux-mêmes. Cependant, après cinq années d’autorégulation, les professeurs Jacques deGuise et Guy Paquette de l’Université Laval ont constaté que cette autocensure avait non seulement failli, mais que la violence diffusée par les télédiffuseurs privés s’était accrue de 432 pourcent.11
Durant ces années, deux palliatifs ont été utilisés pour calmer les inquiétudes du public au sujet de l’accroissement des doses de téléviolence. D’abord, certains télédiffuseurs ont subventionné des programmes d’éducation aux médias; la formule laissait croire qu’en étudiant les médias en classe, les élèves comprendraient que la téléviolence n’est pas de la “vraie” violence. Malgré la prolifération de ces programmes, en apparence progressistes et utilitaires, plusieurs éducateurs ont craint que cette approche ne serve d’écran aux télédiffuseurs pour projeter une image éthique d’eux-mêmes tout en continuant d’intoxiquer les enfants et les adolescents. La deuxième formule rassurante déployée par les télédiffuseurs a été la puce antiviolence. Comme plusieurs parents travaillent à temps plein et ne peuvent surveiller tout ce que leur enfant regarde, la puce antiviolence leur permettait de bloquer la réception de certaines émissions. Or, l’efficacité de la puce repose sur la cote de l’émission attibuer pas ….le télédiffuseur. Au bout du compte, pendant qu’on augmentait les doses de téléviolence, la puce servait à déresponsabiliser l’industrie et le gouvernement et à renvoyer la balle aux parents.
Le plus inquiétant dans le débat entourant cette question, c’est que ceux qui voient la réglementation de la téléviolence comme une attaque à la liberté d’expression sont portés à considérer la manipulation des enfants par la publicité comme un droit plutôt que comme une pratique abusive.
Le Vote des jeunes
Le Vote des jeunes est un outil pédagogique créé pour aider les jeunes à devenir plus critiques face à la télévision. Cet exercice implique des échanges et des débats sur le contenu d’émissions, de vidéoclips et divers autres produits de divertissement, suivis d’un vote pour déterminer lesquels de ces produits influencent le plus, positivement et négativement, l’élève et ses pairs.
Recueillir les témoignages
Comme il est souvent plus facile de remarquer l’influence des médias sur les autres, et sur des plus jeunes, on commence d’abord par demander aux élèves: «Qui a déjà vu quelqu’un imiter ce qu’il a vu à la télé?» On encourage les élèves à donner des exemples de comportements, de langages et d’habillements observés dans la cour, le voisinage ou dans des rencontres familiales. Certains peuvent citer des anecdotes vécues lors de séances de gardiennage ou des cauchemars après une émission ou un film terrifiants. Certains iront jusqu’à raconter un geste qu’ils ont eux-mêmes posé. Lorsqu’un enfant raconte, l’enseignant l’aide à préciser son récit, à nommer la source (émission, film ou jeu vidéo) qui a inspiré le comportement. On ne cherche pas à identifier les mauvais enfants et les bons, mais plutôt à aider tous les élèves à devenir conscients qu’ils imitent ce qu’il ont vu ou entendu. Les adultes connaissent la réponse, mais les enfants ont besoin de verbaliser leur propre expérience.
Identifier les toxines
L’étape suivante consiste à fournir aux élèves le nom des “bactéries” véhiculées par les produits de divertissement. Comme le microscope aide à voir les bactéries dans l’eau, le sens critique aide à remarquer la présence des bactéries à la télévision. Encore faut-il connaître ces bactéries. Nous recherchons des cas de violence physique, de violence verbale, de peur, de sexisme, de racisme. L’enseignant présente ces bactéries une à la fois et demande à la classe de trouver un ou deux exemples que tous comprendront. En première année, les élèves trouvent facilement des exemples de peur, de violence physique et verbale. À partir de 4e année, les élèves trouvent facilement, en plus des trois bactéries précédentes, des exemples de sexisme et de racisme.
Une fois que les élèves ont compris les influences toxiques, on leur demande de trouver des exemples de violence et de peur dans des émissions. On forme des équipes de trois ou quatre enfants et on confie à chaque équipe le soin de fouiller l’une des 6 catégories de produits suivantes: 1) émissions de télé pour les petits; 2) émissions pour adolescents; 3) films; 4) vidéoclips; 5) jeux vidéo; 6) messages publicitaires. Dans la catégorie violence physique, chaque équipe retient les 3 productions qui contiennent le plus d’agressions, de coups de feu, d’explosions, de morts; ce sont généralement les exemples les plus violents, les plus traumatisants. (Réserve: de première à 3e année, on demande seulement des exemples d’émissions de télé.) La plupart des équipes pourront compléter cette tâche en moins de 30 secondes pour chaque catégorie.
La troisième étape consiste à sélectionner les productions qui seront mises en nomination pour le vote de la classe, delle à qui on décernera le titre de la “Pire” dans chacune des 6 catégories. Pour faciliter la gestion du vote, il faut réduire la liste des candidatures à 4 ou 5 sélections par catégorie. On écrit le nom des productions sélectionnées au tableau. On demande ensuite aux élèves de voter pour une production dans chaque catégorie. Avant le vote, il est recommandé de permettre aux élèves de discuter, de débattre et d’expliquer les raisons de leur choix.
Inévitablement, certains ados affirmeront qu’ils raffolent de violence et de cruauté. Ils pensent qu’en cachant leurs peurs et en se montrant insensibles, ils auront l’air cool. Les durs à cuire qui n’ont pas l’habitude d’exprimer leurs émotions préfèrent parler comme s’ils n’en avaient pas. Plutôt que de prendre une telle attitude de front, on invitera l’élève à parler de l’influence de la télévision sur ses frères ou sœurs plus jeunes. En menant l’échange avec doigté, l’enseignant pourra utiliser les gros consommateurs de téléviolence comme des experts, au lieu de les culpabiliser ou de les condamner ; ces «experts» pourront ainsi contribuer aux échanges de façon utile pour leurs pairs. Dans leurs témoignages, certains avoueront, par exemple, qu’ils s’inquiètent pour les plus jeunes. Le Vote des jeunes est un exercice qui renforce la liberté d’expression et le pouvoir d’empathie de ces élèves.
Avant le vote, l’enseignant rappelle que chacun doit faire un choix personnel dans chaque catégorie, indépendamment de l’avis de amis, parents et professeurs. Le jugement individuel, la pensée critique et la liberté d’expression sont d’une importance capitale pour développer la responsabilité citoyenne. Il faut rappeler que le vote n’est pas un concours de popularité, ni un sondage sur la quantité de violence véhiculée. Nous voulons une évaluation de l’influence exercée par ces productions sur leur clientèle. Une émission extrêmement violente vue par une minorité d’enfants n’aura pas la même influence qu’une autre moins violente vue par plusieurs. Une fois que les élèves auront voté pour les “Pires productions” dans chaque catégorie, on arrive au moment de poser une deuxième question aux élèves: Quelle production a la meilleure influence sur leur entourage, à l’école, à la maison, dans leur milieu?
Les messages positifs (pacifiques)
Après le choix des productions toxiques, la classe part à la recherche de productions pacifiques (ou positives) dans les 6 mêmes catégories. On explique d’abord qu’une production pacifique fait la promotion des valeurs suivantes.
• Coopération, de préférence à la compétition: ces émissions mettent en évidence le meilleur de chaque personne plutôt que de célébrer le gagnant, le premier, le plus fort, le meilleur, au détriment des autres considérés comme des perdants.
• Résolution non violente des conflits: ces émissions montrent que nous sommes tous gagnants lorsque nous solutionnons des différends et parvenons à nous entendre sans coups ni insultes.
• Égalité des hommes et des femmes: dans ces émissions, pas de dominant, pas d’obligation à se mettre au service de l’autre.
• Coopération internationale et compréhension multiculturelle: ces émissions valorisent la compréhension et évitent les stéréotypes. Trop souvent, dans les films, le héro blanc trouve la solution juste tandis que l’assassin, l’hypocrite ou le terroriste est Noir, Amérindien, Arabe ou Asiatique.
• Protection de l’environnement: ces émissions valorisent le besoin de prendre soin de notre planète.
Demander aux élèves de préparer des candidatures pour la “Meilleure” production dans chacune des 6 catégories. On utilise le même procédé que pour les candidatures de productions toxiques, de façon à conserver 4 ou 5 sélections. Les élèves passent ensuite au vote final pour le choix de la production la plus pacifique (positive).
Donner du pouvoir aux résultats
Le Vote des jeunes peut être animé par des élèves plus âgés de la même école ou de l’école voisine. Les plus grands adorent assumer cette responsabilité et les enseignants apprécient revoir leurs anciens élèves à l’œuvre en train d’exercer leur leadership. Dans certaines écoles, on a confié à des élèves de 6e année la responsabilité d’animer le Vote dans des classes de 5e, 4e et 3e. Un autre scénario consiste à confier à une classe ou à un groupe d’élèves le soin de préparer une vidéo pour animer le vote dans toute l’école. Sur la vidéo, le commentateur présente les productions, les arguments et les productions nominées pour le scrutin.
Lorsque toutes les classes d’une école ont voté, il faut des bénévoles pour compiler les résultats. Une fois les résultats connus, des élèves expérimentés font le tour des classes pour renseigner la population étudiante de toute l’école. Pourquoi pas une mini conférence de presse pour dévoiler les résultats aux médias ! Le jugement des enfants doit être connu et diffusé. Quand on pense aux milliers d’heures par année consacrées au petit écran, il serait tout normal que les médias consacrent quelques minutes au jugement des jeunes citoyens sur leurs produits. Soigneusement traité, le Vote des jeunes représente la voix de la jeunesse et envoie un message éloquent aux télédiffuseurs et aux producteurs d’émissions de télé, de films, de jeux vidéo, de vidéoclips et de messages publicitaires. Bien que leur voix risque fort d’être ignorée par les adultes qui diffusent ces productions, les enfants et les adolescents se souviendront que d’autres adultes, leurs enseignants, les ont aidés à développer leur résistance à la manipulation et au contrôle des esprits.
Le DÉFI de la Dizaine sans télé ni jeux vidéo
Voici un autre instrument pédagogique pour développer le sens critique des jeunes au sujet de l’influence des médias dans leur vie. Dans les pays industrialisés, la plupart des enfants subissent un détachement social précoce. En Amérique du Nord, par exemple, on estime que les enfants consacrent de 20 à 25 heures par semaine à la télé et aux jeux vidéo, comparativement à 37 minutes pour converser avec leurs parents.12 Pour se développer émotivement et socialement, les enfants ont besoin d’interactions avec autrui dans des activités comme le sport, les passe-temps, les travaux ménagers, le jardinage, etc.
Le DÉFI de la Dizaine s’inspire d’une étude menée par le Dr Thomas N. Robinson auprès des enfants de deux écoles primaires de San José en Californie. En réduisant le temps d’utilisation de la télé et des jeux vidéo, on a constaté une diminution de la violence verbale et physique à la maison et à l’école.13 Des études précédentes avaient permis de retracer le lien entre l’exposition à la téléviolence et l’augmentation du nombre d’actes d’agression; peu d’études avaient permis d’en évaluer les solutions. Robinson et son équipe ont comparé des élèves de 3e et 4e année dans deux écoles primaires de Californie au cours de l’année scolaire 1996-97. Dans une école, les enfants n’ont pas reçu de consignes particulières et ont servi de groupe contrôle. Dans l’autre, le personnel a reçu une formation le préparant à donner 18 cours étalés sur une période de 6 mois. Le contenu visait à convaincre les élèves et les parents de réduire le temps consacré à la télé, aux films vidéo et aux jeux vidéo. Avant de débuter, les élèves des deux écoles ont évalué le temps consacré au petit écran sur une base hebdomadaire. Dans l’école participante, on leur demandait de se priver de télé durant 10 jours, puis de restreindre leur consommation à 7 heures par semaine.
Avant de débuter les 10 jours sans télé, les enfants des deux écoles consacraient 15,5 heures à la télé, 5 heures aux films vidéo et 3 heures aux jeux vidéo. À la fin, Robinson a constaté dans la deuxième école une réduction de 33 % du temps passé devant le petit écran ; les enfants ne passaient plus que 9 heures devant la télé, 3,5 heures de films vidéo et 1,5 heure de jeux vidéo. Les enfants ont aussi évalué le taux d’agression de leurs compagnons de classe avant et après le jeûne. Au départ, les taux d’agressions étaient similaires dans les deux écoles. À la fin, on a constaté une différence de 25% entre les deux écoles, en faveur de l’école où l’on a réduit la télé. Les chercheurs ont aussi mesuré les changements dans la violence verbale et physique en observant régulièrement les comportements de 50 enfants de chaque école dans la cour de récréation. À la fin de l’étude, on a constaté une différence de 25% des incidents, toujours en faveur de l’école où la consommation de télé a été réduite. Les conclusions de Robinson concordent avec celles où la surexposition à des médias même non violents peut rendre les enfants plus agressifs. Les enfants qui regardent beaucoup de télé ou qui consacrent beaucoup de temps aux jeux vidéo passent moins de temps en interaction avec autrui et ont, conséquemment, moins d’habiletés sociales. Tôt après la publication des premiers résultats, on ne savait pas si la réduction constatée allait se maintenir.
Lorsque des parents du Québec ont pris connaissance de la découverte de Tom Robinson, ils ont trouvé 11 écoles de la région de Québec où l’on acceptait de tenter l’expérience en 2003-2004. En s’appuyant sur leur expérience, voici quelques suggestions pour organiser le DÉFI de la Dizaine dans votre école primaire ou secondaire.
Il importe d’abord d’obtenir l’appui du Conseil d’établissement ou du Conseil d’école, car le succès dépendra de la collaboration des familles. Certaines directions d’école présentent le DÉFI lors de la première rencontre de parents de septembre. D’autres convoquent une réunion spéciale et envoient des invitations écrites à la maison afin d’obtenir la présence d’un plus grand nombre de parents. Dans une école, les enseignants ont donné aux élèves comme seul devoir la mission de convaincre leurs parents de venir à la réunion ou de les accompagner ! Cette première rencontre vise à informer les parents que la participation des enfants est volontaire et à obtenir leur collaboration. Lors d’une rencontre avec le personnel de l’école, des consignes sont fournis sur les façons de préparer les enfants à relever le DÉFI : exprimer leur émotions, trouver des activités alternatives, découvrir une vie plus riche avec leur famille, leurs voisins, leur amis. Les enseignants auront besoin de se préparer à répondre à des questions types. Qu’est-ce qu’on va faire sans télé durant 10 jours ? Où vais-je trouver des livres pour m’occuper ? Pourquoi lire le journal est-il mieux que de regarder le téléjournal ? Que vais-je dire à ma mère lorsqu’elle me trouvera ridicule de ne pas permettre à mon frère de regarder la télé quand je le garde ? Heureusement, lorsque des élèves posent de telles questions, les autres élèves peuvent suggérer d’excellentes réponses.
Lors de la première rencontre avec les élèves, les enseignants mettront l’accent sur le caractère volontaire de la décision à prendre. Certains diront que c’est impossible ou que 10 jours, c’est trop long ; on demande alors à ces élèves combien de jours ils seraient prêts à tenter en les incitant à se fixer un objectif personnel. Il faut inviter les élèves à prévoir les moments où la tentation sera plus forte, surtout les fins de semaine ; chaque enfant devra imaginer des activités alternatives attrayantes. Que peut-on faire par beau temps ? En cas de mauvais temps ? Que puis-je faire avec des voisins et des amis ? Que puis-je faire chez moi ou lorsque je suis ailleurs ? Il faut donc réserver du temps en classe pour que les élèves préparent leur liste et complètent leur horaire personnel.
Les enseignants devront aider les enfants à découvrir et comprendre l’influence de la télé et des jeux vidéo dans leur vie. Ils permettent aux élèves de raconter les comportements, le langage et les attitudes constatés chez les plus jeunes, les voisins et leurs pairs. Quels médias, selon eux, affectent le plus leur entourage ? Comme les parents n’aideront pas tous leur enfant à participer et que certains même refuseront d’appuyer le DÉFI, lors de la deuxième rencontre avec les élèves, il faut imaginer des façons d’aider les élèves qui hésitent à réduire le temps consacré au petit écran. Il faut donc aussi prévoir du temps durant le DÉFI et après les 10 jours. L’entraide entre élèves joue un rôle déterminant dans le succès du DÉFI et les enfants adorent s’entraider. Il faut toutefois éviter d’exercer des pressions indues sur les élèves qui refuseront de participer.
Lors des rencontres préparatoires, les élèves se voient confier des devoirs ou de petites enquêtes sur des thèmes en lien avec le DÉFI : par exemple, ils peuvent faire un sondage auprès de leur parenté, de leurs voisins et des leaders du milieu sur la hausse (ou non) de la violence verbale et physique dans notre culture. Ils pourraient questionner leurs parents sur ce qu’ils ont appris en classe, les liens entre les divertissements violents et la violence réelle. Les enseignants peuvent préparer avec leurs élèves des affiches à placer dans les magasins et lieux publics pour informer la population du DÉFI. Il faut mobiliser la communauté le plus largement possible. Dans l’une des écoles ayant participé au DÉFI, pratiquement tous les organismes du milieu ont animé une ou plusieurs activités, quasi quotidiennement, de la danse irlandaise à la cuisson de biscuits, en passant par le hockey intérieur, un pique-nique, un feu de camp, une soirée musicale, un bingo, etc. Les 10 jours sont devenus une occasion de célébrer la joie de vivre ensemble. Jusqu’au curé de la paroisse qui a consacré une messe dominicale à l’exploit des enfants. Ces derniers ont été invités à témoigner des obstacles rencontrés, des petits plaisirs découverts loin de la télé et des jeux vidéo. Toute la communauté a prié pour leur succès au cours des derniers jours du DÉFI.
On vous suggère de consigner les résultats quotidiens du DÉFI sur un tableau bien en vue ; un tableau en classe, un autre dans le hall de l’école. Tous les élèves suivent ainsi les progrès accomplis jour après jour. Chaque matin de la Dizaine, les enfants écrivent sur un bout de papier — anonymement pour éviter la compétition et la pression des pairs — combien de points ils ont gagné la veille : Matin sans télé = 1 point. Midi sans télé = 1point. Avant le souper sans télé = 1 point. Après le souper sans télé = 1 point. Une journée entière sans télé = 4 points.
Au cours de cette activité quotidienne, rappeler aux enfants que chaque heure “volée” à la télé contribue au succès du DÉFI. Ils peuvent être fiers de leur effort, petit ou grand. On additionne au tableau le total de points de la classe. Puis, on additionne le total de chaque classe pour connaître le total de points de l’école.
Après le DÉFI, les enseignants se rencontrent pour compiler le nombre d’élèves qui sont parvenus à se priver de télé 10 jours, 9 jours, 8 jours, et ainsi de suite jusqu’à 0 jour. Ils notent le nom des activités alternatives préférées par les élèves. Enfin, ils évaluent les changements constatés dans les comportements, les attitudes et le langage en classe, dans l’autobus, dans la cour de récréation. Les parents sont aussi invités à évaluer la performance de leur enfant à la maison. Eux-mêmes, ont-ils participé ? Se sont-ils rapprochés de leur enfant ? Le DÉFI a-t-il influencé le comportement de l’enfant, ses attitudes, son langage, sa coopération aux les tâches familiales ? Les relations avec les autres membres de la famille se sont-elles améliorées ? Lorsque toute l’école a participé au DÉFI, les organismes de la communauté peuvent remettre des certificats aux classes et aux élèves pour souligner leur effort.
L’école est un lieu privilégié pour critiquer l’environnement culturel où baignent les enfants et pour développer la vision d’une société plus tolérante, plus pacifique, plus juste. Des exercices comme le Vote des jeunes et le DÉFI de la Dizaine sans télé ni jeux vidéo sont utiles puisqu’ils entraînent les jeunes à s’exprimer, à résister à l’influence des grands médias sur leurs attitudes et leur comportement. Le DÉFI favorise l’implication des parents et de la communauté dans l’aide aux enfants pour découvrir leurs besoins profonds, développer leurs habiletés sociales et construire leur personnalité propre. Pour paraphraser le slogan africain, “Pour élever un enfant, il faut tout un village.”
Une vidéo de 30 minutes sur le Vote des jeunes est disponible pour ceux qui veulent vivre cette expérience avec leurs élèves. On y voit un commentateur expliquer pourquoi les enfants doivent développer leur sens critique et leur propre liberté d’expression. On y explique la différence entre les bactéries toxiques et les productions pacifiques. 48 extraits toxiques et pacifiques choisis par des enfants en 2000. La video coûte 25$Can/20$US et on l’obtient en la commandant chez EDUPAX, info@edupax.org . Les consignes et la documentation sur le DÉFI de la Dizaine sans télé ni jeux vidéo sont affichées en français et en anglais à l’adresse suivante. http://www.edupax.org/defi.html . On peut commander la vidéo de 20 minutes en français ici. http://www.edupax.org/Assets/divers/documentation/4_defi/formulaire_commande.html
Notes
1 Rapport de la Commission Royale de l’Ontario sur la violence dans l’industrie des communications ; en 1977, la Commission LaMarsh a donné lieu à une pléthore d’études sur les dommages potentiels à la société causés par la violence dans les médias. La violence dans les médias y est comparée aux additifs chimiques dans les aliments, à la pollution de l’air et de l’eau par le plomb, le mercure et l’amiante.
2 Wendy Josephson, “Effets de la violence télévisuelle sur les enfants selon leur âge,” Ministère du Patrimoine, 1995, disponible gratuitement National Clearinghouse on Violence familiale, Santé Canada, (800) 267–1291.
3 Media Resource Team de l’American Association of Pediatrics, “Media Violence,” Archives of Pediatric Adolescent Medicine 108:5 (2001), pp. 17–23; report online at time of publication at http://www.aap.org/policy/re0109.html .
4 Réseau Éducation-médias, trouvé sur le site le 30 septembre 2001, http://www.mediaawarenessnetwork.com (URL at time of publication http://www.media-awareness.ca/).
5 Brandon Centerwall, “Exposure to Television as a Risk Factor for Violence,” American Journal of Epidemiology, 129:4 (1989), p. 645.
6 Fred Molitor, “The effect of Media Violence on Children’s Toleration of Real-Life Aggression,” Southampton Institute of Higher Education, UK, Présentation à la Conférence internationale sur la violence dans les médias, New York, 3-4 octobre 1994.
7 ICAVE, Coalition internationale contre les divertissements violents, cité dans “Cessez-le-feu,” Fides, 1987.
8 Gary Ruskin, «Conférence sur la Santé, la publicité et les jeunes», Organisation Mondiale de la Santé (OMS), avril 2002, Treviso, Italie. Texte accessible en ligne à http://www.commercialalert.org/index.php?category_id=5&subcategory_id=66&article_id=140.
9 “Computer Games Can Stunt Kids’ Brains,” Daily Telegraph, August 20, 2001. http://www.edupax.org/Assets/divers/documentation/7b4_jeux_video/Video%20Game%20Use.html
“Computer Games Stunts Teens’ Brains,” The Observer, Tracy McVeigh, August 19, 2001 http://observer.guardian.co.uk/international/story/0,6903,539166,00.html
10 Ibid.
11 DeGuise, Jacques et Guy Paquette, Centre d’études sur les médias, Université Laval, “Principaux indicateurs de la violence sur les réseaux de télévision au Canada,”19 avril 2002, p. 35.
12 TV-Free America, cité par Canadian Center for Policy Alternatives, CCPA Monitor, octobre 1995.
13 CNN, janvier 2001, “Less Media = Less Aggression,” http://www.edupax.org/Assets/divers/documentation/17_violence/defi02.html .
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Jacques Brodeur est formateur et conseiller en Prévention de la violence, Éducation à la citoyenneté, Éducation à la Paix, Éducation aux médias. Depuis avril 2003, date où le DÉFI a été créé, il a coordonné le DÉFI de la Dizaine dans près d’une cinquantaine d’écoles primaires et secondaires du Québec et de l’Ontario.
Ce qui précède est une traduction de « Confronting Violence in Entertainment: The Youth Vote and TV-free Challenge » qui a été publié en Green Teacher 71, Été 2003.
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