L’observation: un art en soi

Par Shannon Walz

Traduction par Mathieu Arès

Nous passons notre vie à observer ce qui nous entoure, action vitale pour comprendre la nature et vivre en harmonie avec elle. Développer les habiletés inhérentes à l’observation scientifique demande qu’on y consacre du temps et qu’on s’y exerce; c’est d’ailleurs pourquoi il est important pour les enfants de s’y adonner dès leur jeune âge et de toujours voir à aiguiser les capacités de nos élèves durant leur apprentissage scientifique. En enseignant l’observation scientifique, il est important de se rappeler que notre manière d’observer résulte de notre expérience personnelle et de notre bagage cognitif, et qu’une compréhension déficiente de la science influence directement nos habiletés d’observateur.

Qu’est-ce que l’observation scientifique?

Distinguons tout d’abord l’observation quotidienne de l’observation scientifique. Chaque jour, nous observons selon des expériences pratiques et intuitives, et ce, sans nous appuyer sur un solide cadre conceptuel ou des connaissances préalables. Prenons par exemple un élève qui remarque un rondin reposant sur une roche dans la rivière. Il saura décrire le morceau de bois —sa couleur, sa forme—, voire émettre des hypothèses sur le nombre de centimètres qui le séparent de la surface de l’eau, mais sera incapable de reconnaître les indices pour comprendre de quelle manière le rondin s’est retrouvé là. Généralement, les observations quotidiennes sont brèves, demandent peu de concentration, et sont donc dépourvues d’une démarche systématique.

En revanche, celle dite scientifique exige attention et dispositions particulières, ainsi que la formulation d’hypothèses théoriques et d’un rapport d’observations. Revenons à l’exemple du rondin: l’observer scientifiquement requerra donc de mesurer la distance qui le sépare de la surface de l’eau, de déterminer depuis combien de temps il repose sur la roche, ou même de scruter son environnement. L’élève pourra ainsi rassembler les éléments afin de comprendre pourquoi le rondin se trouve là.

Il ne faut pourtant pas négliger l’observation quotidienne. Cette dernière, à situer sur un continuum de pair avec l’observation scientifique, aide vos élèves à se forger un cadre favorisant la reconnaissance de configurations qui se répètent dans la nature. Elle insuffle une curiosité qui les motive à observer scientifiquement et joue de nombreux rôles chez eux: façonner une compréhension du monde, développer de nouvelles connaissances, formuler des explications justes, voire encourager la réflexion critique. Notre mission à nous, enseignants, est de les sensibiliser aux différentes façons d’observer afin de les encourager à réfléchir sur l’information qu’ils recueillent. En développant leurs aptitudes d’observateurs scientifiques, ils obtiennent des bases solides pour former leur connaissance du monde naturel. La qualité des observations détermine en partie la valeur de l’activité de recherche dans l’apprentissage, et c’est en évaluant celle de ses élèves qu’un enseignant peut savoir s’ils comprennent les concepts explorés et reconnaître les failles dans leurs connaissances et les fausses informations qui compromettent les fondements de leur apprentissage.

L’observation éveille ainsi l’intérêt, et permet de développer des concepts scientifiques et de se questionner; vous pouvez alors profiter de cette ouverture pour aiguiller vos élèves dans leur apprentissage grâce à des expériences scientifiques. Étant donné leur plus grande capacité à utiliser les techniques d’observation proposées, ils peuvent commencer à percevoir des éléments de répétition, des similarités et des différences, puis les remettre en contexte par rapport à leur bagage de connaissances. Ceux capables de réaliser des observations scientifiques détaillées sont mieux outillés pour voir au-delà des hypothèses initiales et tirer des conclusions précises de faits observables.

Comment aider vos élèves à devenir de fins observateurs?

De nombreux moyens servant à guider vos élèves dans l’acquisition des techniques d’observation scientifique sont à votre disposition. Pour ce faire, voici quelques pistes à explorer:

• Déterminez l’information et les concepts nécessaires à l’observation. Au fur et à mesure de leur apprentissage, vos élèves emmagasinent de l’information et des concepts qui rendent leurs observations justes et détaillées. Les conclusions ainsi tirées prennent alors un tout autre sens grâce aux liens créés entre leur apprentissage et leurs observations.
• Conférez de l’authenticité à leur observation scientifique. Vos élèves verront leurs observations comme de véritables données si vous leur demandez d’en faire part aux autres de manière authentique.
• Guidez-les à l’aide de questions. Poser des questions appropriées aide vos élèves à centrer leurs observations et à synthétiser leur apprentissage. Les questions qui demandent de décrire une chose ou un phénomène leur permettent de se concentrer et de comprendre les environnements complexes, alors que celles qui concernent l’origine et la raison de l’existence de cette même chose ou de ce phénomène en particulier servent à appréhender les causes et les relations.
• Enseignez-leur à reconnaître les ressemblances, les différences et les éléments de répétition. Après avoir compris l’utilité de leurs observations, vos élèves seront en mesure d’identifier les dispositions particulières et les propriétés qui les aideront à comprendre ce qu’ils observent. En reconnaissant des éléments qui se trouvent répétés dans l’environnement, ils peuvent émettre des hypothèses et des généralisations sur ce qu’ils observent.
• Favorisez la création d’un registre d’observations. Après avoir proposé à des jeunes de créer leur propre registre, des chercheurs se sont aperçus que les élèves organisaient mieux leur pensée lorsqu’ils définissaient leur propre système pour répertorier leurs observations. Cette méthode permet ainsi à vos élèves d’éviter, en rassemblant des données, de formuler un raisonnement hâtif, lequel pourrait mener à des conclusions incomplètes, voire erronées.
• Veillez à ce que l’observation scientifique soit personnelle et pertinente. La qualité des observations scientifiques augmente lorsque les gens s’intéressent à leur sujet. S’ils se sentent partie prenante du processus d’apprentissage et sont encouragés à explorer leurs intérêts, les élèves seront à même de transposer les compétences acquises dans d’autres contextes.
• Permettez-leur d’approfondir leur sujet. Chaque fois que la chance se présente d’utiliser leurs compétences d’observateurs, vos élèves accroissent la finesse de leur observation. En les aidant à choisir le thème de leurs observations, vous devez faire le nécessaire pour qu’ils comprennent entièrement leur sujet. Par exemple, si les libellules sont à l’étude, l’apprentissage sera davantage complet s’il prend en compte tout le cycle de vie de l’insecte au lieu de se concentrer seulement sur son stade adulte.
• Proposez un temps d’observation proportionnel au degré d’apprentissage à faire. Si vos élèves n’ont pas assez de temps, le manque de finesse de leurs observations ne leur permettra pas de bien formuler des hypothèses sur les concepts étudiés. Pour réaliser une observation scientifique de qualité permettant de remarquer les détails, les plus jeunes ont besoin d’au moins dix minutes; les plus âgés en requièrent davantage. Il est d’ailleurs nécessaire de proposer à vos élèves une période d’observation libre afin qu’ils s’approprient le sujet. C’est seulement au terme de ces activités que vous pouvez les encadrer à l’aide de questions et de tâches dans le but d’affiner davantage leurs observations.
• Alimentez les discussions. Les discussions en groupe encouragent vos élèves à organiser leur pensée et leurs observations. En partageant leurs résultats, ils peuvent identifier les incohérences et confirmer leurs observations et leurs hypothèses. Ils peuvent ensuite reprendre leur analyse et poursuivre l’observation dans le but de répondre à de nouvelles questions soulevées, voire collaborer entre eux pour obtenir d’autres réponses logiques. De plus, en partageant leurs résultats, ils participent au processus utilisé dans les communautés d’apprentissage du monde entier pour réaliser des percées en matière de connaissances. Lorsque vous animez les discussions, il est donc important de leur fournir une structure les aidant à se concentrer et à développer des concepts.

Quelles activités d’observation scientifique peut-on réaliser?

Le poste d’observation

(Adapté de Coyote’s Guide to Connecting with Nature)

Demandez à vos élèves de choisir un endroit, à l’extérieur de préférence, appelé à devenir leur poste d’observation, où ils pourront s’asseoir seul et analyser leur environnement. Faites en sorte qu’ils s’y rendent aussi souvent que possible et demandez-leur de porter une attention particulière aux détails. Variez le laps de temps alloué à ce type d’observation. De plus, encadrez-les au fur et à mesure que progresse l’activité: commencez par leur donner entière liberté, puis dirigez-les un peu plus et incitez-les à inscrire dans leur registre les éléments observés. Leur demander de tenir un journal de bord ou un cahier de croquis est une bonne manière d’amener vos élèves à recentrer leurs observations, et leur fournir des guides pratiques ou d’autres ressources leur permet d’approfondir leurs recherches.

Cette activité est fort utile pour développer les compétences d’observation, puisque vos élèves passent du temps à se familiariser avec un endroit en particulier. En outre, elle favorise l’acquisition de dispositions constructives envers cet endroit. D’ailleurs, à mesure qu’ils passent du temps à leur poste d’observation, vos élèves finiront par vous demander de multiplier les occasions de s’y rendre. Grâce à cette activité, vous pourrez ainsi introduire des aspects spécifiques de l’observation, comme la tenue d’un journal de bord et la recherche d’éléments de répétition, afin d’implanter de bonnes habitudes d’observation, toujours appelées à évoluer.

Le sentier artificiel

(Adapté de Vivre la nature avec les enfants, trad. de Sharing Nature With Children)

Sur le long d’une courte section d’un sentier qui vous est familier, placez de 16 à 24 objets fabriqués en prenant soin de créer des répétitions selon le type d’observation préconisé. Demandez ensuite à vos élèves d’emprunter le sentier et de compter dans leur tête le nombre d’objets trouvés en chemin, sans les toucher ou les déplacer. Une fois qu’ils sont tous parvenus au bout du « sentier artificiel », demandez-leur de vous indiquer le nombre d’objets qu’ils ont trouvés, les éléments qui ont attiré leur attention et les répétitions qu’ils ont repérées. Après la discussion, incitez-les à partager des pistes pour améliorer leur observation avant d’emprunter le sentier de nouveau. Indiquez-leur le nombre réel d’objets différents dissimulés, puis lancez-leur le défi de tous les trouver. À la fin du deuxième tour, demandez-leur de vous indiquer la manière dont ils ont adapté leur observation et la raison pour laquelle ils ont eu plus de succès cette fois-là.

Selon ma propre expérience, le sentier artificiel est une bonne façon d’introduire le concept de recherche de répétitions, et permet de multiplier les occasions d’observation et d’élargir les compétences des élèves. Discuter avec eux des outils et techniques d’observation leur donne la chance d’affiner leurs habiletés et d’apprendre de leurs pairs. Enfin, le côté ludique de l’activité représente une récompense positive de l’acuité de leurs observations.

De bonnes compétences d’observation sont à la base de toute recherche fiable. L’observation scientifique encourage d’ailleurs la curiosité, aide vos élèves à développer leurs aptitudes à formuler des conclusions au sujet du monde qui les entoure et accroît leur compréhension de la science. Prendre le temps de l’enseigner, c’est rendre la recherche scientifique intéressante et significative.

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Shannon Walz est directrice des programmes éducatifs au Wolf Ridge Environmental Learning Center à Finland, dans le Minnesota.

Mathieu Arès est finissant au baccalauréat en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke. Amoureux de littérature, il entame, à l’automne 2015, une maîtrise en traduction littéraire.

Ce qui précède est une traduction de « The Art of Observation » qui a été publié en Green Teacher 103, Été 2014.