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Fragmentation de l’habitat et diversité génétique

Par Gareth Thomson
Traduction par Jocelyne Dickey

La perte de la diversité génétique et des espèces causée par la destruction des habitats naturels est processus continu des années quatre-vingts qui prendra des millions d’années à se corriger. C’est un manque de bon sens que les générations futures ne nous pardonneront pas.

— E.O Wilson, 19801

Il y a 150 ans, le naturaliste John James Audubon parlait de l’assombrissement du ciel durant plusieurs jours à cause du passage de bandes de milliards de colombes. Nous pouvons ressentir un accès d’amertume pour ceux qui ont conduit cette merveille de la nature à l’extinction, mais aujourd’hui le manque de bon sens dû à la surexploitation a été remplacé par un manque de bon sens plus insidieux et dévastateur: la destruction des habitats naturels. Le scientifique E.O. Wilson calcule que la perte de l’habitat accélère les taux normaux d’extinction et comme conséquence de ceci nous sommes au centre d’une extinction sans précédent depuis l’ère des dinosaures qui se termina il y a 65 millions d’années2.

La conservation de la biodiversité sur la terre s’est toujours effectuée à travers l’établissement de zones protégées comme des parcs et des refuges de vie sauvage. Par conséquent, dans les décades récentes, les planificateurs et les administrateurs de parcs ont été pris par surprise par les études qui montrent que les aires les plus protégées n’ont pas sauvegardé de manière adéquate plusieurs des animaux qui y vivaient. Par exemple, dans une étude de 1987 réalisée dans 14 parcs naturels de la côte ouest des États-Unis, l’écologiste William Newmark a trouvé que 13 des parcs avaient perdu quelques-uns des mammifères qui avaient précédemment habité dans les zones mentionnées – simplement parce que les parcs sont trop petits.

Société canadienne des parcs et de la vie sauvage

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Ces aires protégées étant entourées par le développement sont considérées comme des îles. Elles ne peuvent pas maintenir des populations stables d’animaux, spécialement les carnivores de grande taille3, dont les comportements naturels les amènent à se disperser sur des surfaces étendues, à voyager sur de longues distances pour rencontrer un partenaire et de nouveaux territoires.

Prenons l’exemple de Pluie, une louve, à laquelle on a posé un transmetteur satellite en Alberta septentrionale. Elle a commencé à surprendre les chercheurs en s’enfonçant profondément dans les états d’Idaho et du Montana, un voyage de plus de 1 000 kilomètres (620 milles), traversant plus de 30 limites juridictionnelles et une surface dix fois supérieure au parc de Yellowstone. Aucun des parcs dans cette région n’est suffisamment grand pour protéger cet animal; et la conception actuelle des parcs, qui inclut des routes et des villages, fragmente encore plus les habitats à l’intérieur de ces parcs. Par conséquent, les populations d’animaux s’isolent et au fil du temps, commencent à perdre de la diversité génétique à cause de l’endogamie. Cette dépression endogamique ou perte d’aptitude génétique produit souvent des caractéristiques préjudiciables qui ne permettent pas aux animaux de se reproduire et qui entraînent l’extinction des populations locales.

Il y a deux manières de résoudre le problème des extinctions locales à l’intérieur des zones protégées. La première est d’augmenter de façon significative la taille des zones protégées, une option qui, dans la majorité des cas, est politiquement impossible à cause de l’utilisation des terres qui entourent ces zones protégées. La deuxième option est de relier les zones protégées en établissant des corridors de vie sauvage qui permettent aux animaux de se déplacer entre les refuges, en offrant aux populations isolées accès à d’autres populations des mêmes espèces. Un de ces exemples est l’initiative de conservation entre Yellowstone et le Yukon, un plan pour relier les zones protégées le long de la formation montagneuse du continent depuis le parc national de Yellowstone situé à l’ouest du Wyoming jusqu’à la frontière Yukon-Alaska, une distance de près de 3 200 kilomètres (2 000 milles). De tels changements requièrent de la conscience et un désir de changement qui s’étendent des organismes décisionnels jusqu’au public en général.

Les Ours de Banff est une simulation active dans laquelle les étudiants assument le rôle des ours bruns dans une zone protégée. En essayant de survivre et de transmettre leurs gènes, ils découvrent comment les activités humaines peuvent faire obstacle au plan de procréation des ours. Les activités se concentrent sur la perte de diversité génétique qui arrive quand les activités humaines empêchent le déplacement libre des animaux à l’intérieur ou au-delà des zones protégées. Cette simulation aide les étudiants à comprendre que la conservation d’animaux comme le loup et l’ours brun demanderont des changements sans précédents dans la manière dont nous concevrons ou administrerons nos parcs.

La simulation des Ours de Banff

Les ours bruns, les grands ours rattachés à plusieurs cultures aborigènes, sont considérés aujourd’hui comme des symboles de la vie sauvage et un indicateur valable de l’intégrité d’un écosystème. Autrefois, les ours bruns pouvaient être rencontrés depuis les prairies canadiennes jusqu’au Mexique, mais dans les 150 dernières années, plus de la moitié de leur population s’est éteinte à cause de la perte de leurs habitats et de l’endogamie. Les scientifiques ont rencontré les premières évidences de la dépression endogamique dans les populations d’ours bruns du Parc national de Banff, bien que le parc soit sensé protéger ces animaux.

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Méthode:

  1. Commencez par inviter les étudiants dans un endroit suffisamment vaste pour recevoir tout le groupe. Cela peut être simplement un espace obtenu en déplaçant tous les pupitres dans un coin de la classe.
  2. Informez les étudiants qu’il y a quelques ours bruns qui viennent d’arriver dans un parc national. Montrez-leur les limites du parc (cela peut être une ligne imaginaire ou un autre signe). Dites-leur que les frontières du parc sont des montagnes infranchissables et que toutes les activités doivent avoir lieu à l’intérieur de la surface du parc que vous avez définie.
  3. Demandez aux étudiants de nommer quatre choses dont chaque animal a besoin pour survivre (par exemple: nourriture, eau, espace et refuge). Expliquez que dans cette activité, ils n’ont pas besoin de se préoccuper de ces nécessités de base mais qu’on mettra à l’épreuve leurs habiletés pour former un couple et transmettre des gènes sains vers les nouvelles générations d’ours bruns.
  1. Distribuez quatre cartes à chaque étudiant: une de chaque couleur (bleu, vert, rouge et noir.
  2. Informez les étudiants que le maintien des populations d’animaux à long terme requiert le mélange des gènes pour maintenir la population en santé. Normalement, les individus assurent le mélange génétique en se dispersant, ce qui se traduit par des voyages sur de longues distances pour s’accoupler avec des individus d’autres familles. Expliquez que les cartes de couleurs que chaque étudiant détient représentent leurs gènes. Quand vous les envoyez se disperser, leur tâche consiste à échanger les cartes avec les autres ours jusqu’à ce qu’ils aient quatre carte de la même couleur.
  3. Donnez ensuite le signal de la dispersion. Les étudiants auront probablement besoin d’une minute pour terminer l’échange.
  4. Demandez aux étudiants de lever la main s’ils ont été capables de compléter la tâche. (Normalement, tous ou la majorité y réussiront). Félicitez-les pour leur habileté à se disperser et pour leurs bonnes perspectives génétiques.
  5. Ensuite, demandez à ceux qui n’ont pu obtenir quatre cartes de couleur identique de lever la main (si ce n’est pas arrivé, remettre l’explication à la ronde suivante, quand l’endogamie sera représentée par quatre cartes de la même couleur) Expliquez à ces individus infortunés qu’ils sont les victimes de l’endogamie ou d’un mélange insuffisant de gènes causé par l’accouplement entre animaux qui sont proches parents. Tout ours qui souffre d’endogamie sera diagnostiqué en dépression endogamique au cours de trois rondes consécutives; étant victimes de générations d’endogamie, ils ne pourront pas continuer leur reproduction et devront quitter l’activité. Note: Si les étudiants ont étudié la génétique, expliquez que l’endogamie peut réduire la santé des descendants parce que le risque que les allèles récessifs affectés continuent de façon homozygote augmente. La dépression endogamique est une des raisons pour lesquelles les sociétés humaines ont des tabous au sujet de l’inceste.
  6. Pour la ronde numéro 2, placez un morceau de tissu au centre de l’espace pour représenter un village (il doit couvrir moins de 20 pour cent du total de la surface du parc). Placez une corde à travers le centre du tissu et étendez-la jusqu’aux frontières du parc pour représenter un chemin qui traverse le parc.
  7. Expliquez aux étudiants que des êtres humains sont venus habiter dans la vallée. Ces personnes constitueront un village modeste au centre du parc, représenté par le tissu. Un simple chemin qui traverse tout le parc approvisionnera le village en services essentiels. Avertissez les étudiants que les villages et les chemins sont dangereux pour les ours. Les ours ne doivent pas entrer dans le village (tissu); et si un ours est vu dans le village ou traversant un chemin, il sera tué par le camion que vous représentez.
  8. Informez les étudiants qu’au moment de donner le signal de dispersion, leur tâche est maintenant de ramasser quatre cartes de couleurs différentes.
  9. Réalisez six ou sept rondes de plus, en introduisant quelques changements qui sont mentionnés ci-après et en demandant aux étudiants d’échanger de manière alternative des cartes identiques ou des cartes de différentes couleurs. À la fin de chaque échange de chaque ronde, demandez de lever les mains pour que le groupe puisse surveiller le début de la dépression endogamique mortelle.

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Réalisez les changements suivants dans la mesure où l’activité progresse:

  • Ronde 3, divisez le parc en quatre parties en ajoutant une ligne ferroviaire, représentée par une deuxième corde perpendiculaire au chemin.
  • Ronde 4, doublez la taille du village en ajoutant un autre morceau de tissu pour représenter un centre commercial construit pour offrir aux personnes “quelque chose à faire” quand ils visitent le parc.
  • Ronde 5, construisez une raffinerie de pétrole en plaçant un morceau de tissu à l’extérieur du parc. Localisez ensuite une partie du tissu de nouveau sur la frontière du parc. Expliquez que le tissu représente la zone d’influence autour d’une aire de développement dans laquelle les ours n’entreront pas.
  • Ronde 6, construisez un complexe d’habitations et un terrain d’aviation en plaçant des morceaux de tissu dans deux lieux différents, chacun s’étendant depuis le village jusqu’à la frontière. Ceci fragmente encore plus l’habitat. Les ours qui s’approchent de ces zones mourront.
  • Ronde 7, faites une pause pour informer les ours qu’un groupe environnemental a proposé de construire un pont naturel élevé pour que les animaux puissent traverser le chemin. Placez une planche sur l’autoroute pour leur montrer de quoi le pont aura l’air. Demandez aux ours s’ils sont en faveur de cette proposition. Retirez ensuite la planche et dites-leur que le gouvernement a refusé la proposition sans demander aux ours leur opinion.
  • Ronde 8, arrêtez de nouveau l’activité et dites aux étudiants que le gouvernement a doublé la largeur du chemin mais a dû construire deux ponts naturels surélevés. De plus, une nouvelle étude environnementale recommande de fermer le terrain d’aviation. Demandez aux ours s’ils sont en faveur de ces changements. (Quelques populations en danger d’endogamie peuvent être très contentes de ces changements). Retirez le terrain d’aviation et placez deux planches sur la corde sur n’importe quel côté du village.

Activité finale: Le but principal de cette simulation est de démontrer comment, en augmentant le développement du parc, on rend plus difficile le mélange génétique. Demandez aux étudiants s’ils pensent que c’était plus facile ou plus difficile pour les ours à mesure que les rondes augmentaient. Expliquez que les choses ont pu sembler plus faciles ou plus difficiles, mais qu’une chose est certaine : même dans un parc national, souvent les humains ont de la difficulté à dire ça suffit!.

Prolongements:

  • Le développement graduel par lequel les activités humaines envahissent la terre protégée année après année constitue une menace majeure pour les aires naturelles. Pour renforcer ce concept, placez une boîte vide à côté d’un pupitre et expliquez que la boîte représente un écosystème intact et que votre main représente l’impact des humains sur l’écosystème. Demandez aux étudiants quelques exemples d’impacts graduels sur les écosystèmes (par exemple l’extension des autoroutes). Avec chaque exemple, poussez le récipient de plus en plus près du pupitre. Indiquez que la boîte est encore intacte, mais qu’elle est en danger. Demandez aux étudiants si l’écosystème survivra sans changements si le développement graduel continue indéfiniment. Discutez à savoir si les activités humaines devraient ou non avoir des limites.
  • Comme plusieurs zones protégées, le parc national de Banff est le thème d’un débat entre ceux qui croient que les parcs sont pour les personnes et ceux qui croient que la première priorité d’un parc national est d’assurer la préservation des animaux et des plantes. Demandez aux étudiants de discuter sur ce qu’ils pensent de la fonction des parcs.

 

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Notes

1 Edward O. Wilson. Resolutions for the 80s. (Résolutions pour les années quatre-vingts). Revue Harvard Janvier-Février 1980, pp. 22-26. Cité dans Edward O. Wilson.Naturaliste. Warner Books, 1994, p. 335.

2 Edward O. Wilson. The Diversity of Life. (La Diversité de la vie). WW Norton, 1992, pp. 280, 343, 346.

3 William D. Newmark. A Land-bridge Island Perspective on

Mammalian Extinctions in Western North American Parks. (Une perspective de pont terrestre sur l’extension des mammifères dans les parcs occidentaux de l’Amérique du Nord). Nature. vol. 325, no. 6103. January 29, 1987, pp. 430-32.

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Gareth Thomson est directeur d’éducation de la Société canadienne des parcs et de la vie sauvage, chapitre Calgary/Banff. Il réside à Canmore, Alberta. 

L’activité des ours de Banff est adaptée avec permission du guide des activités “Ours bruns pour toujours!”, appartenant à la Société canadienne des parcs et de la vie sauvage, chapitre Calgary/Banff, 2000. Cette activité et d’autres activités peuvent être téléchargées gratuitement sur <www.cpawscalgary.org>.

Traduit par Jocelyne Dickey, biologiste et professeure de biologie et informatique à la retraite, traductrice bénévole depuis 2004, Québec.

Ce qui précède est une traduction de « Habitat Fragmentation and Genetic Diversity » qui a été publié en Teaching Green: The Middle Years.

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