Skip to content

Le mystère de la disparition des éphémères

Par Laney Heath

Traduction par Magalie Cloutier

Mettre sur pied un cours de science qui permet aux élèves de côtoyer leur environnement naturel dans le but de les instruire sur les pratiques durables et sur la gestion responsable des ressources naturelles peut représenter un défi de taille pour les enseignants. Ainsi, je suis toujours à la recherche d’occasions concrètes d’intégrer des études terrain au programme de ma classe. En raison de la diminution des ressources pédagogiques et du temps limité qui m’est accordé avec les enfants, je désire mettre l’accent sur les éléments essentiels que je veux leur enseigner et trouver des moyens stimulants de créer un contact entre les élèves et la nature, ce qui me donne la chance d’exploiter à la fois leurs aptitudes méthodologiques et leurs connaissances scientifiques. D’ailleurs, les leçons les plus efficaces sont celles qui font appel aux compétences acquises dans toutes les matières principales. Je suis d’avis que les études terrain donnent aux jeunes la possibilité de développer la pensée systémique, d’apprendre des techniques de recherche scientifique et de comprendre l’importance que revêtent l’organisation, l’analyse et la communication des données. Les activités sur le terrain permettent d’intégrer une approche holistique en matière de formation à l’environnement, de faire sentir aux élèves qu’ils sont responsables de leur environnement et de s’inspirer de l’important travail des scientifiques. La leçon suivante vous est présentée afin de vous faire comprendre ce qu’est une étude terrain et de vous en donner les bases pour que vous puissiez à votre tour planifier un cours portant sur votre milieu ou sur le terrain de votre école.

La préparation

L’automne passé, j’ai lu dans le journal local un article intitulé “L’absence d’insectes pourrait indiquer un problème dans le ruisseau”. L’article expliquait que l’absence “malsaine” d’éphémères, de perles et de phryganes à Gore Creek, qui se trouve près de Vail, au Colorado, sonnait l’alarme pour les autorités du Water and Sanitation District. L’étude en question s’était déroulée sur une partie du ruisseau située près de là où l’autoroute commence sa montée abrupte vers Vail Pass. Cet emplacement est d’ailleurs très populaire pour la pêche à la truite. Chose certaine, la disparition des insectes était suffisamment préoccupante pour que les autorités cherchent à en connaître la raison exacte.

Cette situation représentait une occasion en or pour que mes élèves de cinquième année amorcent leur investigation. L’article a en effet éveillé leur intérêt. Lors de notre discussion, les questions affluaient: Est-ce que ces insectes permettent au ruisseau de rester en santé? Pourquoi cette situation se produit-elle dans cette partie du ruisseau? Est-ce qu’il y aura des poissons au printemps prochain? Peut-on poser plus de questions à ceux qui ont mené l’étude? Est-ce que ce problème s’est déjà produit dans le fleuve Colorado près de chez nous? Bref, les élèves étaient très intrigués.

J’en ai profité pour leur expliquer qu’une étude terrain est une démarche dont on garde des traces écrites, et qui consiste à déterminer les questions qui seront étudiées, à réunir les données sur le terrain, à les interpréter, à consulter des sources de renseignements, comme des experts, des livres et des sites Internet, et à partager les résultats. Les élèves étaient-ils prêts à relever ce défi? Le consensus était clair: “Bien sûr que oui!” Devant tant d’enthousiasme, je savais que cette activité extérieure significative pourrait redéfinir l’attitude des élèves et même restructurer leur apprentissage. Des cahiers d’écriture ont été distribués aux élèves en guise de carnet scientifique pour qu’ils puissent y écrire leurs pensées et leurs découvertes tout au long de l’étude. Ces carnets serviraient aussi d’outil d’évaluation et témoigneraient de leur cheminement au cours de l’année.

Les questions à examiner

Puisque la structure de notre étude terrain s’appuie sur la méthode inductive, j’ai commencé par guider mes élèves dans la formulation de questions scientifiques fondamentales qui serviraient ensuite à orienter notre investigation. Afin de clarifier le concept de question scientifique, j’ai présenté aux élèves les trois principaux types d’études terrain: descriptives, comparatives et corrélatives. Chaque type d’étude est guidé par différents genres de questions de recherche.

  • Les études descriptives consistent à identifier certaines parties des systèmes naturels et à les quantifier. Voici des exemples de questions pour guider les recherches: Combien de larves d’éphémères trouve-t-on dans un gallon d’eau du ruisseau? À quelle fréquence les grands hérons visitent-ils le lac Connected?
  • Les études comparatives requièrent la collecte de données à différents emplacements, sur diverses populations, et dans des conditions et des périodes qui varient: Y a-t-il plus de rameaux qui poussent sur les arbres du côté nord ou du côté sud du ruisseau? Pourquoi y a-t-il davantage de vers dans le sol de certaines zones du ruisseau? Comment la température à la surface de l’eau varie-t-elle selon les différentes parties du ruisseau?
  • Les études corrélatives comparent la relation existant entre deux variables: Le nombre de larves d’éphémères contenu dans un gallon d’eau du ruisseau augmente-t-il lorsque la température à la surface de l’eau diminue? Quel est l’effet du niveau d’oxygène dissous sur le pH de l’échantillon d’eau du ruisseau?

Par la suite, j’ai distribué aux équipes d’élèves des enveloppes contenant les questions à examiner et leur ai demandé de les trier selon les trois catégories, soit descriptive, comparative et corrélative. J’ai invité les membres de chaque équipe à discuter entre eux de leurs choix et à les justifier. S’ils ne pouvaient se mettre d’accord sur une réponse, ils devaient ajouter la question dans une nouvelle catégorie, nommée “les incertaines”. Au bout d’environ 15 minutes, les divers groupes d’élèves ont fait part de leurs réponses, que nous avons inscrites au tableau ainsi que dans les carnets scientifiques.

Puis, nous avons discuté des raisons qui poussent les scientifiques à formuler des questions lorsqu’ils travaillent sur le terrain. J’ai demandé aux élèves de réfléchir aux questions que les scientifiques pourraient se poser au moment où ils se pencheraient sur la cause de l’absence d’insectes à Gore Creek. Lors du cours suivant et après de nombreuses discussions, les élèves ont constaté que toutes nos questions préliminaires nous conduisaient vers une question principale : Qu’est-ce qu’un environnement sain pour un ruisseau?

L’étude terrain

Les élèves étaient très enthousiastes à l’idée d’observer le milieu naturel du ruisseau et d’y collecter des données. Je leur ai expliqué que l’étude les aiderait à choisir une question à laquelle ils répondraient individuellement et servirait à recueillir des données afin de nous aider à répondre à notre question principale. Nous avons convenu qu’il faudrait visiter notre zone d’étude du ruisseau trois fois au cours de l’année, soit en septembre, en novembre et en mars. Je désirais que ma classe de science de cinquième année comprenne que, puisque les éléments vivants et non vivants interagissent dans leur écosystème, ils changent. Allouer du temps aux élèves pour qu’ils puissent faire des observations à de multiples reprises leur a permis de remarquer des détails et de poser des questions basées sur leurs propres observations. Je savais que le fait de recueillir des données à divers moments permettrait aux élèves de dégager certaines tendances.

Les élèves et moi avons décidé qu’il serait important de rassembler des données concernant notre ruisseau afin de déterminer s’il constituait un écosystème riverain en santé. Cette recherche nous permettrait de comprendre l’importance de l’absence des éphémères. J’ai donc orienté les élèves pour qu’ils se concentrent sur trois types de facteurs en particulier : physiques, chimiques et biologiques. Une fois sur place, les jeunes ont été placés en équipe de trois. Un élève avait la responsabilité de faire les tests chimiques en utilisant une trousse de surveillance des eaux LaMotte (oxygène dissous, pH, température de l’eau, turbidité), un autre élève recueillait des données sur les caractéristiques physiques (température du sol et de l’air, plantes, indices de présence humaine et animale), et le troisième élève cherchait des indices de nature biologique dans l’eau (observation de poissons et de grenouilles ainsi que prise d’un échantillon d’eau pour détecter la présence de macro-invertébrés). Les jeunes ont assumé à tour de rôle ces responsabilités lors des visites pour avoir la chance d’accomplir toutes les tâches.

Nous avons passé la dernière moitié de notre étude terrain à observer, à classer, à identifier et à noter les macro-invertébrés que nous avions collectés sur le site. Grâce à l’aide d’experts locaux, les équipes ont pu compter et classer les organismes en les séparant dans des bacs à glaçons. Les élèves ont rapidement fait la différence entre la perle et l’éphémère. Le niveau de classification, pourtant élevé pour une classe de cinquième année, n’a eu d’égale que la discussion significative qui a eu lieu après cette étape de l’étude. En effet, les élèves ont appris que ces espèces indicatrices étaient sensibles aux changements environnementaux et pourraient être utiles pour signaler les problèmes qui nuisent à la santé du ruisseau. Cette découverte a été un élément important qui nous a permis de mieux comprendre l’écologie des cours d’eau.

L’interprétation des données

De retour en classe, les élèves ont dû compiler et consigner les données de leur équipe pour ensuite rendre compte de leurs découvertes. Nous avons pris énormément de photos lors de notre étude pour les utiliser comme support lors de la présentation des équipes. D’intéressantes discussions émergeaient des présentations, ce qui menait chaque fois à davantage de questions à noter dans les carnets scientifiques. J’ai par la suite demandé aux élèves de choisir un sujet inspiré par la collecte de données, par exemple: les différences entre les larves de l’éphémère et celles de la perle; le ruissellement du sel épandu sur les routes et son effet sur la population des invertébrés, ce qui nécessiterait une expérience en laboratoire; la qualité de l’eau à l’échelle mondiale et les maladies qui en résultent. Des experts travaillant pour des agences locales ont donc été contactés pour aider les élèves dans leurs recherches. Afin de préparer leur étude, les élèves devaient suivre les consignes suivantes:

  • Inclure un titre et une question vérifiable;
  • utiliser des renseignements pertinents provenant de la collecte de données;
  • créer une affiche, un tableau, un graphique ou une illustration en lien avec leur sujet;
  • remettre un rapport écrit contenant la synthèse des découvertes et répondant à la question de départ;
  • présenter les résultats de la recherche à la classe.

Les élèves ont constaté que les études terrain qui comportent une surveillance de la qualité des eaux et l’étude des macro-invertébrés offraient une vue d’ensemble très intéressante permettant d’explorer différents concepts et procédés scientifiques. Ayant recueilli des données au fil des mois, ils ont observé des tendances en ce qui concerne la température et la présence de pistes d’animaux, une évolution quant à la teneur des échantillons d’eau et des indices de l’intervention humaine dans l’environnement. Au fur et à mesure que les élèves s’investissaient dans la collecte de données, ils étaient gagnés par un sentiment de responsabilité envers le lieu où s’effectuait la collecte. Par ailleurs, afin de nous accompagner dans la classe comme sur le terrain, nous avons fait appel à des experts travaillant pour des agences locales, telles que le Department of Wildlife, la Tamarisk Coalition et le Bureau of Land Management. Ces collaborateurs ont aidé les élèves à assembler toutes les pièces du casse-tête afin d’avoir une image complète de ce qui constitue l’écologie d’un ruisseau sain. À la suite de chaque visite de la zone d’étude du ruisseau, les présentations des équipes devenaient plus réfléchies, et le contenu des carnets scientifiques semblait de plus en plus appuyé sur des faits. Au fil des mois, les élèves ont constaté que les différents facteurs de santé du ruisseau étaient interreliés : les facteurs physiques, comme la température, déterminaient le nombre et le type d’insectes aquatiques que nous avons observés; les facteurs chimiques, comme le pH et l’oxygène dissous, étaient en corrélation avec les plantes et les indicateurs biologiques. Ainsi, les élèves ont découvert que la santé du ruisseau dépendait des interactions considérables entre les facteurs physiques, chimiques et biologiques.

Au printemps, à la fin de notre étude terrain, les élèves ont compilé les données recueillies lors des sorties ainsi que les notes de discussion prises lors des visites des experts. Nous avons rapidement constaté que nous devions tenir compte de différents facteurs de santé de l’eau, qui n’avaient pas été testés, comme la présence du parasite Giardia, un micro-organisme se trouvant souvent dans les sources d’eau locales et pouvant causer des maladies intestinales. Cette nouvelle donnée soulevait des questions quant à notre capacité à répondre à notre question principale: Qu’est-ce qu’un environnement sain pour un ruisseau? La classe a décidé que, même si d’autres tests auraient pu être réalisés, nous possédions assez de données pour répondre à nos questions. Entre eux, les membres des équipes ont compilé leurs rapports et préparé leurs synthèses. Les élèves ont réussi à décrire clairement la manière de procéder aux tests ainsi que les résultats, à exprimer les concepts scientifiques et les relations interactives, et à formuler des arguments logiques. Ils ont tenté de résoudre le mystère de la disparition de l’espèce indicatrice qu’est la larve de l’éphémère de Gore Creek. La classe a prédit que la cause était le ruissellement des routes. Bien sûr, comme pour toute étude complexe, d’autres tests gagneraient à être effectués.

Puisque les normes nationales en matière de formation en sciences et en environnement encouragent l’apprentissage par la résolution de problèmes et la recherche, je suis d’avis que l’étude terrain devrait être un outil d’enseignement important dans toutes les classes. La responsabilité de l’avenir de notre Terre repose entre les mains de nos enfants; je crois donc fermement que les enseignants devraient inciter les élèves à faire l’expérience de la nature de façon plus active et concrète. L’ajout d’études terrain s’appuyant sur la méthode inductive au programme du primaire et du secondaire permettrait d’enseigner la pensée systémique et d’améliorer l’habileté des élèves en résolution de problèmes, soit des aptitudes qui caractérisent les recherches scientifiques. En outre, les études terrain motivent les élèves à apprendre à interagir pleinement avec les systèmes naturels, ce qui peut mener à un respect de la nature qu’ils conserveront leur vie durant ainsi qu’à un sentiment de responsabilité envers l’environnement.

—————————————-

Laney Heath est enseignante depuis 31 ans déjà et, depuis peu, elle travaille auprès d’élèves surdoués à Grand Junction, au Colorado. Elle anime aussi les ateliers d’été de l’organisme à but non lucratif dirigé par Jean-Michel Cousteau, Ocean Futures Society, qui vise la conservation des écosystèmes marins. Ainsi, à Santa Barbara (Californie), elle forme les enseignants en matière d’études terrain s’appuyant sur la méthode inductive dans les écosystèmes des rives, des zones intertidales et des forêts de varech.

Magalie Cloutier est étudiante au baccalauréat en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke. Elle est passionnée par les voyages et les cultures du monde, et elle aspire à un travail créatif dans ce domaine ou dans celui du film.

Ce qui précède est une traduction de « The Mystery of the Missing Mayflies » qui a été publié en Green Teacher 97, Automne 2012.

No comments yet

Leave a Reply