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Une école maternelle dans la nature : il fallait y penser!

Par Enid Elliot

Traduction par Ada Luna Salita

Le projet de maternelle dans la nature a commencé par le rêve de deux enseignants. La directrice d’une école locale, inspirée par l’expérience de son fils dans un Waldkindergarten en Allemagne, a voulu recréer un contexte d’apprentissage semblable pour les jeunes enfants de l’arrondissement scolaire de Sooke sur l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique. Depuis plus de 30 ans, des pays d’Europe du Nord offrent des programmes extérieurs d’éducation à la petite enfance basés sur la conviction qu’il est bon pour les enfants d’être dehors, peu importe le climat de la région dans laquelle ils vivent. En tant que chercheuse dans le domaine de l’éducation à la petite enfance, je m’intéressais aussi à l’élaboration d’un programme permettant aux enfants d’apprendre et de grandir à l’extérieur.

Partageant la même vision, nous nous sommes rencontrés et avons commencé à planifier cette maternelle dans la nature. Comme c’était du jamais vu pour les écoles de la Colombie-Britannique, nous avons d’abord invité des personnes susceptibles d’enrichir notre idée à faire partie d’un comité consultatif. En premier lieu, nous avons obtenu le soutien du directeur et du conseil d’établissement. Ensuite, nous avons demandé à des représentants d’universités de la région et d’un collège communautaire de se joindre au comité. Finalement, des coordonnateurs de parcs et de loisirs, des naturalistes, un instructeur de secourisme en milieu sauvage et du personnel d’un musée de la région se sont aussi joints au projet. À mesure que les membres du comité consultatif partageaient leur point de vue et leur expertise, nous avons opté pour une vision résolument locale.

Après beaucoup de planification, l’arrondissement scolaire s’est engagé à mettre sur pied un programme pilote de maternelle dans la nature. L’objectif était d’étudier les possibilités de permettre aux enfants de passer tous les matins au grand air dans un environnement naturel et de retourner en classe l’après-midi pour s’adonner à des jeux d’apprentissage à l’intérieur. Le programme pilote permettrait d’atteindre les résultats d’apprentissage prescrits en Colombie-Britannique. L’école primaire Sangster a été choisie pour accueillir le programme étant donné sa proximité avec des forêts anciennes et l’Esquimalt Lagoon, où vivent hérons, cygnes et canards, ainsi qu’une plage située de l’autre côté de la rue et qui donne sur le détroit Juan de Fuca.

Nous espérions qu’en explorant leur environnement, les enfants développeraient leur confiance lorsqu’ils sont à l’extérieur et qu’ils apprendraient à mieux connaître le milieu où ils habitent, et ce, tout en s’amusant. Nous croyions qu’en apprenant ensemble, ils formeraient une communauté dotée de fortes aptitudes en recherche et en collaboration. À l’extérieur, il n’est pas interdit de bouger ni de crier. Comme l’affirme Mary Rivkin, professeure d’éducation à la petite enfance: “Il y a bien sûr généralement plus d’espace dehors, mais aussi moins d’obstacles avec lesquels on peut entrer en collision, moins d’objets qu’on pourrait casser ou dont on pourrait perdre des morceaux. Le corps n’a plus de limitations strictes, il peut crier, chanter, sauter, rouler, s’étirer et s’élancer comme bon lui semble.” Le fait de se concentrer sur l’activité physique l’avant-midi favoriserait l’équilibre et augmenterait l’endurance et la force des enfants. Ils se sentiraient plus habiles à nommer des plantes, à grimper dans les arbres ou à terminer une randonnée même si leurs bottes sont trempées. Ils pourraient aussi transposer cette confiance dans les autres aspects de leur vie.

Afin d’amener sans problème 22 enfants en forêt, nous avions besoin d’un enseignant et d’un éducateur à la petite enfance qui collaboreraient afin d’assurer la sécurité et l’apprentissage de tous. Mettre en commun la perspective d’un éducateur à la petite enfance et celle d’un enseignant créerait un échange d’idées et de points de vue intéressant. L’éducation à la petite enfance encourage traditionnellement l’utilisation d’un programme éducatif basé sur l’éveil et le jeu, tandis que les enseignants ont la responsabilité de favoriser l’atteinte des objectifs d’apprentissage et de préparer les élèves pour l’année scolaire suivante. Donc, une approche axée sur l’investigation et qui se concentre sur la curiosité et les intérêts des enfants peut s’avérer peu orthodoxe pour les enseignants habitués aux méthodes classiques.

Pour la maternelle dans la nature, nous planifiions ainsi nous concentrer sur les intérêts, les questions et les théories des enfants afin de créer une communauté dont les membres apprennent et s’interrogent tous ensemble. Les adultes observeraient les découvertes des enfants, écouteraient leurs préoccupations et personnaliseraient les activités selon leurs intérêts. En se servant de leurs propres observations et en prenant note des questions et des idées des enfants, les éducateurs pourraient analyser les nombreux centres d’intérêt des enfants. En prenant part aux investigations de ces derniers, les adultes seraient en mesure d’enrichir et de soutenir les théories des enfants, ainsi que de les amener à se poser de nouvelles questions, façon propice de leur transmettre aptitudes susceptibles d’approfondir ou d’élargir leur apprentissage. Compter les arbres d’une clairière, identifier des oiseaux à l’aide d’un guide ou graver un message dans la terre sont toutes de bonnes façons d’inclure les notions de lecture et de calcul dans les activités quotidiennes. Les enfants améliorent leurs capacités de réflexion et d’apprentissage lorsqu’ils doivent contourner un obstacle sur un tronc d’arbre, apprennent à observer une maman pic qui nourrit ses oisillons ou se demandent si c’est bien de barboter dans un ruisseau où habitent des crevettes, des poissons et d’autres petits animaux.

L’éminente scientifique et environnementaliste Rachel Carson a déjà affirmé: “Le monde d’un enfant est frais, nouveau et beau; il est plein d’émerveillement et d’enthousiasme. Si un enfant est capable de conserver son sens inné du merveilleux, il a néanmoins besoin d’un adulte pour l’accompagner, redécouvrant avec lui la joie, les émotions et le mystère du monde dans lequel nous vivons. » Carson a soigneusement choisi le mot « accompagner”, car ce n’est pas l’enseignement d’un adulte, mais bien sa compagnie qui a le plus d’importance.

La première année

La maternelle dans la nature de l’arrondissement de Sooke a ouvert ses portes en septembre 2013 avec un enseignant, un éducateur à la petite enfance et une classe de 22 élèves. Ni l’éducateur ni l’enseignant n’avaient enseigné une année complète en maternelle auparavant. Ils n’avaient jamais non plus passé toutes leurs matinées dehors avec leur classe, peu importe les conditions climatiques. La courbe d’apprentissage était aussi abrupte pour tous.

Ensemble, les éducateurs et les enfants ont mis en pratique certaines mesures afin de former une communauté sécuritaire. Prendre soin de soi et des autres aiderait à créer un environnement sûr pour tous. Les enfants ont mémorisé des signaux de rassemblement et de danger, et se sont exercés à dispenser les premiers soins. Grâce à cette expérience, les enfants ont appris à se préoccuper d’autrui et se sont rendu compte que leur propre sécurité dépendait aussi des autres. Hors de la salle de classe, ils étaient au courant qu’il y avait des dangers possibles. Encourager l’esprit de collaboration et le sens de la responsabilité au sein du groupe a rendu le périple en forêt sécuritaire. Cette façon de faire a aussi encouragé la formation d’une communauté d’apprentis qui partagent les mêmes idées, pensées et aptitudes. Le fait de se concentrer d’entrée de jeu sur la sécurité du groupe a favorisé l’initiation du processus de création d’une communauté qui s’épanouirait pendant l’année.

Une fois que les enfants ont compris les directives de rassemblement et de déplacements en groupe, les éducateurs ont pu se concentrer à approfondir l’apprentissage et la réflexion collaborative des enfants. Dans la forêt, les expériences et les découvertes des petits ont été vastes et enrichissantes. Ils ont aussi eu le privilège de bénéficier du même contexte d’apprentissage pendant toute l’année. Ils ont observé la forêt se transformer d’une saison à l’autre : l’apparition de limaces au printemps, celle des champignons à l’automne, de même que le bourgeonnement des arbres et des arbustes au printemps.

L’influence sur les enseignants

Les enseignants apprenaient aussi à transmettre de l’information aux enfants. Écouter leurs commentaires, leur poser des questions et réfléchir à voix haute en leur compagnie a donné lieu à l’émergence d’un enseignement par à-coups. Cela a aussi mené à toutes sortes d’apprentissages, des interactions sociales avec des poneys magiques aux rencontres avec des vers de terre. Faisant partie de la même communauté d’apprenants qu’eux, les enseignants échangeaient avec les élèves, tandis que les enfants échangeaient entre eux. Les enseignants ont commencé à s’interroger sur la nature qu’ils observaient et ils ont appris aux côtés des enfants. En documentant les expériences et apprentissages des petits, ils ont pu découvrir un point de vue différent, réfléchir à leurs méthodes d’enseignement et penser à de futures possibilités d’apprentissage.

Dans la forêt, les enfants ont pu forger leurs propres idées, découvrir leurs forces et affermir leur confiance. Leur relation avec la forêt a évolué, et ils ont découvert l’endroit à l’aide de leurs sens. Les enfants savent quelle est l’odeur de la pluie, du soleil et du vent; ils connaissent aussi la texture et les sons de la terre lors des jours humides d’hiver comme lors des matins secs d’automne. Au printemps, ils ont senti le doux vert des sapins et des mahonias à feuille de houx. Ils ont ramassé des vers de terre, élaborant des théories sur leur vie et leur identité. Ils ont feuilleté leurs guides en quête d’oiseaux et écouté les pics fouiller des trous en quête d’insectes.

Globalement, la première année a été un succès. Les enfants redoutaient la fin de l’année, les parents disaient que l’expérience avait “dépassé leurs attentes”, et les deux éducateurs ont reconnu que c’était une façon merveilleuse d’enseigner. D’autres arrondissements scolaires ont entendu parler de notre projet et ont cherché à mettre sur pied des programmes adaptés à leur environnement, ainsi qu’à leur collectivité. Les enseignants et les écoles abattent les murs des salles de classe afin de renouer avec une communauté élargie qui ne se limite pas qu’aux humains.

Un entretien avec un arbre

Par Erin Van Stone

Munis d’un bloc-notes, d’un crayon et de quelques questions trouvées au cours d’un remue-méninges, les enfants avaient comme défi de s’entretenir avec un arbre.

Voici quelques questions qu’ils ont posées:

  • Quel âge as-tu?
  • Quelle est ta hauteur?
  • À quelle essence d’arbre appartiens-tu?
  • Quels types d’animaux abrites-tu?
  • Quels types d’insectes attires-tu?

Zoey s’est immédiatement dirigée vers le cèdre derrière notre cercle. Elle a posé une question à l’arbre et a attendu une réponse.

Zoey: Comment ça va, l’arbre? Arbre? Allo? Madame Van Stone… Mon arbre dort; il ne me répond pas.

Mme Van Stone: Tu dois peut-être l’écouter d’une autre façon.

Zoey: Oh, il dit qu’il va bien. Arbre, est-ce qu’il y a des animaux qui te rendent visite? Il a répondu un pic!

Tegan: Arbre, quel âge as-tu?

Persley: Est-ce qu’il y a d’autres insectes qui vivent à l’intérieur de toi? Mon arbre s’appelle Chloe.

Jackson: Cet arbre est doux et couvert de bosses. Il est très haut.

Elliott: Il m’a dit qu’il avait 100 ans!

Les enfants ont écrit les réponses de leur entretien. Ils ont fait un dessin de leur arbre. Quand ils ont tous eu fini, ils se sont rassemblés en cercle au milieu de l’endroit où ils se trouvaient. Mme Lockerbie a demandé à chaque enfant de raconter son entretien à voisin.

Presley: Mon arbre n’était pas très bavard, mais son nom est Chloe.

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Enid Elliot est éducatrice à la petite enfance, professeure au Collège Camosun, à Victoria, en Colombie-Britannique et professeure associée à l’Université de Victoria.

Ada Luna Salita est une étudiante au baccalauréat en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke. Elle s’intéresse à l’environnement et aux sciences humaines.

Ce qui précède est une traduction de « Envisioning a Nature Kindergarten » qui a été publié en Green Teacher 103, Été 2014.

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