Astuces pour décrocher de grands partenaires scientifiques

Par Jessica Zephyrs
Traduit par Denise Latreille
Lorsque Duane Gray a commencé à enseigner en septième année à l’école Russell Reid Elementary de Brantford, en Ontario, il y a plus de 22 ans de cela, il a été renversé de voir que ses élèves étaient complètement déconnectés de la nature. « Ils passaient tout leur temps en banlieue ou en ville. Ils n’étaient pas en mesure d’apprécier la nature, n’en avaient aucune compréhension et n’en connaissaient pas la terminologie. Même la cour d’école était trop aseptisée, au point que j’ai eu du mal à trouver un environnement propice pour enseigner la science citoyenne. Un jour, j’ai reçu un courriel de l’organisme de bienfaisance Études d’oiseaux Canada qui décrivait son projet de recherche sur la science citoyenne. Ce projet convenait parfaitement. En effet, j’avais besoin d’un sujet de recherche que les enfants pourraient observer de n’importe où, et des oiseaux, il y en a partout. Je travaille avec cet organisme depuis maintenant dix ans. »
Le partenariat de Duane avec Études d’oiseaux Canada a commencé par un simple colis contenant des ressources pour l’enseignant. Dans un premier temps, le projet consistait à faire de chaque élève un expert sur une espèce d’oiseau de sa région. Toutefois, le processus a eu un tel impact sur ses élèves que Duane a décidé d’intégrer de la formation à l’environnement dans presque toutes ses matières. Sa façon de procéder est la suivante : ses élèves écrivent une étude comparative sur leur espèce, ils construisent ensemble des maisons d’oiseaux et en calculent la superficie. Chacun doit lire un chapitre de Strange Companion — un livre sur les grues blanches, espèce en voie d’extinction — et partager ses nouvelles connaissances avec ses camarades.
« Le fait de lire et d’écrire leur montre comment les scientifiques partagent leurs connaissances avec une collectivité élargie. Lorsqu’on assemble les détails de chaque scientifique, on obtient une histoire qui raconte le monde. »
Chaque année, Duane emmène ses élèves à l’Observatoire d’oiseaux de Long Point, en Ontario. Cet observatoire a été créé par Études d’oiseaux Canada. Des chercheurs y baguent des oiseaux depuis cinquante ans. Accompagnés de scientifiques, les élèves apprennent à utiliser des filets japonais pour attraper les oiseaux, à enregistrer des données biométriques et à baguer les oiseaux. Dans l’après-midi, ils participent au Programme de suivi des nids d’oiseaux, où ils comptent les œufs et les éclosions dans les nids d’hirondelles bicolores. Ces données seront utilisées par la suite par les scientifiques de l’organisme.
« Le fait de faire de la science et de voir que les scientifiques utilisent leurs données est très satisfaisant pour eux, raconte Duane. Ils prennent part à une vraie recherche sur le terrain. »
Son partenariat avec Études d’oiseau Canada est une preuve que la formation à l’environnement peut mener à des cours en plein air enrichissants, basés sur l’investigation. Ces cours permettent de créer un lien personnel entre les jeunes la science; ils démontrent à quoi peuvent ressembler les sciences à l’extérieur d’un laboratoire ou d’une salle de classe. Lorsque les étudiants interagissent avec des chercheurs professionnels dans un domaine — en posant des questions constructives, en recueillant des preuves dans la nature et en évaluant leurs découvertes —, la science devient réelle, pertinente, vivante!
C’est bien plus que leur intérêt pour la science qui est touché.
« Les élèves en tirent un réel sentiment d’appartenance; ils établissent un lien avec leur environnement local comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant. Il y a une valeur ajoutée à la science pratique », affirme Erin McClelland, directrice générale de la Nanaimo Science and Sustainability Society (NS3), un organisme sans but lucratif spécialisé dans les programmes d’enseignement dans la région de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique.
Grâce à la formation à l’environnement sur le terrain, les élèves voient leur intérêt pour les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) augmenter, de même que leur conscience environnementale. Nous voulons que les élèves comprennent et apprécient la nature, mais nous voulons surtout qu’ils développent les compétences nécessaires et pertinentes pour agir et devenir des gardiens de l’environnement et des citoyens du monde pour un monde meilleur.
Dans une société qui met l’accent sur des résultats quantitatifs et où les écoles doivent composer avec des budgets serrés, mettre en place un programme d’initiation à l’environnement en plein air par vos propres moyens peut représenter tout un défi. Élaborer un plan de cours qui va au-delà de la matière présentée dans les manuels scolaires exige du temps, des efforts, du soutien et du savoir-faire. Heureusement, vous pouvez demander de l’aide. Le travail en partenariat avec des organismes de recherche ou la participation à des projets de science citoyenne bien établis peuvent rendre la vraie science plus accessible aux enseignants et aux éducateurs du monde entier.
En travaillant pour Ecology Project International, un organisme sans but lucratif qui met des éducateurs et des élèves en relation avec des scientifiques évoluant sur le terrain, j’ai appris à reconnaitre les facteurs qui font le succès d’un partenariat. J’ai également interviewé des enseignants et des partenaires scientifiques pour recueillir leurs idées et les leçons qu’ils ont retenues de leurs expériences passées. Puis, j’ai résumé le tout dans un guide visant à vous aider à former vos propres partenariats.
D’abord, vos partenariats scientifiques ne doivent pas nécessairement ressembler à ceux de Duane. Ils peuvent prendre diverses formes, allant d’une simple consultation entre enseignants et scientifiques, à la présence en classe d’un scientifique de votre région, jusqu’à la participation des élèves à des projets de science sur le terrain, menés par des organismes locaux sans but lucratif, des universités, des zoos, des musées et des organismes gouvernementaux. Ils peuvent s’intégrer à toutes les matières scolaires et s’engager auprès de tous les groupes d’âge. Il existe probablement déjà des organisations dans votre municipalité, ou tout près, qui collaborent des scientifiques ou des experts dont le travail comprend un volet de sensibilisation du public.
Vanessa Halfich, qui enseigne les sciences de la Terre à l’école secondaire Florence-Carlton High School à Florence, au Montana, explique qu’elle a contacté le Bureau of Land Management aux États-Unis et d’autres organismes gouvernementaux lorsqu’elle a appris qu’ils étaient obligés de donner un certain nombre de journées d’enseignement.
« J’ai constaté que la plupart des organismes veulent intéresser les élèves à la formation à l’environnement. En effet, presque toutes les personnes que j’ai contactées ont accepté de travailler avec moi. Certaines ont organisé une sortie éducative, d’autres ont présenté un exposé. […] J’ai tissé de bonnes relations au fil des ans. »
Les organismes gouvernementaux, comme le USDA Forest Service aux États-Unis, ont généralement un employé responsable de faire de la sensibilisation, et parfois même un scientifique qui travaille régulièrement avec le public. Par exemple, la division des eaux du Kentucky forme des groupes d’étudiants pour qu’ils recueillent des données sur la qualité de l’eau dans le cadre de son programme de surveillance des bassins hydrologiques. Sa division de la qualité de l’air enseigne comment surveiller la qualité de l’air par le lichen corticole. Selon les circonstances, le chercheur professionnel peut enseigner directement aux élèves sur le terrain, ou il peut former l’enseignant à le faire.
Après plusieurs partenariats, Vanessa a perfectionné son processus.
« Avant d’entrer en contact avec qui que ce soit, explique-t-elle, je fais une planification globale de mon semestre pour voir à quel moment je pourrais introduire un projet. Ensuite, je rédige un paragraphe détaillé pour expliquer ce que je cherche, ce que j’aimerais pour ma classe, par exemple un conférencier ou une expérience sur le terrain. »
Puisqu’un partenariat scientifique peut prendre de multiples formes, il est bon d’avoir une idée de ce que vous voulez accomplir lorsque vous vous adressez à un partenaire potentiel. Voulez-vous égayer votre cours de géologie? Y a-t-il une idée de base, liée à une discipline particulière et proposée par Next Generation Science Standards, que vous aimeriez aborder? Souhaitez-vous que vos élèves participent à une de leurs expériences scientifiques ou d’ingénierie, ou préférez-vous traiter d’autres normes scientifiques régionales? Ces questions, ainsi que vos intérêts généraux et ceux de vos élèves, constituent un bon point de départ.
L’un des aspects fascinants de collaborer avec une université et avec certains organismes sans but lucratif est que les résultats des projets scientifiques réalisés par vos étudiants et les données qu’ils recueillent seront analysés et utilisés pour approfondir nos connaissances sur la façon dont le monde fonctionne. Les universités exigent souvent que leur corps professoral fasse de la sensibilisation en lien avec leurs recherches. Certaines universités ont même introduit dans leurs recherches des composantes de science citoyenne auxquelles vos élèves pourraient participer, comme eBird de la Cornell University et le Portland Urban Coyote Project de la Portland State University.
Si, comme chez moi, il y a plusieurs organismes sans but lucratif dans votre collectivité, alors il y a une abondance d’organismes scientifiques et environnementaux. Gardez à l’esprit que vous pouvez aussi appeler un membre affilié de la North American Association for Environmental Education (NAAEE) de votre province pour obtenir de l’aide. (Seulement trois organismes canadiens sont affiliés à cet organisme américain, soit le Alberta Council for Environmental Education en Alberta, le Columbia Basin Environmental Education Network en Colombie-Britannique et le SaskOutdoors en Saskatchewan.) Melinda Wilder, professeure en éducation à la Eastern Kentucky University, mentionne qu’il est préférable d’appeler ou de rencontrer personnellement un partenaire potentiel, car un courriel est si facilement ignoré.
Comme vous l’avez probablement compris, ce ne sont pas toutes les occasions de partenariat qui peuvent convenir à vos élèves. La volonté de communiquer des connaissances scientifiques et l’aisance requise pour le faire devant un groupe d’âge correspondant à celui de vos élèves sont essentielles à la réussite du projet.
Lors d’un cours sur l’écologie de la faune à Yellowstone — donné en partenariat
avec l’organisme sans but lucratif Ecology Project International —, Melinda Wilder a été impressionnée par l’habileté avec laquelle un des chercheurs a immédiatement réussi à faire participer les élèves du secondaire à la recherche. Il a demandé ce que chaque élève connaissait déjà des bisons, tout en leur posant des questions sur leur propre vie. En permettant ainsi aux élèves de découvrir des liens entre eux et les bisons, il a suscité leur intérêt pour le sujet et gagné leur confiance.
Consciemment ou non, ce chercheur utilisait une méthode d’apprentissage constructiviste. Cette méthode permet de prendre conscience des connaissances que l’on a déjà sur un sujet et démontre comment elles sont actualisées, modifiées ou raffinées par une nouvelle expérience — cela fait partie intégrante de la construction du savoir. Selon Wilder, la façon dont le chercheur a lié la recherche à la vie des élèves a fait toute la différence sur l’attention qu’ils lui ont prêtée et sur leur façon de percevoir ses propos.
Dans ce scénario, le partenaire s’était assuré, bien avant l’arrivée du groupe, que les connaissances et la personnalité du chercheur convenaient au groupe d’âge des élèves et au sujet traité. Toutefois, dans le cas d’un nouveau partenariat, il peut être pertinent d’inviter d’abord l’expert à présenter un exposé en ligne ou à venir à l’école donner une leçon en préambule aux activités qu’il souhaite réaliser avec les élèves. C’est une bonne façon de voir comment il arrive à captiver les élèves avant de lui proposer une activité complète.
Même si Vanessa Halfich a réussi à trouver une myriade de partenaires stimulants, les coûts de déplacement et d’équipement ont toujours été son plus grand obstacle, son école ne pouvant les assumer. Vanessa adore travailler avec le Bureau of Land Management et le Fish Wildlife and Parks, mais elle a compris que les organismes gouvernementaux n’aident pas à financer les projets, alors que les organismes sans but lucratif avec lesquels elle a travaillé ont payé pour le transport et fourni l’équipement. Pour sa classe Rocky Mountain Ecosystems, elle a obtenu une subvention qui lui a permis de couvrir ces frais la première année, soit 1 200 $. Elle a également eu la chance d’étudier l’équipement utilisé par le U.S. Forest Service, comme les trousses d’enseignement et les raquettes, et de demander des rabais pour enseignants aux détaillants d’équipement de plein air.
En Ontario, Duane a eu la chance d’obtenir une subvention du ministère de l’Éducation couvrant les frais de déplacement pour les activités scientifiques sur le terrain, jusqu’ à concurrence de 500 $. De plus, les fonds recueillis par l’Association de parents et enseignants (APE) de l’école ont permis de payer les frais d’inscription de 10 $ par élève pour participer à la journée de science citoyenne d’Études d’oiseaux Canada. Sans financement, le programme couterait 30 $ par élève, soit un prix que la plupart des parents de ses élèves ne sont pas prêts à payer.
En tant que partenaire sans but lucratif d’un large éventail de programmes de formation à l’environnement, Erin, de la Nanaimo Science and Sustainability Society, en Colombie-Britannique, partage les conseils suivants : « Soyez persévérant. Notre organisme a des ressources limitées. Nous sommes heureux de créer des partenariats, mais il faut parfois du temps pour les concrétiser. Ratissez large — parlez à plusieurs personnes afin de trouver le partenaire qui vous convient. Il arrive parfois que nous puissions suggérer un partenaire qui a la bonne expertise. »
Si vous éprouvez beaucoup de difficulté à trouver un partenaire local qui répondra à vos besoins, j’ai deux autres suggestions pour vous : consultez le gestionnaire de listes de la Citizen Science Association pour trouver des projets dans lesquels vous impliquer, ou encore, pensez à sortir de votre région et à transformer ce cours sur l’environnement en un voyage de recherche de plusieurs jours. Il existe plusieurs
organismes à but ou sans but lucratif, comme l’Ecology Project International, dont la spécialité est de faire participer les enseignants et les étudiants à des programmes de formation à l’environnement aux États-Unis, au Canada et partout dans le monde.
Le contact direct avec des scientifiques et les activités scientifiques sur le terrain peuvent complètement modifier ou renouer la relation d’un élève à la science. De plus, un partenaire formidable peut vous aider à rehausser votre programme d’études en environnement, à respecter les normes scientifiques nationales ou régionales et à augmenter votre influence sur la vie des étudiants.
Dans une entrevue récente, Scott Pankratz, ancien enseignant en science et directeur général de Ecology Project International, a expliqué que les activités scientifiques sur le terrain permettent aux élèves d’acquérir bien plus qu’un savoir scientifique.
« Les élèves prennent conscience d’eux-mêmes et de leurs capacités, explique-t-il. Ils n’obtiennent pas nécessairement les meilleures notes, mais ces activités leur permettent de découvrir qu’ils sont de bons meneurs, parce qu’ils aident les autres élèves. Ils peuvent aussi se trouver des talents cachés, et constater que cet environnement d’apprentissage les met en valeur. Ensuite, ils rentrent chez eux et font valoir leurs compétences de différentes façons dans leur propre collectivité. »
L’essence de la conscience environnementale se résume à ceci : l’élève acquiert de nouvelles connaissances — une nouvelle attitude — et les compétences nécessaires pour changer ses propres actions afin d’être un gardien de l’environnement tout au long de sa vie. Alors, lancez-vous. Voyez comment introduire des activités sur le terrain à votre programme d’études. Ciblez des partenaires potentiels et appelez-les. Soyez aptes à discerner la compétence des experts et à évaluer votre budget, puis regardez vos élèves briller.
Jessica Zephyrs, agente de protection de la nature et auteure passionnée, travaille pour l’Ecology Project International (EPI) aux États-Unis, un organisme sans but lucratif basé dans la ville de Missoula, au Montana. Cet organisme offre des programmes de formation à l’environnement qui font participer les jeunes de cinq pays des Amériques à la science de la conservation dans leur propre cour. Les élèves travaillent en collaboration avec des scientifiques pour protéger les espèces vulnérables et acquérir les compétences nécessaires en pensée critique pour devenir les prochains spécialistes de la conservation. Elle aimerait remercier Vanessa Halfich de la Florence-Carlton High School, Duane Gray de la Russell Reid Elementary, Erin McClelland de la Nanaimo Science and Sustainability Society et Melinda Wilder de la Eastern Kentucky University pour avoir partagé leurs histoires et leurs idées.
Denise Latreille est étudiante de 3e année en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke.
Notes
1.Études d’oiseaux Canada a des bureaux et des projets de science citoyenne partout au Canada. www.birdscanada.org
2.« Greening STEM Toolkit, » https://www.neefusa.org/resource/greeningstem-educator-toolkit; « Planting the Seeds of STEM Learning » (2015); National Wildlife (World Edition), 53(6), 44; “Environmental Education and STEM” http://changetheequation.org/blog/guest-blog-connecting-environmental-education-and-stem
3. http://water.ky.gov/wsw
4. http://ebird.org/content/ebird
5. http://www.portlandcoyote.com/
6. http://www.birds.cornell.edu/citscitoolkit
7. https://www.ecologyproject.org/
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