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C’est le temps de parler des tortues!

Par Catherine E. Matthews et Aceng Ruyani
Traduction par Catherine Gill

Tous sont fascinés par les tortues d’eau douce. Après tout, elles sont de si curieuses créatures, notamment à cause de leur carapace dure constituée de côtes et de vertèbres, et présentent des comportements des plus surprenants. Ces animaux sont généralement inoffensifs (les tortues serpentines peuvent cependant sembler agressives; elles se défendent férocement lorsqu’elles sont prises au piège ou capturées). Ils vivent sous l’eau, mais doivent faire surface pour respirer. Combien de temps une tortue dort-elle? Combien de temps peut-elle hiberner? Qu’arrive-t-il aux tortues vivant dans un climat très froid? (Certaines tortues gèlent, mais ne meurent pas.) Les tortues d’eau douce sont omniprésentes dans les habitats humides partout dans le monde et sont aujourd’hui exposées à de grands risques. Elles sont en fait l’espèce vertébrée la plus menacée de la planète.

Dans plusieurs pays, la survie des tortues est en péril à cause des problèmes suivants : 1) leur capture pour l’apprivoisement, la médecine ou l’alimentation (les tortues sont surtout exportées en Asie, tout particulièrement en Chine); 2) la perte, la dégradation ou la fragmentation de leur habitat (dues à la déforestation, au passage à l’agriculture intensive, aux aménagements résidentiels et aux développements commerciaux, aux zones de transmigration et à l’exploitation forestière); 3) la pollution de l’eau (due à l’envasement et aux polluants provenant des eaux usées, des engrais, de l’agriculture et des usines); 4) la compétition avec les espèces envahissantes de tortues (y compris les espèces relâchées du commerce des animaux de compagnie); 5) la mortalité sur les routes; 6) les maladies; 7) la sécheresse; et 8) les prédateurs. Dans le présent article, nous aborderons principalement la capture des tortues et la menace représentée par les espèces envahissantes de tortues. Notre objectif est de partager nos travaux scientifiques et éducatifs sur les tortues aux États-Unis (en Caroline du Nord) et en Indonésie (à Bengkulu, à Sumatra) afin d’encourager les enseignants à informer leurs élèves de la situation critique des tortues d’eau douce.

Pour faciliter la compréhension de ces circonstances, nous étudierons une espèce de tortue indigène des États-Unis : la tortue de Floride (Trachemys scripta elegans). Lorsque les adultes d’aujourd’hui étaient eux-mêmes des enfants, plusieurs classes d’écoles et domiciles possédaient des jeunes tortues de Floride comme animal de compagnie, dans de petits vivariums. Ces petites créatures grandissaient alors pour devenir de plus grosses tortues (si elles étaient extrêmement chanceuses); plusieurs jeunes enfants ont cependant eu une intoxication alimentaire (salmonellose) après avoir joué avec les petites tortues ou touché à l’eau des vivariums, puis en se mettant les mains dans la bouche sans les avoir lavées au préalable. Environ 300 000 cas de salmonellose étaient déclarés chaque année avant que le Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques adopte en 1975 une loi interdisant la vente de tortues dont la carapace mesurait moins de 10 cm (4 po). Les bébés tortues dans les salles de classe aux États-Unis sont donc choses du passé.

Certaines jeunes tortues de Floride ont grandi et, devenant trop grosses pour leurs propriétaires, elles ont été relâchées dans des habitats extérieurs locaux, qu’ils soient appropriés pour leur espèce ou non; ces tortues représentent maintenant une espèce envahissante dans plusieurs États américains, et sont également considérées comme une des espèces les plus envahissantes au monde. Les tortues de Floride, natives du bassin hydrographique du Mississippi, allant de l’Illinois au golfe du Mexique, sont relativement peu coûteuses, petites et faciles d’entretien. Dans l’État de Washington, elles représentent une menace pour les tortues de l’Ouest, une espèce en voie de disparition. Dans le sud des États-Unis, elles nuisent à l’intégrité génétique des Trachemys scripta scripta en se reproduisant avec elles. Elles ont été bannies des pays de l’Union européenne à cause du mal qu’elles occasionnaient aux cistudes d’Europe; toutefois, dans le bassin hydrographique du Mississippi, soit le seul endroit où elles devraient bel et bien vivre, elles sont en voie d’extinction (1).

Les tortues de Floride sont même parvenues à s’établir en Asie du Sud-Est, et sont considérées comme une espèce envahissante en Indonésie. Cet animal « de compagnie » est présent dans toutes les provinces sumatranaises, y compris Bengkulu, et ce, même dans les quartiers résidentiels, car certains propriétaires qui ne désiraient plus s’occuper des tortues les ont libérées dans la nature.

Élèves se servant de verveux pour capturer des tortues

Collecte de données sur les tortues aquatiques

Il y a longtemps de cela, les Chinois mangeaient leurs propres tortues, mais, vers la fin des années 1980, lorsque leur monnaie est devenue échangeable sur le marché international, ils ont également commencé à consommer les tortues des autres. Les 65 espèces présentes en Asie du Sud-Est, soit le quart des espèces dans le monde, sont gravement menacées (1).

Les tortues de Floride, espèce menacée indigène des États-Unis, sont non seulement capturées et exportées en Chine, mais elles sont également élevées à des fins commerciales dans ce pays, leur nombre pouvant atteindre des dizaines voire des centaines de milliers par année. Elles sont principalement élevées comme animaux de compagnie, mais le nombre de Trachemys scripta elegans d’élevage sur les marchés alimentaires en Asie de l’Est est de plus en plus élevé (2).

Les 29 espèces de tortues marines et terrestres indigènes de l’Indonésie constituent une partie importante de la biodiversité du pays, mais, au cours de la dernière décennie, le commerce des tortues a connu une hausse considérable. Une partie de ce commerce concerne la consommation intérieure, mais la plupart des tortues sont exportées dans des pays d’Asie de l’Est, et plus particulièrement en Chine, pour servir de nourriture.

Sumatra, en Indonésie, compte sur son territoire 13 espèces indigènes de tortues terrestres et d’eau douce; un grand nombre d’entre elles sont exportées de quelques emplacements à Sumatra. Chaque semaine, plus de 25 tonnes de tortues vivantes sont exportées vers la Chine, Hong Kong et Singapour par deux entreprises établies dans les provinces de Sumatra du Nord et de Riau (3). Aucune entreprise ne pratique l’élevage commercial de tortues en Indonésie; toutes les tortues sur le marché ont donc été capturées dans la nature, ou encore importées dans le pays.

L’initiation au respect de la nature, et plus particulièrement à la conservation des tortues aquatiques, est cruciale pour soutenir les efforts visant à maintenir l’équilibre écologique de ces animaux dans tous les pays et pour satisfaire les besoins nutritionnels des peuples du monde entier. Bien que les tortues représentent une source de nourriture depuis des années, la capture d’un nombre trop important de ces animaux dans la nature pourrait engendrer des répercussions catastrophiques sur toutes les espèces de tortues. En effet, les espèces sauvages de tortues aquatiques dépendent des adultes matures pour leur reproduction, car elles sont caractérisées par une maturité sexuelle tardive, un faible taux de reproduction, un taux élevé de mortalité des œufs et des jeunes, ainsi qu’une vulnérabilité au piégeage (4).


Faits importants

Une tortue Amyda cartilaginea (une espèce à carapace molle envahissante) trouvée à Rejang, dans le district du Lebong, à Bengkulu, en Juin 2009

Les tortues d’eau douce vivent sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, plus précisément dans les rivières, cours d’eau, bassins, marais, estuaires et tourbières. Recouvertes d’une carapace dure, elles possèdent cinq doigts reliés par différents degrés de palmure. Elles pondent leurs œufs sur la terre ferme, mais passent la majorité de leur vie dans un habitat aqueux. Il est facile d’apercevoir les tortues d’eau douce, car elles sortent leurs narines à la surface de l’eau pour respirer. Elles sont de toutes formes et de toutes grandeurs, des jeunes tortues de Floride aussi petites que la paume de la main aux espèces à carapace molle envahissantes d’Indonésie, qui peuvent peser plus 70 kg!


Sensibilisation

La sensibilisation des élèves au sujet des tortues aquatiques a pour principaux objectifs la reconnaissance des espèces communes de tortues et de leurs habitats à l’échelle locale et mondiale, la connaissance des menaces pesant sur des espèces de tortues à l’échelle locale et mondiale, ainsi que la responsabilisation grâce à la compréhension des gestes posés par des agents de protection de la nature pour protéger les tortues dans le monde entier.

Travaux sur le terrain

Nous avons travaillé avec des élèves de tous âges, à la fois dans des habitats naturels et en classe, pour étudier les tortues aquatiques. Le piégeage de ces animaux est relativement simple, peu coûteux et permet aux élèves de les prendre dans leurs mains, ce qui rend possible la collecte de données telles que les mesures morphométriques, le poids et le sexe des spécimens. Les pièges, qu’il est possible de se procurer chez Memphis Net and Twine (www.memphisnet.net), permettent aux enseignants de collaborer avec les élèves pour concevoir des études portant sur les préférences alimentaires, les microhabitats, les moments de la journée consacrés à une activité en particulier, etc. Les élèves peuvent donc acquérir de l’expérience avec de vrais animaux, des équipements et des procédures scientifiques ainsi que des travaux sur le terrain, y compris la collecte de données et la production de rapports, et ce, dans des habitats extérieurs. Toutes les tortues capturées sont mesurées et marquées (nous gravons un code d’identification unique sur les écailles marginales lorsque nous sommes sur le terrain), photographiées, puis relâchées au point de capture. Nous téléchargeons finalement toutes les informations dans une base de données de sciences citoyennes comme HerpMapper (www.herpmapper.org).

Nous encourageons les élèves à effectuer des recherches et à établir l’inventaire biologique de divers habitats aquatiques. Nous leur apprenons à capturer et à manipuler des tortues aquatiques de façon sécuritaire, ainsi qu’à poser et à utiliser les pièges destinés à ces animaux, en plus d’une panoplie d’outils de mesure (compas, échelles numériques, balances à ressort, etc.). Lorsque nous nous trouvons sur le terrain, nous tentons de déceler ce qui représente une menace aux environnements aquatiques (lacs, cours d’eau, étangs temporaires et autres milieux humides) et aux tortues semi-aquatiques qui y habitent; nous discutons ensuite des solutions qui élimineraient ces menaces. Les élèves apprennent à déterminer l’espèce et le sexe de tortues semi-aquatiques à l’aide de diverses caractéristiques physiques et comportementales.

Si le piégeage se révèle impossible, vous pouvez étudier les tortues dans la nature. Servez-vous de jumelles afin d’observer les spécimens sans les effrayer. Filmez leurs mouvements sur la terre ferme et dans l’eau pour analyser leurs habitudes de déplacement. Tentez de déterminer combien de temps une tortue peut rester immergée avant de devoir refaire surface pour respirer. Certaines espèces, comme les tortues serpentines, laissent derrière elles des traces de pas intrigantes; suivez-les.

Cours en classe

En plus d’effectuer des travaux sur le terrain, nous donnons des cours sur les tortues aquatiques en classe. Habituellement, nous commençons par présenter une variété de tortues vivantes aux élèves pour qu’ils identifient les espèces à l’aide d’un guide de poche ou d’une clé dichotomique que nous avons fabriquée. Celle-ci comporte seulement les espèces de tortues que les élèves pourraient apercevoir ou capturer localement. Si l’observation de tortues se révèle impossible, servez-vous de photographies trouvées dans un guide de poche ou sur Internet, de reproductions de tortues en plastique offertes sur le marché ou en plâtre de Paris peintes à la main, ou encore de carapaces de tortues préservées.

Nous effectuons généralement les manipulations, la prise des mesures et du poids ainsi que la consignation des données dans la salle de classe, car il y fait plus frais et les tortues se déplacent donc plus lentement. Les pratiques en classe permettent ensuite d’obtenir de meilleurs résultats sur le terrain. Après les travaux sur le terrain, nous faisons un retour sur les activités réalisées et renseignons les élèves au sujet des pressions environnementales touchant les espèces de tortues à l’échelle locale et mondiale.

Nous proposons divers projets d’art en classe. Fabriquez et utilisez des costumes en classe, de même qu’à des événements publics. Demandez aux élèves de former des petits groupes et d’écrire une pièce de théâtre, puis de la présenter devant toute la classe. Écrivez des scénarios (voir l’exemple ci-dessous) afin que les jeunes en apprennent davantage au sujet des tortues, tout en partageant les informations acquises avec le public :

Bonjour, je suis Pam/Paul, une tortue peinte. Je suis la plus jolie des tortues semi-aquatiques en Caroline du Nord. (« Semi-aquatique » signifie que je passe la plupart de ma vie dans l’eau, mais que je ponds mes œufs sur la terre ferme… mais bon, je suis bel et bien un reptile.) Je mange des plantes aquatiques, des animaux aquatiques et des choses mortes dans l’eau. Les jeunes tortues peintes peuvent geler, mais survivre; je suis donc très habile pour m’adapter. J’adore prendre des bains de soleil; il est donc fréquent de m’apercevoir sur un rondin par une belle journée chaude et ensoleillée.

Nous avons confectionné et acheté des marionnettes, puis nous les avons utilisées en classe. Nous avons ensuite demandé aux élèves d’écrire et de partager des spectacles de marionnettes. (Consultez les scénarios pour spectacles de marionnettes sous The HERP Project (le projet HERP) à l’adresse theherpproject.uncq.edu/puppet-stories/.)

Élève portant un costume de tortue indonésienne

Nous préparons des moules de tortues aquatiques en plâtre de Paris et fournissons des guides de poche pour que les élèves peignent leur propre tortue et lui donnent une apparence réelle. Nous avons aussi rédigé une variété de fiches de renseignements à partager avec le public, tout particulièrement avec les enseignants et les élèves de la maternelle à la 12e année (16-17 ans).

Aux États-Unis, l’éducation sur les tortues se fait de manière informelle, souvent au moyen de cours et ateliers offerts l’été ou les fins de semaine aux enseignants, aux élèves ou au grand public.En Indonésie, en revanche, on a adopté une approche officielle. Les enseignants ont reçu une formation lors d’ateliers portant sur la conservation des tortues et ont dû concevoir des modules d’enseignement et d’apprentissage qui ont par la suite été évalués pour différents niveaux. Idéalement, l’éducation sur les tortues devrait se faire des deux façons. L’enseignement sur les tortues est d’actualité et d’une très grande importance. La Turtle Survival Alliance (http://www.turtlesurvival.org/) offre d’excellentes ressources et gère une installation d’élevage pour les espèces de tortues menacées du monde entier. Certains affirment que nous connaissons présentement la crise la plus importante chez les reptiles depuis l’extinction des dinosaures. Personne ne veut être responsable de la disparition des tortues qui parcourent nos terres, nagent dans nos rivières, cours d’eau, lacs et bassins depuis plus de 220 millions d’années. Tout comme les plantes et les animaux, les tortues jouent un rôle unique, à découvrir. Et comme l’a remarqué Aldo Leopold, un environnementaliste connu, seule une personne ignorante se demanderait, en parlant d’un animal ou d’une plante, « À quoi bon? ». Nous ne voyons presque plus de tortues dans les salles de classe, mais peut-être devraient-elles y faire leur retour.


Le projet HERP

Un vaste curriculum avec vidéos, photographies et fiches techniques prêtes à utiliser peut être téléchargé gratuitement sur le site Web du projet :http://theherpproject.uncg.edu/curriculum/the-semi-aquatic-turtles-project/


Catherine E. Matthews (cematthe@uncg.edu) est professeure émérite et enseigne la formation à l’environnement et les sciences à l’Université de Caroline du Nord à Greensboro. Elle était la chercheuse principale du projet HERP (Herpetology Education in Rural Places and Spaces [enseignement de l’herpétologie en milieu rural]), un programme d’enseignement informel des sciences financé par la National Science Foundation. Aceng Ruyani (ruyani@unib.ac.id) est professeur agrégé et enseigne la biologie du développement et l’initiation au respect de la nature à l’école des études supérieures de l’enseignement des sciences, à l’Université Bengkulu, en Indonésie. Matthews et Ruyani collaborent sur des projets d’enseignement de l’herpétologie depuis 2012. Ils ont obtenu des fonds pour financer leur projet de recherche, qui vient en appui au programme « UNIB Campus: A Safe Home for Turtles », une nouveauté en Indonésie. Pour plus de détails, consultez l’adresse suivante :

http://sites.nationalacademies.org/pga/PEER/PEER-science/PGA_168049.

Catherine Gill est étudiante de 3e année en traduction professionnelle à l’Université de Sherbrooke.


Notes

1. Williams, T. (1999). The Terrible Turtle Trade. Audubon 44, 101.

2. German CITES Scientific Authority (Federal Agency for Nature Conservation), Federal Ministry for the Environment, Nature Conservation and Nuclear Safety, Prepared by TRAFFIC South-east Asian Freshwater Turtles. An Information Paper for the 17th Meeting of the CITES Animal Committee, Hanoi, Viet Nam, 30 July to 3 August 2001.

3. Shepherd, C. (2000). Export of Live Freshwater Turtles and Tortoises from North Sumatra and Riau, Indonesia: A Case Study. Chelonian Research Monographs, p. 112-119.

4. Cross, S. (2004). Personal Communication. North Carolina Wildlife Resources.

Pour voir la version PDF, cliquez ici s’il vous plait

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