Un déclic pour lutter contre le syndrome du manque de nature

Par Aimee Keillor
Traduit par Maria Romero
Les vendredis matin, mes élèves de cinquième année se réunissent pour discuter des activités qu’ils ont planifiées pour la fin de semaine. Ils se réunissent à nouveau les lundis matin pour faire un suivi. Cette fin de semaine, Mathew jouera deux parties de hockey et Billy six parties de basket-ball, Katie participera à une compétition de natation, Alex donnera quelques prestations musicales avec son groupe, Shea et Drew écouteront leurs émissions préférées et Zack a hâte de jouer à Minecraft avec un ami en ligne.
Cela fait deux ans que j’écoute les élèves parler de leurs loisirs en tant qu’adjointe d’enseignement dans une école primaire de la banlieue de Chicago,. J’ai remarqué que, d’une semaine à l’autre, la routine des élèves varie peu. Il y a des décennies, lorsque j’étais enfant, nous passions nos temps libres à jouer à l’extérieur ou à explorer les forêts voisines. Aujourd’hui, il est évident que le temps de loisir dont les enfants disposent dépend des nombreux engagements liés au sport ou à la musique et de leur forte tendance à favoriser des activités liées aux technologies. Les enfants sont accrochés à la technologie; elle fait partie de leur vie de tous les jours, à l’école comme ailleurs. À l’école primaire où j’enseigne, les élèves utilisent régulièrement des ordinateurs pour réaliser leurs travaux scolaires. Plusieurs effectuent même leurs lectures quotidiennes sur des liseuses, des tablettes ou d’autres appareils électroniques. De grands tableaux blancs interactifs de marque Promethean, munis d’écrans tactiles reliés à un ordinateur, sont aussi utilisés dans chaque classe.
Dans la région de Chicago, les occasions de profiter de la nature sont nombreuses. Nous sommes entourés de la plus vaste réserve forestière du pays. Les parcs verts et les paysages luxuriants sont abondants dans les environs de notre école. Pour mes élèves, ce voisinage est un avantage pour se rapprocher de la nature. Toutefois, étant donné que les enfants passent de plus en plus de temps à jouer avec leurs gadgets électroniques, tout en respectant un horaire réglé à la minute près, il est clair que leur relation avec la nature se dégrade de manière importante. Cette situation est aggravée par des horaires scolaires qui limitent le temps consacré aux activités pratiques et aux contacts avec la nature. Ce nouveau mode de vie n’est pas exceptionnel. Au contraire, il est de plus en plus fréquent chez les enfants vivant en Amérique du Nord. La dissociation constante et généralisée des enfants de leur environnement naturel est devenue un fait inquiétant. L’auteur Richard Louv a appelé ce phénomène de déconnexion le syndrome du manque de nature; plusieurs effets négatifs de type émotionnel, physique et cognitif lui seraient attribués. Bien que l’ampleur de ce phénomène soit grandement attribuable à la technologie, il est possible que cette dernière fasse aussi partie de la solution.
Puisque les enfants valorisent les gadgets électroniques, employer ces appareils comme outils pédagogiques pourrait les motiver et favoriser leur participation dans certaines activités d’apprentissage. Intégrer la technologie aux activités extérieures de l’école pourrait servir à rapprocher les enfants de la nature. Nul besoin d’une technologie avant-gardiste ou compliquée pour donner le goût aux enfants d’aller à l’extérieur; une technologie simple et accessible comme l’appareil photo numérique suffit.
Il y a de nombreux exemples d’écoles, y compris la mienne, qui ont créé des activités ou des programmes axés sur la nature. En utilisant des appareils photo numériques, on peut combattre le feu par le feu. Ces programmes couvrent plusieurs domaines d’enseignement, de l’art à la science, en passant par les langues et la formation en technologie. Ils ont été mis en place avec succès auprès des enfants de tous âges, peu importe leurs aptitudes. Ces projets d’abord simples sont devenus des activités incroyablement complexes, touchant ou intégrant même des collectivités et des publics en dehors de l’école. L’objectif de cet article est de décrire certains de ces projets, d’expliquer leur importance et de vous fournir des idées d’activités photographiques à explorer avec vos élèves.
La photographie numérique est très répandue chez les élèves, surtout en raison de l’omniprésence des téléphones intelligents munis d’un appareil photo. Pour les élèves qui ne disposent pas d’appareil photo ou de téléphone intelligent, des appareils photo compacts de base, peu dispendieux, peuvent être achetés et partagés avec le groupe. L’utilisation de ces appareils offre aux enfants d’habiletés et d’âges variés plusieurs options d’immersion dans la nature. Vu sous cet angle, un appareil électronique banal peut devenir un outil novateur contribuant aux initiatives environnementales modernes et au rapprochement avec la nature.

Inclure la nature au programme scolaire pourrait aussi avoir une incidence très positive sur les enfants. Les chercheurs ont découvert que l’exposition aux activités d’apprentissage impliquant une interaction directe avec la nature améliore la santé des élèves tout en augmentant leur pensée critique et leur habileté à prendre des décisions et à résoudre des problèmes. Elle augmente aussi la créativité, la coopération et l’autodiscipline. Ces élèves réussissent le mieux à l’école et sont, en général, les plus intelligents et les plus heureux. De plus, le fait de vivre une expérience éducative dans l’environnement favorise une attitude positive envers celui-ci, un désir de le protéger et de le respecter, et encourage par le fait même une communion avec la nature. Les écoles qui adoptent ce genre de programmes créent des environnements sains pour les enfants et leur permettent de tisser des liens avec la nature.
Un des avantages de photographier la nature est que cette activité traverse facilement les barrières du langage et de l’habileté. Blake donne un exemple intéressant de l’école The Governor Morehead School concernant l’utilisation de l’appareil photo pour aider des non-voyants de la Californie du Nord à interagir avec la nature. Dans ce projet, des élèves du primaire et du secondaire présentant des problèmes de vision variés, certains étant même aveugles, ont participé à une séance de photographie en utilisant tous les autres sens. Ainsi, certains élèves ont utilisé l’odeur des fleurs ou les couleurs vives diffuses pour se guider, tandis que d’autres ont cherché le bourdonnement des insectes ou le bruit de la pluie tombant dans une mare d’eau. Cet exercice, efficace et apprécié, a permis d’améliorer l’orientation des élèves et les habiletés liées à la mobilité et l’acuité visuelle. Il a également été utile pour les amuser, les aider à se détendre et fortifier leur lien avec la nature.
Les activités dans la nature qui intègrent la photographie fonctionnent bien dans le cadre d’un programme pluridisciplinaire. Par exemple, McGinnis, talentueux animateur de séminaires et spécialiste des sciences à l’école Arcola Intermediate School de Pennsylvanie, décrit un projet réalisé par ses élèves qui touche à différents aspects de la science, de la langue et de la technologie. Les élèves ont participé activement à des enquêtes environnementales dans l’écosystème de leur cour d’école. Ils ont choisi des points d’intérêt écologique, créé des pages Web dynamiques (vidéo, baladodiffusion, texte et photographie) touchant ces points et ils ont intégré cette information à un sentier d’interprétation à l’aide de brèves explications inscrites sur des panneaux d’information. Cette activité a permis de donner à la collectivité de l’information sur l’écologie locale, tout en intéressant les élèves à la nature.
Dernièrement, j’ai dirigé à l’école où j’enseigne une activité parascolaire qui consistait à tenir un journal sur la nature en contexte hivernal. Même si mon petit groupe d’élèves était déjà motivé par l’exploration et la découverte de la nature, j’ai réussi à améliorer cette activité grâce à une séance de photographie à l’extérieur. Après une courte leçon et l’examen de différentes façons d’utiliser la photographie dans l’étude de la nature (comme forme d’art, comme un dossier scientifique, comme une manière de raconter et d’illustrer une histoire ou de s’en souvenir), j’ai amené les élèves à l’extérieur afin de leur faire vivre une expérience différente avec la nature. Nous nous sommes lancés à la recherche d’objets intéressants à photographier. Charlotte, une élève de troisième année, a été séduite par les plus petits et les plus grands conifères de la propriété. Karenna, une élève de première année, a trouvé une pomme de pin dans une branche qui l’a incitée à prendre un gros plan. Sa camarade de classe, Gen, a ciblé un arbre rempli d’aiguilles vertes. Beau, un élève de cinquième année, a conclu que le polypore en haut d’un arbre était trop loin pour être pris en photo, il s’est donc concentré sur la lune qu’il pouvait voir en pleine journée juste au-dessus du plus grand conifère que Charlotte aimait tant. Les photos prises ce jour-là ont été collées dans les journaux des enfants en guise de souvenir de cette journée de classe froide et neigeuse de fin de février.
Durant une autre activité d’une heure tenue après les classes, j’ai axé mon enseignement sur des guides pratiques. Puisque l’activité a eu lieu en hiver, j’ai utilisé des plantes que j’avais déjà fait sécher entre des feuilles de papier et j’ai trouvé des photos de la version vivante de ces plantes sur Internet. Les élèves ont utilisé ce matériel pour créer un guide pratique sur les plantes de notre jardin. Si vous réalisez l’activité durant la saison chaude, ou dans une région où le climat est favorable aux plantes durant toute l’année, les élèves peuvent eux-mêmes photographier les espèces végétales qui se trouvent dans leur cour d’école, recueillir des spécimens pour les faire sécher, chercher de l’information sur leurs trouvailles pour finalement créer leur propre guide.
Lors d’une autre activité, j’ai créé une page Facebook de groupe consacrée aux photos de la nature prises par les élèves dans leur cour. J’ai ensuite demandé aux enfants de mes amis de différents États à jeter un coup d’œil dans leur cour ou dans les parcs de leur voisinage pour trouver des paysages intéressants à photographier. Les résultats ont été fantastiques, car les élèves de la maternelle au secondaire ont vraiment observé leur environnement et ont découvert toutes sortes de merveilles à travers l’objectif de leur un appareil photo. De belles photos de nids d’oiseaux, de cailloux, de cosses et d’écorces d’arbres sont venues embellir la collection. C’était fascinant de comparer les images des différentes régions et de constater les disparités dans les types d’environnements naturels où les enfants ont réalisé leur expérience. Cette activité pourrait facilement s’adapter à un cadre scolaire en utilisant un forum de partage de photos.
Il est évident que l’idée de se sensibiliser à la nature à l’aide d’un appareil photo numérique offre beaucoup de souplesse et de nombreuses possibilités. Malgré l’horaire chargé d’une classe, si vous êtes créatif et que vous avez de l’ouverture pour intégrer des méthodes d’enseignement et d’apprentissage non traditionnelles, vous allez voir qu’il y a plusieurs façons d’intégrer la photographie de la nature à une journée scolaire. Voici quelques suggestions où de simples séances de photographie dans la cour d’école peuvent être transformées pour servir d’autres buts et contribuer également à atténuer le syndrome du manque de nature.

L’art du langage
Les enfants peuvent utiliser des photos pour illustrer les poèmes et les récits qu’ils écrivent, qu’ils soient fictifs ou non. Grâce à la technologie, les élèves peuvent créer une histoire en utilisant uniquement des photos numériques et la compléter par l’ajout de musique ou de narration en utilisant des logiciels comme iMove. Les photos pourraient même être transformées en bande dessinée grâce à des logiciels comme Comic Life. De plus, les enfants pourraient créer des albums pour documenter leurs activités en nature à l’aide de PowerPoint, de Photoshop ou d’un site Web de scrapbooking électronique.
Les arts visuels
L’observation de la beauté artistique de la nature à travers l’objectif d’un appareil photo fait ressortir des couleurs, des textures et des formes fascinantes, des combinaisons que nos yeux ne perçoivent pas au premier regard. Pour poursuivre la créativité en classe, les élèves peuvent prendre les photos en noir et blanc et les colorier, ou les utiliser pour la réalisation de collages ou d’œuvres d’art variées.
La science
Les élèves peuvent créer des collections numériques d’éléments naturels, comme des fleurs, des insectes ou des empreintes d’animaux à partir de leurs photos. Ils peuvent aussi les utiliser pour documenter les étapes de leurs recherches dans la nature sur les pollinisateurs, les décomposeurs ou sur le cycle de l’eau. Finalement, les élèves peuvent utiliser les photos d’empreintes, d’excréments, de feuilles endommagées, d’écorces mâchées ou de nids en guise de preuve de la présence d’animaux ou d’insectes.
Les sciences citoyennes
Il y a différents projets de science citoyenne en ligne auxquels les élèves pourraient participer à l’école.
- Les élèves pourraient enquêter sur le déclin des populations de bourdons en Amérique du Nord et soutenir les recherches sur cet insecte essentiel en envoyant des photos à Bumble Bee Watch (http://bumblebeewatch.org).
- Une leçon sur la phénologie des plantes pourrait comprendre une étude approfondie des différentes étapes de la croissance d’un arbre ou d’un arbuste au printemps ou à l’automne ainsi que la prise en photo de ces étapes. Les résultats de cette étude peuvent ensuite être soumis au projet BudBurst (http://budburst.org/home) et les photos peuvent être partagées dans la section Fall Into Phenology du site Project Noah (http://www.projectnoah.org/missions/7209494).
- L’utilisation d’une mangeoire à oiseaux dans la cour d’école pourrait être une excellente façon d’étudier le comportement des oiseaux. Cela permet aux élèves de prendre des photos quotidiennement et de dresser une liste de contrôle des espèces observées. Cette information pourrait être soumise au site d’observation eBird (http://ebird.org/content/ebird/).
- L’application Leafsnap pour téléphones intelligents et pour tablettes permet de pousser l’étude des arbres qui se trouvent sur le terrain de l’école pourrait être améliorée. En effet, l’application compare les photos de feuille prises par les élèves à celles qui se trouvent dans une banque de données. Le logiciel de reconnaissance d’images associe la photo avec l’espèce appropriée et les données GPS du téléphone localisent l’emplacement où la photo a été prise. La photo et les informations sont automatiquement téléchargées dans la banque de données pour étude et usage scientifiques (http://leafsnap.com/).
- Les élèves pourraient faire des trouvailles intéressantes grâce à Bug Guide, un guide en ligne d’arthropodes et d’insectes d’Amérique du Nord qui nous renseigne sur la taxinomie des insectes et les photos fournies par divers collaborateurs (http://bugguide.net/node/view/15740). Les photos des bestioles mystérieuses sont envoyées pour identification par une équipe de scientifiques bénévoles. Une fois que les espèces sont identifiées, les photos sont ajoutées de façon automatique à la page d’information appropriée selon le taxon.
Les communautés mondiales
Des études de différentes régions du pays ou du monde deviennent encore plus fascinantes quand on compare les différents éléments naturels qui s’y trouvent. Une manière de le faire est de s’associer à des projets d’envergure mondiale impliquant la documentation active de la nature.
- Le site Web du projet Noah propose plusieurs missions photographiques qui conviennent à des enfants d’âges divers et d’habiletés différentes, comme The Color Red, Signs of Wildlife, Butterflies and Moths of the World, Flowers of North America, Beetles, et Critters of the Midwest (http://www.projectnoah.org/). Par exemple, la mission Global Schoolyard Bioblitz du site Project Noah encourage les élèves de tout âge et de tout pays à placer des photos de la nature de leur cour d’école dans leur base de données (http://www.projectnoah.org/missions/10164691). Les enseignants et les élèves peuvent aussi créer leur propre mission et l’ajouter à la base de données. Comme soutien supplémentaire aux enseignants, le site fournit des idées de projets à faire en classe et des plans d’activités axées sur la photographie.
- Le site Web Great Nature Project de la revue National Geographic est inscrit dans le Livre Guinness des records comme le plus grand album de photos d’animaux en ligne au monde. Ce site encourage la participation à la création d’une base de données mondiale sur la biodiversité (http://greatnatureproject.org/). Les enfants téléchargent leurs photos d’organismes vivants directement dans le site Web ou sur un site de partage de photos comme Flickr. Ils peuvent aussi participer aux efforts de la science citoyenne grâce à leurs photos en s’associant aux collectivités liées à ce projet, comme mentionné ci-dessus, et en partageant leurs photos sur le site du groupe de Great Nature Project. Le site Web fournit également des liens vers de l’information et des idées utiles pour les enseignants.
Le syndrome du manque de nature est devenu un grave problème pour les enfants. Il menace leur santé physique, émotionnelle et psychologique, et de plus, il nous laisse craindre que les naturalistes potentiels ne soient plus assez nombreux pour combler les besoins en relève. Si la technologie a éloigné les enfants de la nature, elle peut aussi les en rapprocher. Nul besoin de l’abandonner, au contraire : trouver un équilibre où la technologie est utilisée comme outil pédagogique et motivateur constitue un incitatif essentiel pour rassembler les éléments de l’éducation relative à l’environnement. Les appareils photo numériques se combinent facilement à d’autres technologies pour se transformer en armes redoutables dans la lutte contre ce syndrome.
Aimee Keillor est adjointe d’enseignement en banlieue de Chicago. Elle est diplômée de l’Université de Miami au programme Advanced Inquiry Program (AIP) du zoo de Brookfield. Ancienne journaliste, humoriste et animatrice d’ateliers d’écriture, elle est actuellement étudiante à la maîtrise en zoologie. Elle espère faire la transition vers le domaine de l’éducation environnementale.
Maria Romero, infographiste, est diplômée au baccalauréat en traduction professionnelle de l’Université de Sherbrooke, au Québec. Elle compte se spécialiser dans le domaine de la localisation de sites Web et de logiciels de l’anglais vers le français ou l’espagnol.
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